Fil d'Ariane
Le Canada va avoir de la grande visite cet été : le p^ape François, qui visitera Edmonton, Québec et Iqaluit du 24 au 30 juillet. Un voyage dédié aux Premières Nations du Canada, après les excuses historiques que sa Sainteté leur a présentées, en avril dernier, pour le rôle de l’Église catholique dans le drame des pensionnats autochtones.
Ce sera la quatrième visite d’un Pape au Canada mais celle-ci risque bien de marquer l’Histoire. Parce qu’on s’attend à ce que le Pape François présente de nouveau, en personne, ces mêmes excuses aux peuples autochtones.
Pourtant affaibli physiquement, le Pape tient à faire ce voyage, fait remarquer Alain Crevier, le journaliste de Radio-Canada spécialisé dans les questions religieuses : « À partir du moment où il a dit lui-même que ça l’intéressait de venir au Canada, je me suis dit, cet homme-là sait qu’il vient mettre les pieds sur un terrain hyper miné, il le sait ça ».
Un terrain miné, en effet, parce que tout ce dossier des pensionnats autochtones est une véritable bombe au Canada : quelque 150 000 enfants autochtones ont fréquenté ces institutions mises en place par l’État canadien entre la fin des années 1800 et jusqu’en 1996, année de fermeture du dernier établissement. Des institutions qui visaient à assimiler ces enfants, les couper de leurs racines autochtones, leurs langues, leurs cultures, un "génocide culturel", ni plus ni moins.
Plus de 60% de ces institutions étaient dirigés par des membres de congrégations catholiques. On estime à quelque 6000 le nombre d’enfants qui ont disparu durant ces décennies où étaient en fonction ces pensionnats autochtones : plus de 3000 d’entre eux y ont subi des sévices, agressions et mauvais traitements et au moins 4 000 sont morts de maladies, négligence, accidents et violences.
Les découvertes récentes de centaines de tombes anonymes sur les sites de plusieurs de ces pensionnats ont provoqué une commotion au Canada. C’est dans ces circonstances douloureuses que des délégations d’autochtones sont allées rencontrer le Pape au Vatican au début du printemps, des rencontres qui se sont conclues par la présentation d’excuses de la part du Saint-Père.
Des excuses empreintes d’humanité dit Alain Crevier : « Je pense sincèrement que c’est l’un des plus beaux textes que j’ai lus venant des hautes autorités de l’Église dans une situation semblable. Plutôt que de prendre un ton austère, le Pape prend un ton amical, les excuses qu’il a présentées faisaient appel à l’intelligence des Premières nations, à la culture des gens qu’il avait en face de lui, il y avait donc déjà une reconnaissance, un respect. Il y a quelque chose qui s’est passée au cours de cette visite des Premières Nations au Vatican. C’est un beau texte, vraiment, même s’il n’a pas dit que l’Église savait ce qu’il se passait et qu’ils ont préféré protéger l’institution, l’œuvre des communautés religieuses, plutôt que protéger les individus. Mais peut-être que c’est ça qu’il va faire en venant ici ».
Alain Crevier estime que « s’il y avait un homme capable de faire une demande de pardon de grande profondeur et sans équivoque, j’ai toujours pensé que ce serait lui, parce que c’est un homme qui se dit humble, qui se comporte de manière humble, c’est le personnage de l’Église parfait pour une situation qu’on tente de résoudre au moment opportun. Le Canada a reconnu son erreur, on a tenu une commission, on a fait les découvertes macabres des tombes d’enfants l’été dernier, alors ce voyage et ces excuses, c’est comme une dernière pièce du puzzle qui va se mettre en place dans ce drame historique ».
Le Canada est un bien vaste pays, mais le Pape a arrêté son choix sur trois étapes en six jours : Edmonton, en Alberta, dans l’ouest du pays, Québec, la capitale du Québec et Iqaluit, dans le Nunavut, le grand nord canadien. Des considérations en lien avec la santé du Saint-Père, qui doit se déplacer en fauteuil roulant maintenant, ont aussi dicté ces choix.
► Edmonton est la deuxième ville canadienne où l’on compte le plus d’Autochtones au Canada, et c’est en Alberta qu’il y a eu le plus pensionnats autochtones, 25 au total.
► A Iqaluit vit le plus grand nombre d’Inuits au Canada, et ils ont invité personnellement le Pape à venir les visiter quand ils l’ont rencontré au Vatican.
► Enfin le choix de Québec n’est pas si surprenant pour Alain Crevier : « Dans le cas de la Ville de Québec, il y a quelque chose de symbolique, c’est le premier diocèse au nord du Mexique dans l’Histoire, les premières hospitalières dans les communautés religieuses, elles sont ici, dans le Vieux-Québec, donc il y a une symbolique forte. Le Primat de l’Église, qui est un titre honorifique, c’est l’Archevêque de Québec qui le détient tout le temps. C’est aussi un point de ralliement aussi formidable, il y a probablement beaucoup des gens des Premières Nations qui vont se donner rendez-vous à Québec pour aller voir le Pape ».
Le journaliste s’attend en effet à ce qu’il y ait foule dans le sillage papal et il n’y aura pas que des autochtones à venir à sa rencontre. « Est-ce que le maire de Québec (Bruno Marchand) sait ce qui s’en vient dans trois mois ? s’interroge Alain Crevier, quand un Pape est à l’extérieur et qu’il fait des messes, c’est bien rare qu’il y ait 10 000 personnes. Jean-Paul 2, en 2002, y’avait 800 000 personnes. Ça va être l’événement de l’année ». Le séjour à Québec va aussi coïncider avec la neuvaine de Sainte-Anne, près de la capitale, un pèlerinage très fréquenté par les communautés autochtones tous les étés.
L’annonce de ce voyage papal a été accueilli très favorablement au Canada. Ainsi, l'archevêque Richard Smith d'Edmonton, coordinateur général du voyage pour la Conférence des évêques catholiques du Canada (CECC), voit dans cette visite une nouvelle étape importante dans la réconciliation et la guérison des autochtones qui ont subi agressions et traumatismes au sein des pensionnats. « Le pape est là pour les communautés autochtones. C'est sa priorité… La culture et la spiritualité autochtones seront centrales à tous les événements auxquels le pape François participera » a déclaré Richard Smith.
Dans un communiqué, le président de la CECC, Mgr Raymond Poisson, dit que les évêques sont ravis que le Pape François ait accepté l'invitation à poursuivre le chemin de la guérison et de la réconciliation avec les peuples autochtones du Canada.
Par voie de communiqué aussi, le premier ministre Trudeau se dit ravi de cette visite à venir, visite qui n’aurait pas pu se faire, dit-il, « sans le courage et la détermination des Survivants, des dirigeants autochtones et des jeunes qui ont raconté leur histoire ». Il précise l’importance que va revêtir la présentation d'excuses officielles en sol canadien : « Il s'agirait d'une étape importante -- et nécessaire -- dans la poursuite du dialogue entre l'Église catholique romaine et les Premières Nations, les Inuits et les Métis afin de promouvoir une véritable réconciliation pour les peuples autochtones dans notre pays ».
En entrevue avec Radio-Canada, Jean-Charles Piétacho, chef de la communauté d'Ekuanitshit, sur la Côte-Nord, lui-même survivant d’un pensionnat, parle d’une « très belle nouvelle. Cela vient raviver l'espoir dans notre processus de guérison. C'est un événement historique qui va rester dans la mémoire de nos membres. ». Sa communauté est déjà en train de se préparer pour aller voir le pape quand il sera à Québec.
Le ralliement national des Métis se réjouit également de cette visite et souhaite que le Vatican travaille « en étroite collaboration avec nous dans un esprit de réconciliation pour s'assurer qu'il y aura des ressources adéquates pour tous les survivants qui souhaitent y assister », a dit sa présidente, Cassidy Caron, dans un communiqué.
Justement, l’élaboration du programme officiel et des sites précis qui seront visités par le Saint-Père va se faire en partenariat entre le Vatican et les communautés autochtones. Il est déjà entendu qu’il va se rendre sur le site d’un ancien pensionnat.