Fil d'Ariane
Les treize nouveaux cardinaux sont tous des hommes du pape François. Ce sont aussi des hommes proches des populations dans les pays où ils administent leurs diocèses. C'est le cas de l'archevêque de Kinshasa, Mgr Ambongo, artisan du dialogue durant la transition politique en République Démocratique du Congo, qui, avec cette nomination, marche sur les pas de l'autre grande figure du catholicisme congolais, le cardinal Laurent Monsengwo. C'est aussi le cas de Mgr Lopez Romero, archevêque de Rabat et défenseur des migrants au Maroc.
François Mabille, chercheur au CNRS, professeur de sciences politiques à l'Université catholique de Lille, spécialiste de la diplomatie vaticane, revient sur la signification de ces nominations. Entretien.
TV5Monde : Comment interprétez-vous la nomination comme cardinal de l'archevêque de Kinshassa, Mgr Ambongo ? Est-ce un message politique pour le peuple congolais ou pour l'Afrique ? Mgr Fridolin Ambongo Besungu est l'une des figures de la transition politique en RDC.
François Mabille : Le cardinal congolais Monsengwo, opposant au régime de Joseph Kabila, est un très proche du pape. On ne sait pas si la nomination de Mgr Ambongo relève du pape ou du cardinal Monsengwo. L'archevêque de Kinshasa Mgr Ambogo est un frère capucin, ordre proche des Franciscains, un ordre qui travaille pour le sort des plus pauvres. C'est un homme qui s'est engagé surtout en faveur du départ de Joseph Kabila, président de la République Démocratique du Congo. Il a été l'artisan de l'accord de la Saint Sylvestre du 31 décembre 2016, organisant la transition politique et la tenue d'une élection présidentielle. Sa nomination est un encouragement aux Églises africaines à se rapprocher des préoccupations politiques des peuples. Le pape n'a jamais réellement prononcé un grand discour ou produit une encyclique sur la question démocratique, contrairement au sort des migrants, mais il est favorable à ce que l'Église fasse en sorte que le pouvoir politique et la société civile puissent dialoguer. Mais il ne faut pas non plus surestimer l'importance du rôle joué par le Vatican dans la transition politique en RDC. Les initiatives politiques sont venues des églises de RDC. Le pape François n'a fait que les encourager.
Le pape François, dans ces nominations, semble donc favoriser des hommes de terrain, proches des fidèles.
Le pape préfère nommer des cardinaux de terrain qui ont mouillé leurs chemises, plutôt que des théologiens. C'est notamment le cas de Michael Czerny, jésuite canadien d'origine tchèque, actuellement chargé au sein du Vatican des migrants et des réfugiés. L'Espagnol Miguel Angel Ayuso Guixot est également un homme qui a mouillé sa chemise comme missionnaire et comme partisan du dialogue interreligieux avec l'islam, en ayant vécu longtemps en Egypte et au Soudan.
Il a renoué le dialogue entre le Vatican et l'université Al Azhar du Caire, haut lieu théologique musulman, après les propos de Benoit XVI sur l'islam (NDLR : le discours de 2006 à Ratibonne du pape sur l'islam avait suscité chez de nombreux musulmans, colère et incompréhension, estimant que Benoit XVI faisait un lien entre violence et islam). L'archevêque de Rabat, Cristobal Lopez Romero, nouveau cardinal, est également un homme de terrain. Il appartient à la congrégation des Salaisiens. Ils sont impliqués dans la construction d'écoles un peu partout dans le monde. C'est un homme qui a défendu le sort difficile des migrants d’Afrique subsaharienne au Maroc. Le pape privilégie des hommes qui sont sur le terrain proche des communautés, aux nonces (ambassadeurs du Vatican, NDLR) qui arpentent les salons dorés. Ces treize nominations confirment cette volonté.
Le pape François aura donc renouvelé plus de la moitié du collège des cardinaux. Le pape François prépare-t-il sa succession, ou cherche t-il à étouffer par le nombre certains opposants au sein de la Curie ?
Tous les papes ont véritablement cherché à étoffer à leur image le collège cardinalice. Benoit XVI, en démissionnant, a créé un précédent. Il n'est pas impossible que le pape, 83 ans, démissionne, ne se sentant plus la force de continuer. Les oppositions au pape sont de plus en plus ouvertes.
Les opposants au pape au sein du Vatican, autour de Robert Sarah, cardinal de Guinée Conakry estiment que le pape n'est pas assez théologien. Ils lui font même un procès en incompétence. Ils lui reprochent d'oublier le dogme. Lors des derniers débats sur la famille, le pape François a été ainsi mis en minorité. Quelle vision de l'église va l'emporter ? Celle du pape François, collégiale et ouverte sur le monde et les sociétés, ou celle de ses opposants, fidèles aux grands dogmes de l'Église ? Il est très compliqué de dire quel est le rapport de force aujourd'hui au sein de la Curie entre ces deux visions.
Fridolin Ambongo Besungu, figure de l'église catholique congolaise.
Fridolon Ambongo est né à Boto dans le diocèse de Molegbe, province du Nord-Ubangi dans la région Nord-ouest de son pays, la République démocratique du Congo. Il est ordonné prêtre en 1988. Il franchit progressivement la hiérarchie de l'Église catholique et est sacré évêque de Bokungu-Ikela, en mars 2005, dans la province de l'Equateur. C'est un homme bien connu de la classe politique congolaise. Il dénonce les tentatives de Joseph Kabila de repousser les élections présidentielles en RDC, malgré l'expiration de ses deux mandats. La Constitution de 2006 limite à deux les mandats présidentiels. Il est l'une des artisans du dialogue, dans le cadre de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), entre Joseph Kabila et l'opposition. Sous l'égide de l'Eglise catholique, l'accord de la Saint-Sylvestre du 31 décembre 2016 est signé. L'accord met en place une transition politique en attendant l'organisation de l'élection présidentielle. Un an plus tard, le futur cardinal ne cache pas sa colère, contre le pouvoir en place, quand des chrétiens sont tués devant les églises. Ils demandaient le respect de l'accord de la Saint-Sylvestre. Les élections présidentielles interviendront le 30 décembre 2018. Mgr Ambongo devient définitivement archevêque de Kinshasa, le 1er novembre 2018.