Fil d'Ariane
"C'est un moment de grande tension dans le monde, alors que les déclarations enflammées pourraient tous nous conduire très facilement, inexorablement, vers une horreur sans nom", a réagi l'ICAN dans un communiqué. "S'il y avait un moment pour que les nations déclarent leur opposition sans équivoque aux armes nucléaires, ce moment serait maintenant".
Le comité Nobel norvégien a choisi d'auréoler les efforts antinucléaires au moment où le président américain Donald Trump menace de remettre en cause l'accord historique sur le nucléaire iranien de 2015 et est engagé dans une escalade verbale belliqueuse avec le leader nord-coréen Kim Jong-Un.
Dans ce contexte, le Nobel de la paix distingue une coalition d'ONG qui a poussé à l'adoption cette année d'un traité historique d'interdiction de l'arme atomique, mais il enjoint aussi les puissances nucléaires d'entamer des "négociations sérieuses" en vue d'éliminer leur arsenal.
"Nous vivons dans un monde où le risque que les armes nucléaires soient utilisées est plus élevé qu'il ne l'a été depuis longtemps", a souligné la présidente du comité, Berit Reiss-Andersen. "Certains pays modernisent leurs arsenaux nucléaires, et le danger que plus de pays se procurent des armes nucléaires est réel, comme le montre la Corée du Nord".
Soixante-douze ans après Hiroshima et Nagasaki, 122 pays ont adopté le 7 juillet à l'ONU un traité qui pose pour la première fois l'interdiction de développer, stocker ou menacer d'utiliser l'arme atomique.
Sa portée reste cependant essentiellement symbolique, puisque les puissances nucléaires ont toutes refusé d'y adhérer. L'Otan --dont la Norvège est membre-- l'a condamné, en invoquant notamment la "grave menace" nord-coréenne.
Le président Trump doit certifier avant le 15 octobre auprès du Congrès que Téhéran respecte les engagements pris dans le cadre de l'accord de 2015 qui impose de strictes restrictions au programme nucléaire iranien en échange d'une levée des sanctions. Selon le Washington Post, il aurait décidé de ne pas le certifier, ouvrant la voie à une réimposition de sanctions.
"Nous ne taclons personne avec ce prix", a souligné Mme Reiss-Andersen, à la question de savoir si le Nobel était une critique adressée au président Trump.
L'accord est un "embarras" pour Washington et l'"un des pires auxquels les États-Unis aient jamais participé", affirmait Donald Trump le 19 septembre à la tribune de l'ONU.
Les diplomates s'inquiètent des répercussions négatives d'une volte-face américaine sur ce dossier, alors que la communauté internationale espère encore faire revenir la Corée du Nord à la table des négociations pour lui faire renoncer à ses propres ambitions nucléaires.
Le sixième essai nucléaire nord-coréen le 3 septembre et des tirs de missiles ont été suivis d'insultes, de menaces et de démonstrations de force entre Pyongyang et Washington.
Donald Trump a menacé la Corée du Nord d'une "destruction totale" et qualifié les négociations de "perte de temps".
Depuis sa création en 2007, l'ICAN , qui regroupe plusieurs centaines d'ONG, fait valoir que le recours aux armes nucléaires aurait des conséquences catastrophiques, ce qui rend indispensable leur élimination.
La campagne est soutenue par de nombreux militants de base mais aussi par d'anciens prix Nobel tels que Desmond Tutu et le dalaï lama, et d'autres personnalités comme Yoko Ono et Martin Sheen.
"Le désarmement n'est pas un rêve, mais une nécessité humanitaire urgente", a insisté l'ICAN vendredi.
Bien que la quantité d'ogives ait fondu en 30 ans --elle est passée d'environ 64.000 en 1986 à un peu plus de 9.000 en 2017, selon le Bulletin of the Atomic Scientists (BAS)--, le nombre de pays détenteurs a augmenté.
Ils sont aujourd'hui neuf à posséder de telles armes de destruction massive: États-Unis, Russie, France, Grande-Bretagne, Chine, Inde, Pakistan, Corée du Nord et Israël.
"Le prix de la paix cette année est incontestablement un encouragement (aux non-signataires, ndlr) de rester fidèles à leurs obligations liées au traité de non-prolifération dans lequel ils se sont engagés à atteindre l'objectif d'un monde dénucléarisé", a souligné Mme Reiss-Andersen.
"C'est la décision du Comité Nobel, et il faut la respecter", a réagi le Kremlin.
Le Nobel, qui consiste en un diplôme, une médaille d'or et un chèque de 9 millions de couronnes suédoises (environ 943.000 euros), sera formellement remis à Oslo le 10 décembre, date-anniversaire de la mort de son fondateur, l'industriel et philanthrope suédois Alfred Nobel (1833-1896).