Plus de 1300 familles sont arrivées dans le pays depuis la prise de Mossoul par l'Etat Islamique, en juin 2014. Certains réfugiés chrétiens ont rejoint des proches déjà installés en banlieue nord-est de Beyrouth. Ils doivent compter sur l'aide de l'évêché chaldéen de la capitale libanaise pour survivre, en attendant d'obtenir l'asile en Amérique du nord ou en Australie.
Les cartons d'aide alimentaire s'entassent dans le hangar de l'évêché chaldéen de Beyrouth, à l'église Saint-Raphaël. Dehors, des femmes et des hommes attendent leur tour au milieu des cris des enfants. Ils sont tous Irakiens chrétiens, et la plupart sont arrivés d'Erbil depuis août. Ils ont fui les exactions de l'organisation Etat Islamique et la prise de Mossoul, en juin 2014, avec leurs seuls vêtements sur le dos. "Ils nous ont tout pris, dont la voiture de mon père. On a pu juste fuir en emportant nos passeports", raconte Hizar, arrivée à Beyrouth en septembre après être restée un mois dans la capitale du Kurdistan irakien. Youhanna raconte la même histoire : elle n'a pas vu les membres de l'EI, mais elle a entendu les tirs et les bombardements à proximité de chez elle, et a immédiatement fui avec ses enfants et ses deux petits-enfants : "Au début, nous avons été hébergés par une église d'Erbil : nous sommes restés 20 jours sous une tente alors qu'il faisait presque 50 degrés !" Les cartons d'aide contiennent des produits alimentaires de base : de l'huile, des pâtes, des lentilles, du boulghour, du sucre. L'évêché en donne au minimum deux par mois à chaque famille. "Il manque des couches et du lait pour les enfants, du dentifrice, du savon et des serviettes hygiéniques," se plaint un groupe de femmes. Or au Liban, les prix sont de plus en plus élevés même pour les produits de base et les Irakiens doivent aussi débourser des sommes importantes pour se loger dans la banlieue nord-est de Beyrouth. D'après Mira Kassarji, responsable de la communication au sein de l'évêché, 1300 familles sont arrivées depuis juin, et entre 20 et 30 continuent d'atterrir au Liban chaque semaine. L'évêché reçoit des dons privés pour les aider. S'il peut acheter des produits alimentaires de base et payer quelques soins médicaux et médicaments grâce à un centre géré par l'organisation Caritas, il n'a pas les moyens de subventionner des interventions chirurgicales plus lourdes. "Le gouvernement et les ONG aident surtout les Syriens, pas les Irakiens, déplore Mira Kassarji. Ils ne vivent pas dans des camps mais louent des appartements, ce qui leur revient cher même s'ils sont à l'origine aisés".
Difficile pour eux de trouver du travail s'ils ne sont pas encore enregistrés auprès du Haut-Commissariat aux Réfugiés de l'ONU. D'après Dana Sleiman, responsable de la communication au HCR, 1000 Irakiens arrivés cette année se sont déjà enregistrés. Ils ne peuvent ensuite obtenir du travail que s'ils trouve un garant libanais : "Nous les aidons dans ces démarches. Pour les emplois qualifiés, comme médecin ou professeur d'université, c'est encore plus difficile, car il y a peu de postes et les Libanais ont la priorité". Les organisations manquent de fonds pour gérer les réfugiés. Les Syriens sont désormais plus d'un million et demi sur une population de 4 millions d'habitants, et seulement 58% de la somme promise par les donateurs a été versée : l'ONU estime qu'un 1,6 milliard de dollars sont nécessaires pour le Liban en 2014. Le Liban, une étape vers des pays occidentaux Le Liban n'est qu'une étape pour les Irakiens. D'après Mira Kassarji, "ils ne comptent pas rester : ils vont habiter au Liban deux ou trois ans, en attendant d'obtenir l'asile ailleurs, notamment au Canada, aux Etats-Unis ou en Australie". "J'ai choisi de venir ici car on parle la même langue et que le pays est facile d'accès," explique Ranad, arrivé en août. Avant, il tenait une épicerie dans la région de Mossoul, qu'il a dû abandonner devant l'arrivée de Daesh. "Je les ai vus, ce sont des barbares, ils sont cruels. Ils nous ont humiliés, ils nous ont pillés, ils ont tout cassé. Il y avait de l'insécurité, avant, mais là, c'était pire," ajoute-t-il. Aucun des Irakiens rencontrés ne souhaite un jour rentrer en Irak, contrairement à de nombreux Syriens qui ne veulent qu'une chose : retrouver leur pays. "Je veux juste la stabilité et la sécurité. Nous n'avons plus rien là-bas, plus de maison, plus de travail," se lamente Hizar.
"Les chrétiens en viennent à dire que ce n'est plus leur pays, qu'il ne leur reste plus rien et que la France et les Etats-Unis ne viennent nous aider que maintenant, alors qu'ils auraient dû le faire il y a beaucoup plus longtemps," commente le père Danha Youssef, un prêtre irakien chaldéen installé à Beyrouth depuis six ans. Il critique aussi vivement les frappes américaines sur les positions de l'organisation Etat Islamique : "Les Etats-Unis ne viennent que par intérêt, alors qu'ils nous ont pillés dans le passé. Où est la liberté dont ils parlent ? Ce n'est pas pour le peuple irakien qu'ils reviennent !" Avant l'arrivée de Daesh, plus de 65% des chrétiens avaient déjà quitté l'Irak, selon Harry Hagopian, avocat et consultant auprès des Eglises arméniennes orthodoxes et catholiques au Royaume-Uni et en Irlande. Sous Saddam Hussein, ils avaient réussi à garder leurs traditions et leurs cultes dans leur identité arabe. Beaucoup, chrétiens ou non, étaient partis à cause de l'instabilité et de la détérioration de la situation économique après les sanctions imposées au pays. Saddam Hussein leur avait offert une protection de façade afin d'asseoir sa légitimité. "En réalité, les chrétiens irakiens, comme tous les autres Irakiens, souffraient du manque de libertés et de l'instabilité à cause des guerres successives," précise le père Fadi Daou, prêtre libanais fondateur de la fondation Adyan pour le dialoque islamo-chrétien. "Sous Saddam, être un bon citoyen, c'est se reconnaître dans une idéologie arabe, irakienne et baathiste," ajoute-t-il. Tout change avec l'invasion américaine. En 2003, un nouveau gouvernement est formé par les Américains, composé de chiites et de kurdes autrefois opprimés, alors que les sunnites, sur lesquels s'appuyaient Saddam, sont écartés du pouvoir. Les chrétiens sont laissés de côté. La nouvelle Constitution, votée en 2005, les considère désormais comme "une minorité assyro-chaldéenne" : "Ils ne sont plus arabes, mais désormais une ethnie à part," explique le père Daou. Cette politique n'a fait qu'attiser les tensions. La situation empire et les chrétiens continuent d'être la cible de violences, alors qu'ils n'ont déjà plus de visibilité dans la vie publique. "L'EI ne peut donc pas être le seul coupable, explique Harry Hagopian, mais ce qu'ils ont introduit dans les réalités de la région et de l'Irak est une sauvagerie qu'ils interprètent de manière erronée comme une forme rigoriste de l'Islam puisque l'organisation et ses membres sont motivés par une logique d'extermination – qu'ils en soient conscients ou non."