Malgré une majorité d'Etats-membres en sa faveur, le Kosovo manque de peu son entrée à l'UNESCO. Un revers sur le chemin de sa reconnaissance internationale, à laquelle s'opposent des pays d'horizons très divers.
Manqué. 92 pays pour ; 50 contre ; 29 abstentions : l’adhésion du Kosovo à l’UNESCO est repoussée. L’assentiment des deux tiers des pays membres de l’organisation culturelle onusienne basée à Paris était requis. Il y manque trois voix. C’est peu en nombre mais bien un échec pour le Kosovo. C’est aussi un revers pour les pays occidentaux qui, contre les réticences d’une partie de la fameuse « communauté internationale », oeuvrent depuis près de vingt ans à sa légitimation.
« Province autonome » de la Serbie au temps de la fédération Yougoslave, le Kosovo fut l’un des abcès douloureux de cette dernière, théâtre de l’exacerbation de nationalismes adverses et l’un des facteurs de sa désagrégation. Quoique peuplé en majorité d’ « Albanais » musulmans, il était – et reste - considéré par les Serbes comme le « berceau » de leur nation, la région de Pristina en ayant été jusqu’à la fin du moyen-âge un foyer religieux, politique et économique majeur. Dans les années 90, l’effondrement du « communisme » dans le monde vient précipiter, dans le fracas de guerres civiles successives, l’éclatement d’une Yougoslavie déjà bien ébranlée par la mort de son père fondateur Tito. Après la Croatie et la Bosnie, le conflit se déplace au Kosovo, premier et dernier bastion du nationalisme serbe, où Milosevic avait inauguré dans la surenchère ses aventureuses conquêtes politiques.
Officiellement justifié par des crimes contre l’humanité dont la réalité demeure controversée, l’appui de l’occident à l’irrédentisme kosovar entraîne l’intervention militaire de l’OTAN, sans mandat de l’ONU. 37 000 bombardements, y compris sur Belgrade, sont opérés en 78 jours, du 23 mars au 10 juin 1999. A cette date, Milosevic se rend et la «
résolution 1244 » de l’ONU confie à la KFOR (
KOSOVO force, en pratique armée par l’OTAN) l’administration militaire et civile du territoire. Cette force, qui a compté jusqu’à 50 000 personnes existe encore. Si elle a échoué à établir une véritable paix entre les parties, elle a préparé ce pour quoi elle n’était pas mandatée : l’indépendance en 2008 du Kosovo (aujourd’hui 1,8 millions d’habitants), arraché à la Serbie en dépit de ses protestations. Cette dernière finira par s’y résigner
de facto, en échange de l’ouverture de négociations pour son adhésion à l’Union européenne.
Réticences
La situation, pourtant, reste ambiguë et de nombreux pays ne reconnaissent pas la création « sauvage » d’un Etat, sans doute validée par référendum mais sous la pression des armes et d’une occupation militaire, sans consensus international ni consentement des vaincus. La Russie (qui invoquera souvent le précédent kosovar pour justifier son « annexion » de la Crimée ) s’y refuse, de même que la Chine mais aussi de multiples pays du « camp » occidental parmi lesquels l’Espagne, la Grèce, la Roumanie ou le Brésil.
Étape symbolique sur le chemin de la reconnaissance internationale (franchie il y a peu avec succès par la Palestine), la question de l’adhésion du Kosovo à l’UNESCO a logiquement ravivé le différend. Vendredi, la candidature avait suscité une passe d'armes entre Moscou et Washington. A la tribune de l'organisation, le ministre russe des Affaires étrangères Serguei Lavrov l'avait jugée «
inacceptable » et «
très dangereuse », y voyant une «
violation grossière de la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU ».
L’alliance de la Russie à la Serbie est ancienne. Elle fut l’un des multiples ingrédients conduisant à la Première guerre mondiale. Elle est renforcée – comme avec Athènes - par l’affinité religieuse du christianisme orthodoxe. La question des lieux-saints fut d’ailleurs largement invoquée lors des derniers débats.
L’entrée du Kosovo à l’UNESCO lui aurait donné la gestion de quatre sites de l'Eglise orthodoxe serbe classés au patrimoine mondial de l'humanité, dont les monastères de Pec, de Gracanica et de Decane.
Depuis des semaines, Belgrade mettait en garde contre le «
risque sérieux » présenté par ce transfert, en évoquant des dégâts et pillages subis en 1998 et 1999. Le gouvernement serbe s'était déclaré «
profondément inquiet pour le patrimoine culturel et historique » du pays. Le gouvernement kosovar assurait pour sa part que tous ces sites auraient été protégés mais le sujet religieux reste explosif dans les Balkans.
Belgrade, en tout cas, peut aujourd'hui savourer un de ses rares succès diplomatiques : «
Il s'agit d'une victoire juste et morale acquise dans des conditions presque impossibles », s'est félicité le président serbe Tomislav Nikolic. L’autre camp, lui, s’efforce de se consoler par le peu de voix qui lui manquent et de minimiser l’échec : «
un petit revers sur un long chemin », commente le vice-ministre kosovar des Affaires étrangères, Petrit Selimi, présent à Paris. «
La destinée du Kosovo ne peut pas être stoppée, et nous candidaterons encore pour devenir membre des organisations onusiennes, y compris l'Unesco », a également promis sur Facebook le ministre des Affaires étrangères, Hashim Thaci.