Fil d'Ariane
Pour son intronisation, il préféra au métal précieux la croix de bois. Le pape François est mort ce 21 avril à l’âge de 88 ans. Portrait d’un homme simple et direct, responsable d’avancées notables au sein de l’Église catholique, qui ont fait grincer des dents les plus conservateurs.
Le pape François pose avec des soeurs lors de l'une de ses audiences générales organisées chaque semaine.
Le cinquième panache de fumée fut le sien.
Le soir du 13 mars 2013, place Saint-Pierre, de nombreux latino-américains composent la foule amassée. Lorsqu’il arrive au balcon, il est chaleureusement accueilli par la clameur populaire. D’un geste, il interrompt la foule. Et commence dans un italien parfait : « Vous savez que le devoir du conclave est de donner un évêque à Rome. Il semble que mes frères cardinaux sont allés le chercher au bout du monde ».
Le pape François est né. Il a 76 ans. Il est Argentin, de Buenos Aires. Il est le 266ème pape et le premier originaire du continent américain.
Depuis son balcon, il demande aux fidèles réunis de prier pour lui, leur nouvel évêque de Rome. Il ne prononcera pas le mot pape une seule fois ce soir-là et souhaitera à la foule une bonne nuit et un bon repos.
« On a vu comme un fluide qui passait entre lui et la foule, à partir de ce moment-là, il a tout de suite été adopté, c’était presque physique. Il a eu ce « bonsoir », des choses très simples mais qui touchent le coeur des gens », racontera un témoin présent ce soir-là, à la radio France Culture.
Jorge Mario Bergoglio se choisit le nom le plus chrétien qui soit, François. Une référence à François d'Assise, fondateur de l'ordre franciscain dont la vie a été marquée par le dépouillement. Il est le plus populaire des saints, aussi bien parmi les chrétiens que les non-chrétiens et non-catholiques. La devise de l’homme d’église argentin est quant à elle tirée des Homélies de saint Bède le vénérable : “Miserando atque eligendo”, signifiant « ayant pitié de lui, il le choisit ». À cette devise, il sera resté fidèle. François 1er sera « le pape des pauvres ».
Dès le commencement de son mandat de pape, François bouscule le protocole. Il aime le contact. Quelques jours à peine après sa nomination, le jeudi saint, il se rend dans la maison d’arrêt de Rome pour laver les pieds de jeunes détenus, quelque soit leur religion. Quelques jours plus tôt, le 17 mars, lors de la messe à la paroisse Saint Anne, il va au plus près des fidèles et imprime son style : simple et direct. Il dira : « Nous devons êtres des gens normaux ».
Au Vatican, François s’installe dans la résidence Sainte Marthe, dans un appartement. Il lui préfère sa modestie au faste de la demeure pontificale, dont les ors, les boiseries et les interrupteurs aux armes du souverain pontife ornent lourdement les murs.
Le pape Argentin est populaire. On entend ici et là, peu après son arrivée, que « l’Église a rajeunit de 800 ans ». Certains commentateurs parlent de l’état de grâce des 100 jours. Il leur donne tort. Son style enthousiasme. Il communique simplement avec les fidèles et n’emploie jamais de mots rares. Six mois après son accession au trône du souverain pontife, le pape François donne le ton.
« Même si le pape faisait le tour de la place Saint Pierre pendant une journée, il ne pourrait pas rencontrer directement les gens. Il faut donc que le sentiment de rencontre soit construit autrement que par le contact direct. Il l’a établi par sa manière de s’exprimer, toujours simple », raconte le Cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, à la chaîne KTO, en 2013.
L’origine du pape François marquera, elle, ce que certains qualifieront d’une rupture culturelle au Vatican. L’Argentin est très sensible aux questions sociales. Son expérience pastorale est récente et spécifique, latino-américaine plutôt qu’européenne.
François instaure l’idée d’une « Église pauvre pour les pauvres » et conjugue la simplicité de sa personne à une certaine rigueur, qu’il demande à tous les catholiques. Pour lui, il n’est pas possible de rencontrer les pauvres, si l’on a pas soi-même une expérience de la pauvreté. Il met en garde contre « le danger de la mondanité » et demande à ce que les fidèles s’en dépouillent :« C’est triste de voir un chrétien mondain », dira-t-il, ou encore : « On ne peut pas servir deux maitres, Dieu et l’argent », aiguisant toujours un peu plus son sens du sarcasme et de la formule.
Loin de se réfugier derrière un monde de phrases et d’idées, François veut être un pape dans son époque. Il en sera un fervent critique.
Il fait de la défense des migrants un axe majeur de son pontificat. En déplacement à l’île de Lampedusa, en mer Méditerranée, en juillet 2013, il affirme : « Nous avons perdu le sens de la responsabilité, dans la globalisation de l’indifférence ». Il lui oppose la globalisation de la « coopérative ».
Sept ans plus tard, il publie son encyclique, une lettre ouverte aux évêques, intitulée Fratelli tutti (tous frères).
Parue dimanche 4 octobre, le pontife argentin la consacre à « la fraternité et l’amitié sociale ». Il s’agit du premier grand texte pontifical sur la mondialisation. Il aborde les mutations qui affectent toutes les dimensions de l’existence sur Terre.
Lire : Pape François : en vert et contre tous
Cinq ans plus tôt, en 2015, il publiait Laudato si, la première encyclique d’un pape relative à la crise écologique. Fidèle à l’identité jésuite, il s’éloigne toujours un peu plus de l’état contemplatif de certains de ses prédécesseurs.
Rome aura connu de nombreux évêques. Son 266e, sans même le vouloir, révolutionne la fonction. De nombreux papes bénédictins, dominicains ou encore franciscains auront foulé les pavés gris de la cité du Vatican. Le pas lent de François - il vit avec un poumon fonctionnel, l'autre ayant été amputé d'un lobe - aura fait connaître à ces pavés chargés d’histoire, leur tout premier jésuite.
Il est issu d’une formation intellectuelle poussée. Quinze ans d’études en théologie, philosophie et psychologie auront été nécessaires pour que François puisse être reconnu pleinement jésuite, à 33 ans.
« C’est la première fois qu’un vrai prêtre missionnaire est nommé à la tête de l’Église », raconte en 2013 l’historien spécialiste de la papauté, Hervé Yannou, au Nouvel Obs.
Son missionnariat, Jorge Mario Bergoglio l’exercera principalement dans un pays aux plaines désertiques, aux reliefs imposants et aux cascades puissantes : l’Argentine.
Il naît dans la capitale, Buenos Aires, le 17 décembre 1936. Il est fils d’émigrants piémontais : son père Mario est comptable, employé des chemins de fer, tandis que sa mère, Regina Sivori, s’occupe de la maison et de l’éducation de ses cinq enfants.
Le futur pape François montre d’abord des prédispositions en chimie. Il est diplômé technicien. À l’âge de 17 ans, il a une révélation et décide d’entrer dans les ordres. À 23 ans, il se tourne vers la Compagnie de Jésus dont les clercs se font appeler «jésuites».
Pour en être, il doit cultiver son jardin. Il part étudier les lettres au Chili et revient étudier la philosophie en Argentine. Entre 1964 et 1965, il enseigne comme professeur de littérature et de psychologie à Santa Fé, puis à Buenos Aires. Il est ordonné prêtre le 13 décembre 1969.
Après un doctorat en Allemagne, entrepris pour compléter sa formation, Jorge Bergoglio rentre dans son pays, l’Argentine, pour devenir prêtre dans la ville de Cordoba, située à 700 kilomètres de Buenos Aires. Contrairement aux autres ordres catholiques, il ne vivra pas en communauté dans un monastère, mais en ville, dans le monde, comme tout jésuite.
La période qui suit est peut-être l'une des seules ombres au tableau de François.
Entre 1976 et 1983, l'Argentine est sous le coup d'une dictature militaire qui fait des milliers de morts et de disparus. Une période pendant laquelle Jorge Mario Bergoglio, à l'époque supérieur de l'ordre des jésuites, se fait discret dans ses prises de paroles. Le futur pape n'émet alors aucune condamnation ni même aucune critique de la dictature. Cela lui sera reproché plus tard.
Le 20 mai 1992, Jean-Paul II le nomme évêque titulaire d’Auca et auxiliaire de Buenos Aires. Il reçoit l’ordination épiscopale des mains du cardinal. C’est là qu’il choisit sa devise de toute une vie : « Miserando atque eligendo », qui signifie « choisi parce que pardonné ». Cette devise se réfère précisément à la conversion de l'évangéliste Saint Matthieu.
Il vit dans son appartement. Chose rare pour un évêque, il se déplace en bus et en métro et sort très régulièrement dans les bidonvilles de la capitale, pour aller à la rencontre de l’une des « périphéries » du monde. Il redonne une seconde vie aux «curas villeros», ces prêtres œuvrant dans la misère, la violence et le narcotrafic des favelas. « Apparus dans les années 1960, ils étaient catalogués comme très à gauche avec un profil tiers-mondiste », explique Mariano de Vedia, journaliste au quotidien argentin La Nacion et biographe du pape.
En 2001, Jorge Mario Bergoglio refuse d’être élu à la tête de l’épiscopat argentin. Il devient la même année, cardinal, à Rome.
Il demande à ses compatriotes de ne pas se rendre à sa nomination dans la capitale italienne, et à destiner aux pauvres l’argent du voyage.
Le jésuite est exigeant, voire même parfois qualifié de « dur », aussi bien avec le clergé que la communauté catholique. Sur la question du mariage, il dira qu’il est « une grâce reçue, il faut rester fidèle à cette grâce ». À cette fermeté se conjugue toutefois du réalisme. En octobre 2015, le pape François propose un synode sur la famille pour tenter d’ouvrir l’église aux divorcés.
Le mariage reste pour lui un « sacrement. C’est un homme et une femme ».
Il prend cependant plusieurs fois position sur l’homosexualité et se dit en 2020, favorable à titre personnel à « une loi d’union civile » pour les personnes homosexuelles. Elle viserait à donner aux partenaires homosexuels des droits communs en matière de pensions, de soins de santé et d’héritage.
En juillet 2013, dans l’avion le ramenant des Journées mondiales de la jeunesse au Brésil, il se met à dos certains conservateurs en déclarant que « le problème n’est pas d’avoir une tendance homosexuelle, le problème, c’est de faire du lobbying. Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ? ». Pour certains, la phrase est un signe d’espoir venant d’un pape « gay friendly ». Sur le plan doctrinal en revanche, rien ne change. La condamnation des actes homosexuels demeure dans l’enseignement du catéchisme.
Mais le geste est là. Au sein de l’Eglise, le pape est très critiqué par les plus conservateurs. Ils lui reprochent d’envoyer des signaux contradictoires sur l’homosexualité et sur d’autres sujets, comme le divorce.
« Sur le net, des groupuscules alimentés par les conservateurs de la curie, emploient des mots très agressifs pour le qualifier. Il serait « populiste », « démagogue ». Il existe une campagne de délégitimation du pape. Concrètement la structure veut empêcher les réformes. Un prêtre argentin a une fois dit au pape : « Tu le sais, Jorge, que tu es dans un endroit où tu risques ta vie ? - Ce serait la meilleure chose pour moi », a-t-il répondu.
« Le pape est aussi prêt au martyr, il sait que sa mission présente des risques », raconte au micro de France Culture le journaliste Marco Politi, auteur de l’ouvrage « François avec les loups », en 2015.
François sait, bien avant d’avoir porté l’habit de pape, que la curie est politique, sujettes aux conflits d’intérêts et aux scandales. Il s’en était d’ailleurs toujours tenu éloigné. Son prédécesseur, Benoit XVI, en aurait fait les frais selon certaines rumeurs, indiquant qu'il aurait préféré abdiquer notamment pour chasser du pouvoir certains ministres fauteurs de trouble. François, lui, dispose d’un caractère plus affirmé et tranchant.
Il met les points sur les i, un an après le début de son pontificat, en 2014, lorsqu’il présente ses voeux à la curie.
« La curie, comme tous les corps humains, est exposée à des maladies(…). À la maladie de diviniser les chefs. C’est la maladie de ceux courtisant leurs chefs, espérant obtenir leur bienveillance. Ils sont victimes de l’opportunisme, de l’esprit de carrière. Ils aiment les personnes, et pas dieu, ce sont des personnes qui vivent leur service en pensant uniquement à ce qu’il doivent obtenir et pas à ce qu’ils doivent donner. Ce sont des gens lâches, malheureux, inspirés seulement par leur égoïsme. Cette maladie pourrait aussi toucher les chefs, lorsqu’ils courtisent leurs collaborateurs pour obtenir leur soutien.(…) À la maladie des personnes qui cherchent sans relâche à multiplier leur pouvoir, dans ce but ils sont capables de diffamer, de discréditer… »
L’énumération des maladies dont la curie est atteinte dure une vingtaine de minutes. Filmée par la chaîne KTO, elle fera le tour du monde et des foyers, qu’ils soient catholiques ou laïcs. Les mines dans l’assemblée des clercs sont déconfites, les mains nerveuses. Pour la curie, le message adressé est clair : le pape sait avec qui il travaille et ne se laissera pas faire.
Au mois de janvier 2022, le souverain pontife prend à nouveau position sur le sujet de l’homosexualité, en s’adressant cette fois-ci aux parents des enfants concernés. Il leur demande d’offrir un soutien à leurs enfants, « sans se cacher derrière une attitude de condamnation ».
S’il hérite de certains dossiers déjà ouverts par son prédécesseur Benoit XVI, François n’en est pas moins un grand réformateur. Le 19 mars 2022, le pape clôt un chantier ouvert depuis sa nomination, en 2013. Il promulgue la nouvelle constitution apostolique de la curie romaine. Celle-ci réforme le fonctionnement de la curie, l’administration centrale du Vatican, son gouvernement, en quelque sorte.
Les budgets sont revus, les laïcs et des femmes, qui plus est, sont autorisés à occuper un poste dans un dicastère (l’équivalent d’un ministère). L’accent est mis sur la transparence et les qualifications des clercs fonctionnaires.
Le dévouement ne suffit plus. Un organe au sein de la curie est chargé de juger les infractions graves au droit canonique, parmi lesquelles les violences sexuelles. La commission pontificale pour la protection des mineurs, jusqu’alors externe et purement consultative, est intégrée au gouvernement de l’Église.
Cette question latente des abus sexuels au sein de l’Église va habiter, ou hanter, le mandat du pape François. Elle le forcera à se positionner, de plus en plus, sur un point sur lequel il annonçait au début de sa nomination, ne pas vouloir s’appesantir plus que sur un autre. Il change rapidement d’avis.
Dès juillet 2013, à sa demande, au sein du Vatican, le détournement de mineurs, la prostitution, le harcèlement, les violences et les actes sexuels sur mineurs sont inscrits dans le Code pénal, de même que la pédopornographie, y compris pour le corps diplomatique.
L’année suivante, le pape François rencontre des victimes d’abus sexuels perpétrés par des membres de l'Église. « C'est à ce moment que le pape a pris en compte la gravité de la situation » explique Anthony Favier, historien et spécialiste des enjeux de genre dans le catholicisme contemporain, au magazine Marianne, en octobre 2021. Au Vatican, un tribunal est créé pour juger les évêques qui couvrent des abus sexuels.
Le 17 décembre 2019, le pape décide de lever le secret pontifical sur les agressions sexuelles. Les autorités civiles qui enquêtent ont désormais le droit d'exiger du Vatican ou bien des diocèses les dossiers de prêtres accusés.
L’authentification des nouvelles fondations religieuses est peu après exigée, pour éviter les dérives. L’Église catholique inscrit également dans son code législatif interne un article explicite sur les crimes sexuels commis par des prêtres contre des mineurs.
Le mardi 5 octobre 2021, le rapport « Sauvé » de la CIASE, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l'Église catholique, choque l’opinion publique du monde entier.
Il fait état de chiffres édifiants, après deux ans et demi d’enquête et recense 216 000 victimes d’agressions sexuelles commises par des clercs en 70 ans et 3 000 prêtres soupçonnés d'être des prédateurs sexuels.
Le 6 octobre, le pape François réagit.
« Je désire exprimer aux victimes ma profonde tristesse et douleur pour les traumatismes subis, et ma honte, notre honte, pour la très longue incapacité de l’Église de les mettre au centre des préoccupations (…). C’est le moment de la honte. »
Ce ne sera pas là le seul chantier entrepris par François. Certains diront de lui qu’il « remet la diplomatie au centre », en bon jésuite. Cette diplomatie, le souverain pontife l’entretien avec un continent en particulier : l’Afrique. Le chef du plus petit État du monde a renforcé le poids de l’Église catholique dans de nombreux pays africains, bien que son étiquette de réformateur ne plaise pas toujours aux prélats des épiscopats africains, souvent plus traditionnels et conservateurs.
En vrai missionnaire, le pape François encourage les nonces apostoliques, chargés de représenter personnellement le pape auprès d’un gouvernement étranger, à se rendre sur le terrain et quitter les couloirs des ambassades. Son action dépasse la simple religion et touche au politique.
En RD Congo, le pape soutient l’Église qui est en opposition directe avec le pouvoir de Joseph Kabila, au pouvoir de 2001 à 2019.
« L'église catholique par l'intermédiaire de Laurent Monsengwo ( Laurent Monsengwo était un cardinal congolais, fervent défenseur de la démocratie en RDC, ndlr) est passée d'une tentative de médiation à une logique d'opposition au pouvoir. D'ailleurs les relations entre le cardinal et les Kabila, père et fils, ont été toujours compliquées, dès le début des années 2000. Chaque semaine dans toutes les églises catholiques du pays, les cloches sonnent pour demander le départ de Kabila. Le pape soutient l'église du pays également parce que Laurent Monsengwo est un très proche », raconte en 2018 François Mabille, spécialiste de la diplomatie vaticane.
Lors de ses trois premiers voyages en Afrique, le pape François s’est rendu tour à tour en Ouganda, au Maroc, au Kenya, en République centrafricaine, puis en Égypte.
En juin 2022, un communiqué officiel du Vatican annonce l’annulation de son voyage très attendu en RD Congo et au Sud-Soudan, prévu du 2 au 7 juillet, pour des raisons liées à sa santé. Les diverses infiltrations à son genou droit ne suffisent pas pour apaiser la douloureuse arthrose dont il souffre. Il se déplaçait depuis mai en fauteuil roulant et se remettait toujours d’une délicate opération du colon, réalisée à l’été 2021.
Il finit par s'y rendre, le 31 janvier 2023, pour son 5e et dernier voyage sur le continent. En République démocratique du Congo, déchirée à l'est par une guerre menée par le groupe armé rebelle du M23 soutenu par le Rwanda, le pape est accueilli par plus d'un million de fidèles. Certains ont passé la nuit devant l'aéroport de Kinshasa, pour être sûrs d'assister à la messe donnée par le souverain pontife le lendemain matin.
Devant les autorités, les représentants de la société civile et le corps diplomatique congolais, François tient ces mots :
"Nous ne pouvons pas nous habituer au sang qui coule dans ce pays, depuis des décennies désormais, faisant des millions de morts à l’insu de beaucoup. Il faut que l’on sache ce qui se passe ici, que les processus de paix en cours, que j’encourage de toutes mes forces, soient soutenus dans les faits et que les engagements soient tenus."
Le 2 février, dans le stade des Martyrs de Kinshasa, comble, il commence son discours en s'adressant à la jeunesse congolaise.
"Je voudrais maintenant vous demander, pendant quelques instants, de ne pas me regarder, mais vos mains. Ouvrez les paumes de vos mains, fixez-les des yeux. Mes amis, Dieu a mis entre vos mains le don de la vie, l’avenir de la société et de ce grand pays (...). L'avenir du pays est entre vos mains."
Dans la suite de son ultime tournée africaine, il se rendra au Soudan, pays lui aussi déchiré par la guerre.
Le 7 octobre 2023, le Hamas lance une attaque sans précédent contre Israël. En retour, l'armée israélienne s'engage dans une offensive terrestre et aérienne sur la bande de Gaza.
François sort de l'habituelle neutralité du Saint Siège sur ce dossier, déjà en appelant immédiatement à la paix, et très rapidement en condamnant l'offensive israélienne. « L’arrogance de l’envahisseur (…) l’emporte sur le dialogue » en « Palestine », déclare-t-il à la fin du mois de novembre 2023.
Dans "L’espérance ne déçoit jamais : Pèlerins vers un monde meilleur" , livre écrit par François sorti en 2024, le pape appelle à une étude « minutieuse » pour déterminer si la situation à Gaza « correspond à la définition technique » du génocide.
Le 21 décembre 2024, lors de ses traditionnels voeux devant la curie romaine, il réagit à une information donnée par le porte-parole de la Défense civile de la bande de Gaza, Mahmoud Bassal.
« Hier, des enfants ont été bombardés. C’est de la cruauté, ce n’est pas la guerre. Je tiens à le dire parce que cela me touche au cœur.»
Le ministère israélien des Affaires étrangères, en réaction aux propos du pape, dénonce des paroles « particulièrement décevantes car elles sont déconnectées du contexte réel et factuel de la lutte d’Israël contre le terrorisme djihadiste ».
« Les critiques devraient être uniquement adressées aux terroristes, pas à la démocratie qui se défend face à eux. Il faut en finir avec les deux poids, deux mesures, et la mise à l’index de l’État hébreu et de son peuple », réagissait peu après le ministère des affaires étrangères israélien.
Dès son intronisation, le pape François a quelque peu rejeté sa fonction de chef des 1,3 milliards de catholiques dans le monde. « Quand on a donné son nom à la foule, a suivi de sa part un silence total. Nous (tous ceux derrière le pape, au balcon) avons cru qu’il allait faire une crise cardiaque, d’émotion. Ce n’était pas ça. Il intériorisait cette élection. On est tous restés les bras ballants. La foule avec », raconte en 2015 une soeur sur les ondes de France Culture.
Jorge Mario Bergoglio était d’abord et avant tout l’évêque des Romains, un fonctionnaire à leur service. Ce n’est d’ailleurs qu’à eux qu’il s’est adressé, le 13 mars 2013, place Saint-Pierre. « C’était pour lui une façon de dire : « C’est parce que je suis l’évêque de Rome que je suis le pape. Vous ne me ferez pas jouer le pape. Je ne suis pas là pour être l’évêque du monde », dira de lui le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris.
Incarner l’évêque du monde et participer à le changer un peu. Cette mission vertigineuse, le pape François l’aura pourtant menée, à sa façon, pendant plus de dix ans.