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Dernière réaction en date, le chef du puissant mouvement chiite libanais Hezbollah a accusé dimanche l'Arabie saoudite de "terrorisme". Hassan Nasrallah n’a pas eu de mot assez dur dans son discours retransmis sur la chaîne du Hezbollah, Al-Manar. Il a estimé que l’exécution samedi du cheikh al-Nimr, figure de la contestation contre le régime saoudien, "dévoilait le vrai visage de l'Arabie saoudite, le visage despotique, criminel et terroriste". C'est la famille régnante des "Al-Saoud qui depuis des décennies enflamme" les tensions entre chiites sunnites, a encore accusé Hassan Nasrallah dont le puissant mouvement est allié à l'Iran chiite.
"Il faut faire attention à ne pas transformer la question en (conflit) sunnite-chiite", a-t-il cependant ajouté. "Ceux qui ont tué le cheikh al-Nimr, ce sont les Al-Saoud". Enfin le chef du Hezbollah a estimé que l'exécution du cheikh Al-Nimr "n'est pas quelque chose que l'on peut passer outre, absolument pas".
Le dignitaire religieux chiite de 56 ans a été exécuté samedi avec 46 autres personnes, dont un Tchadien et un Egyptien, condamnées pour "terrorisme". La plupart d'entre elles étaient des jihadistes d'Al-Qaïda. Nimr al-Nimr avait été condamné à mort en 2014 pour "terrorisme", "sédition", "désobéissance au souverain" et "port d'armes".
A Beyrouth, quelques dizaines de personnes se sont rassemblées devant le bâtiment des Nations unies dans le centre de Beyrouth, et devant l'ambassade d'Arabie saoudite, pour dénoncer l'exécution du cheikh Nimr. Ces rassemblements se sont déroulés sans incident.
A Bahreïn, par contre, des affrontements ont opposé dimanche la police à des manifestants chiites dans plusieurs localités de la banlieue de Manama, la capitale. Selon des témoins joints par l’AFP, la police a tiré des gaz lacrymogènes et, dans certains cas, des balles de chevrotine en direction de manifestants qui ont lancé des cocktails Molotov. Ces violences auraient fait des blessés. Les affrontements les plus violents ont eu lieu à Sitra, à l'ouest de Manama, où 400 manifestants se sont heurtés à la police, selon les témoins.
Ces affrontements interviennent dans un pays dirigé par une monarchie sunnite, soutenue par le royaume saoudien, mais vivement contestée par la communauté chiite qui dénonce des discriminations. Après des manifestations de masse en 2011, les troubles sont sporadiques et la répression impitoyable. Dès samedi, les autorités bahreïnies avaient prévenu qu'elles prendraient "toutes les mesures légales nécessaires" contre les auteurs d'actions "offensantes ou négatives" à l'égard de la décision du royaume saoudien d'exécuter Nimr al-Nimr.
Ces fauteurs de troubles pourraient être poursuivis pour "incitation à la sédition et menace à l'ordre civil", avait averti le ministère de l'Intérieur. Les dissidents sont souvent accusés d'être liés à l'Iran, une accusation qu'ils rejettent.
De fait, c’est d'Iran, le grand pays chiite de la région, que sont venus les réactions les plus violentes. Samedi soir, des manifestants ont attaqué l'ambassade de l'Arabie Saoudite à Téhéran. Elle a été en partie incendiée. Et ce dimanche, un millier de personnes se sont encore rassemblés à proximité du bâtiment protégé désormais par la police. Des rassemblements ont également eu lieu dans d'autres villes iraniennes.
Les officiels iraniens ont été tout aussi sévères. Le guide suprême, l'ayatollah Ali Khamenei, a affirmé que les dirigeants saoudiens devaient s'attendre à la vengeance "divine". Le président iranien, Hassan Rohani, a aussi condamné cette exécution, même s’il trouve "totalement injustifiables" les attaques contre l'ambassade de l'Arabie saoudite à Téhéran et le consulat saoudien à Machhad, dans le nord-est du pays.
L'aggravation de la tension entre l'Iran et l'Arabie saoudite risque d'alimenter les guerres par procuration que se livrent les deux puissances chiite et sunnite, notamment en Syrie et au Yémen. Tous les experts notent que l'Arabie saoudite mène une politique étrangère et militaire plus audacieuse et plus affirmée depuis l'avènement en janvier 2015 du roi Salmane et la montée en puissance de son jeune fils Mohammed, propulsé vice-prince héritier et ministre de la Défense.
Le royaume a pris en mars la tête d'une coalition arabo-sunnite qui est partie combattre au Yémen des rebelles chiites, accusés de liens avec Téhéran, mais le conflit s'est enlisé et aucune issue n'est en vue. Les Saoudiens "jouent avec le feu, c’est évident", estime François Heisbourg, conseiller à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) à Paris. Depuis le début du conflit au Yémen, ils sont "dans la même fuite en avant".
"S'ils jugent que la confrontation avec l’Iran est inévitable, autant la provoquer au moment où les Américains sont encore là et où l’Iran est encore dans une situation économique et militaire relativement peu flambante", relève-t-il.
Le mois dernier, Ryad a organisé une réunion sans précédent des factions politiques et des groupes armés de l'opposition syrienne qui luttent contre le régime de Bachar Al-Assad, soutenu par l'Iran. Quelques jours plus tard, le prince Mohammed ben Salmane a créé la surprise en annonçant la formation d'une "coalition antiterroriste" de 34 pays à majorité sunnite, visiblement pour faire taire les critiques selon lesquelles le monde musulman et l'un de ses chefs de file, l'Arabie saoudite, n'ont rien fait jusqu'ici contre les jihadistes.
Selon Mahjoob al-Zweiri, professeur d'études moyen-orientales à l'Université du Qatar, la tension provoquée par l'exécution de samedi "pourrait pousser Téhéran à davantage de coordination avec Moscou pour compliquer encore plus la situation en Syrie".
Les Iraniens pourraient aussi "prolonger le conflit au Yémen dans le but d'épuiser l'Arabie saoudite, confrontée à l'effondrement des prix du pétrole", selon lui.
Les exécutions en Arabie ont d'ailleurs précédé de quelques heures l'annonce de la fin du cessez-le-feu au Yémen, la coalition sous commandement saoudien accusant les rebelles houthis d'avoir profité de la trêve pour avancer leurs pions.
S'il est besoin, la flambée de tensions en ce début d'année au Moyen-Orient rappelle aux Occidentaux que le monde musulman reste secoué par des luttes d'influence entre "Saoudiens et Iraniens, Persans et Arabes, sunnites et chiites" dont les enjeux sont autrement plus importants aux yeux de Ryad et Téhéran que la lutte contre l'Etat islamique", résume M. Heisbourg. Pour ces deux "principaux acteurs du Moyen-Orient, la lutte contre Daech est le cadet de leurs soucis".