Le Mexique et la France scellent leur réconciliation aux dépens des droits de l’Homme

Lors de sa visite d’Etat en France, le président mexicain Enrique Peña Nieto a eu droit à tous les honneurs de la République. En échange, il repart avec une soixantaine de contrats signés avec Paris. Ni la fuite du « Chapo » Guzmán, ni les manifestations pour dénoncer la violence dans son pays n’ont perturbé cette visite qualifiée « d’historique ».
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Manifestation Ayotzi, fontaine des innoncents, Paris, le 14 juillet 2015.
©Florencia Valdés Andino
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Disparu. Volatilisé. Dans la nuit du samedi 11 juillet à dimanche 12 juillet, l’ennemi numéro 1 du Mexique et des Etats-Unis s’échappe d’une prison de très haute sécurité à proximité de la capitale mexicaine. Dans une vidéo récemment diffusée par les autorités locales, on voit Joaquín « El Chapo » Guzmán s’accroupir et s’enfuir par un tunnel creusé sous sa douche  avec une grande dextérité. « Le tunnel fait 1,5 km de longueur, on peut y loger des bonbonnes d’oxygène et même une moto montée sur des rails », déclare Monte Alejandro Rubido García, à la tête de la Commission nationale de sécurité.

Au même moment, Enrique Peña Nieto s’envole pour la France. Il s’apprête à honorer l’invitation faite par le président Hollande en 2014, alors que ce dernier visite le pays. Paris et Mexico commençaient à peine à se rabibocher après l’épisode Cassez, ayant entraîné l'annulation de l'année du Mexique en France en 2011.

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Le président français François Hollande avec son invité, le président mexicain Enrique Pena Nieto, à l'Elysée le 16 juillet 2015.
©AP Photo/Thibault Camus

 
A peine arrivé dans la capitale française, le président mexicain organise une conférence de presse : « C'est indubitablement un affront pour le Mexique. Je suis sûr que les forces de sécurité pourront le capturer dans les plus brefs délais ». C’est la deuxième fois en 14 ans que le chef du - très redouté - cartel de Sinaloa échappe à la vigilance de ses surveillants.

Un défilé très décrié

Mais Enrique Peña Nieto n’a pas le temps de faire face à la tempête médiatique et politique qui se déchaîne de l’autre côté de l’Atlantique. Avec sa délégation de plus de 400 personnes, ils ont un agenda chargé. Lundi 13 juillet, visite à la Maison de l’Amérique latine, au Sénat, réception et cérémonie militaire... Un amuse bouche avant le plat de résistance de cette visite qu’est le défilé du 14 juillet, jour de fête national en France.

Invité d’honneur des festivités sur les Champs Elysées, le Mexique voit défiler 150 de ses militaires aux côtés de leurs collègues français. Quelques aigles royaux mexicains agrémentent la parade. Une première pour un pays d'Amérique Latine. Assis au premier rang aux côtés de la première dame toute de rouge vêtue, le président mexicain exulte. Ce moment de grâce, partagé avec son homologue français, ne sera pas perturbé.

Rien n'est laissé au hasard. Toute manifestation aux abords du défilé est interdite. Plan Vigipirate renforcé oblige. Les autorités font tellement preuve de zèle qu’une dizaine de Mexicains est embarquée au poste pendant au moins quatre heures. Et ce, même s’ils ne manifestent pas, et même si aucun signe ne trahit leur appartenance au collectif Paris-Ayotzinapa. Ce dernier dénonce depuis le début la disparition de 43 étudiants dans le sud du Mexique, il y a presqu’un an.

> Lire notre article "Mexique : où sont les étudiants d’Ayotzinapa ?"

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Manifestation Ayotzinapa à la fontaine des innocents Paris, le 14 juillet 2015.
©Florencia Valdés Andino

« J’étais en train de regarder le défilé. Et soudain j’ai entendu du bruit derrière moi. Des policiers nous ont demandé de venir avec eux. Une fille asiatique a failli être aussi embarquée mais quand ils ont vu qu’elle n’était pas 'latina' ils l’ont laissée tranquille. Nous avons été ensuite conduits dans un camion de CRS, puis dans un commissariat dans le nord parisien. A aucun moment on nous a dit ce qui nous était reproché. On n’arrêtait pas de nous demander si nous étions des touristes alors qu’on leur montrait nos cartes de résidents. C’est absurde mais ça prouve qu’il y a quelque chose qui cloche. On croyait que ce genre de choses n’arrivait qu’au Mexique », témoigne cette membre du collectif qui souhaite garder l’anonymat.

A défaut de pouvoir manifester sur le parcours du défilé, les associations, s’opposant farouchement à l’invitation du chef de l’Etat mexicain, organisent « un autre 14 juillet » dans le centre de Paris. Un rassemblement pour se souvenir des 43 étudiants d’Ayotzinapa ainsi que des 23.000 Mexicains disparus depuis 2006. L’objectif est également d’interpeller le président Hollande, qui esquive à tout prix l’épineux sujet.


Ce n’est pas la première fois que ces associations, y compris Amnesty international, s’adressent au président de la République française. Avant l’arrivée de son homologue mexicain, elles avaient envoyé une lettre lui demandant d’annuler l’invitation. Appel auquel s’est joint le Parti communiste français.

Des manifestations pacifiques

De nombreux évènements ont ponctué la visite du président mexicain. Les eaux des fontaines à Paris et d’autres villes françaises ont tourné au rouge pour dénoncer la violence. Un festival de films et de courts métrages  « anti-Peña » a été organisé à Paris du 13 au 15 juillet pour montrer « la réalité du Mexique ». Pour conclure cette série de manifestations, des activistes ont choisi de « broder pour la paix », toujours à Paris le 22 juillet prochain au parc de la Villette, où se tient une exposition organisée par l’Office de tourisme mexicain afin de vanter les merveilles du pays. Des activistes broderont les noms de tous les citoyens disparus depuis 2006.


Leurs voix ont du mal à se faire entendre. Ils regrettent tout particulièrement la participation de militaires mexicains au défilé du 14 juillet alors que l’armée est accusée de nombreuses violations des droits de l’Homme. Leur participation au massacre de Tlatlaya et leur implication supposée dans la disparition des 43 « normalistes »  font partie de la longue liste des griefs.

« C’est une honte »

« En tant que Français, pour moi c’est une honte de recevoir quelqu’un qui n’a pas été légitimement élu. Enrique Peña Nieto était le seul candidat et il a été imposé par son parti le PRI. C’est même une double honte car il était l’invité d’honneur du défilé du 14 juillet mais uniquement parce qu'il est venu signer des contrats dans le domaine de l’armement », s’indigne Gérard Leblum présent au rassemblement.

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Manifestation Ayotzinapa à la fontaine des innocents Paris, le 14 juillet 2015.
©Florencia Valdés Andino


Si le quai d’Orsay et la présidence mexicaine ont mis en avant les contrats signés dans le domaine du tourisme, la culture et l‘environnement, entre autres, ce sont les contrats concernant l'armement qui inquiètent les manifestants.

Fin mai, La Tribune annonce la vente de 50 hélicoptères Super Puma avec transfert de technologie au Mexique. La visite de la chaîne de montage de ces engins à Marignane près de Marseille, ce mercredi 15 juillet, devait sceller la transaction. Finalement cette vente ne s’est pas faite. Mais toute négociation reste ouverte. En revanche, quatre nouvelles entreprises françaises spécialisées dans le secteur aéronautique et de la défense installeront bientôt des usines au Mexique. Celles-ci viendront renforcer la production locale d’avions et d’hélicoptères. 

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Manifestation Ayotzinapa à la fontaine des innocents Paris, le 14 juillet 2015. "#Jesuisfatigué. Gouvernement corrompu. Nous exigeons sa démission."
©Florencia Valdés Andino

« Le Mexique vit un moment terrible et les Français ne s’en rendent même pas compte. La population en a assez de la violence, en a assez d’avoir peur… Même si nos actions n’ont qu’un très faible impact. Elles ont au moins le mérite de faire parler de ces sujets et aussi d’avoir une certaine influence sur l’image du pays au niveau internationale », estime cette militante qui a choisi de taire son nom.

Entre chants et revendications une autre femme ajoute : « Le gouvernement français devrait s’interroger sur la torture généralisée, sur les disparitions forcées, sur le rôle de la police et des militaires. La seule chose que l’on puisse faire c’est de rester mobilisés en Europe ».


Professeur de droit à l‘Université nationale autonome du Mexique (UNAM) - la plus grande de la région- et très critique du gouvernement Peña Nieto, John Ackerman ne mâche pas ses mots. Pour lui, le président mexicain a le même profil que les dictateurs latino-américains des années 70 : « Il est à l’origine d’une répressions sans nom qui vise journalistes et mouvements sociaux. Je trouve triste que la France invite un homme qui n’est pas digne de ses honneurs».

Sur CNN en espagnol, sous sa casquette d’éditorialiste, il juge irresponsable le président qui « buvait du vin en France alors que le Chapo Guzmán venait de s’échapper ».

Le Mexique, partenaire clé

Ces réflexions sont bien loin des préoccupations du gouvernement français. Le Mexique fait partie d’un des sept pays clé avec lesquels Paris essaye de dynamiser ses relations économiques. Les deux partenaires souhaitent multiplier par deux le montant de leurs échanges commerciaux avant 2017.

Dans ce cadre, une soixantaine de contrats ont été signés pendant cette visite, où l’économie et le commerce trouvent une place prépondérante. Ainsi, une attention particulière a été portée aux contrats portant sur l’éducation supérieure et la recherche scientifique. « La France est le troisième partenaire scientifique du Mexique », rappelle Yadira Gálvez, politologue de l’UNAM, interrogée sur RFI. Et d’ajouter : « Si l’économie stagne elle reste néanmoins solide ».

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Manifestation Ayotzinapa à la fontaine des innocents Paris, le 14 juillet 2015.
©Florencia Valdés Andino

Une solidité dont les entreprises françaises comptent bien en profiter. Parmi celles-ci, Engie (ex-GDF Suez) qui vise l’exploitation de gaz naturel, et Total qui pourra profiter d’une récente réforme énergétique libéralisant le marché mexicain du pétrole.

Du point de vue purement économique, cette visite de quatre jours ne peut être qu’un succès. Même chose sur le plan diplomatique, il n’est pas imprudent de dire que les différends qui ont opposé les deux pays sont oubliés. « En lui réservant un accueil cinq étoiles, la France a offert une opportunité au président mexicain de redorer son blason sur la scène internationale », analyse la politologue de l’UNAM Yadira Gávez.

Et le reste ? Devant un parterre d’entrepreneurs du Medef il a lancé, sans sourciller : « La France et le Mexique partagent les mêmes valeurs. Nous respectons les droits de l’Homme et nous croyons en la démocratie ». La déclaration de François Hollande se fait toujours attendre.