Fil d'Ariane
Benny Gantz, un ancien chef de l'armée israélienne, a été reçu en début de matinée par le ministre délégué chargé de l’administration de la Défense nationale marocaine, Abdellatif Loudiyi.
Ils ont signé un protocole d'accord qui lance formellement la coopération sécuritaire "sous tous ses aspects" (planning opérationnel, achats, recherche et développement, etc.) entre les deux pays, un an à peine après la normalisation de leurs relations, face aux "menaces et défis dans la région", selon la partie israélienne.
Benny Gantz a d'ailleurs souligé qu'"il s'agit d'une chose très importante qui nous permettra aussi d'échanger nos opinions, de lancer des projets conjoints et favorisera les exportations israéliennes jusqu'ici". Il avait auparavant déposé une gerbe au mausolée Mohammed V, qui accueille la sépulture du père de l'indépendance marocaine et celle de son fils Hassan II.
"Nous sollicitons leur bénédiction et regardons vers notre avenir commun - un moment où le lien entre nos peuples s'approfondit et nos nations s'unissent pour offrir une vision de paix partagée", a écrit le ministre israélien sur le livre d'or.
Avant son départ de Tel-Aviv, mardi 23 novembre, au soir, il avait évoqué "un voyage important au Maroc qui a une touche historique car il s'agit de la première visite formelle d'un ministre de la Défense (israélien) dans ce pays".
Au cours de ce déplacement de 48 heures, Benny Gantz doit aussi s'entretenir ce mercredi 24 novembre avec le ministre marocain des Affaires étrangères, Nasser Bourita.
Le Maroc et Israël avaient établi des relations diplomatiques au début des années 1990 avant que le Maroc n'y mette fin au début de la Seconde intifada, le soulèvement palestinien du début des années 2000.
Désormais alliés dans un contexte régional tendu, ils ont renoué des relations en décembre 2020 dans le cadre des "Accords d'Abraham", processus de normalisation des relations entre l'Etat hébreu et des pays arabes soutenu par l'administration de l'ex-président américain Donald Trump.
A cette occasion, Washington a reconnu la "pleine souveraineté" du Maroc sur le Sahara occidental, territoire disputé avec les indépendantistes sahraouis du Front Polisario soutenus par l'Algérie.
La visite de Benny Gantz intervient alors qu'Alger a rompu, en août, ses relations avec Rabat en raison "d'actions hostiles" du royaume et que le Front Polisario a décidé vendredi d'"intensifier" sa lutte armée contre le Maroc.
En rencontrant lundi 22 novembre à Washington son homologue marocain, Nasser Bourita, le chef de la diplomatie américaine, Antony Blinken, a apporté un soutien appuyé au plan d'autonomie "sérieux et réaliste" prôné par le Maroc pour régler le conflit du Sahara occidental.
En outre, les deux parties ont souligné l'importance de "l'approfondissement continu" des relations maroco-israéliennes.
Pour Bruce Maddy-Weitzman, spécialiste des relations israélo-marocaines à l'université de Tel-Aviv, la première visite d'un ministre israélien de la Défense au Maroc en pleine tension entre les deux poids lourds du Maghreb ne semble être une pure coïncidence.
"Il est possible que dans un contexte de tension Algérie/Maroc, les Marocains (....) désirent montrer au monde - à leur propre population, à leurs rivaux algériens et à l'Occident - qu'ils approfondissent leurs relations avec Israël, avec tout ce que cela implique", souligne M. Maddy-Weitzman.
La société israélienne Ratio Petroleum avait annoncé le 29 septembre un partenariat avec Rabat pour l'exploration d'hydrocarbures au large de Dakhla, au Sahara occidental. Et l'Etat hébreu est aussi l'un des principaux exportateurs au monde de drones armés et de logiciels de sécurité comme le Pegasus de la société NSO.
Les ventes de drones armés et de certaines technologies de pointe, à l'instar du logiciel-espion Pegasus, doivent aujourd'hui être approuvées par le ministère de la Défense dirigé par Benny Gantz.
Selon des informations publiées cet été par plusieurs médias, un numéro de portable du président français, Emmanuel Macron, figurait sur la liste de ceux visés par un service de sécurité de l'Etat marocain, accusé d'avoir eu recours au logiciel espion Pegasus.
Le Maroc nie catégoriquement avoir acheté ce logiciel et a annoncé avoir déposé des plaintes pour "diffamation" contre des médias.
Selon différentes ONG, Pegasus a d'ailleurs aussi été retrouvé cet automne dans des téléphones portables de militants palestiniens, dont la cause continue de mobiliser au Maroc.
Une coalition pro-palestinienne de partis et ONG de gauche ainsi que les islamistes du mouvement Justice et Bienfaisance ont appelé à une manifestation mercredi 24 novembre à Rabat pour fustiger la normalisation avec Israël et dénoncer la venue au Maroc du "criminel de guerre Gantz", chef d'état-major lors de la guerre meurtrière de l'été 2014 à Gaza. Sur la toile marocaine le hashtag "le criminel Gantz n’est pas le bienvenu" est apparu ces jours-ci.
Pour Bruce Maddy-Weitzman, le Maroc n'a pas abandonné la cause palestinienne, "mais a beaucoup d'autres intérêts, beaucoup d'autres bénéfices à tirer d'un recalibrage" de ses relations.