Le pape François conclut ce mercredi sa visite de cinq jours au Mexique. Fidèle à lui-même, « le pape des pauvres », n’a épargné ni les politiques corrompus ni la haute hiérarchie ecclésiastique proche du pouvoir. La fermeté papale peut-elle faire bouger les lignes de ce pays rongé par la violence et les inégalités ?
« Nous t’aimons pape, nous t’aimons », scande la foule agitant le drapeau national ainsi que celui du Vatican. La même scène de joie et de ferveur se reproduit à chaque fois que François parcourt les avenues mexicaines, prie dans une cathédrale pleine à craquer, s’arrête dans un hôpital ou s’entretient avec des jeunes.
Dans son élément, le chef de l’Eglise catholique sourit et part littéralement au contact des fidèles, son leitmotiv. Il y va sans dire que François était en terrain conquis. Le Mexique se hisse au rang du deuxième pays le plus catholique au monde après la Pologne : 81% de la population mexicaine se dit catholique. Soit environ 96 330 000 d’âmes selon les statistiques de 2011, fournies par le
Pew Reserch center’s Forum on religion and Public Life.
Il ne peut pas pour autant se reposer sur ses lauriers. Les Mexicains, qui avaient réservé un accueil tout aussi chaleureux à Jean-Paul II puis à Benoit XVI, attendent beaucoup de lui sur le terrain de la justice sociale, de la violence et de la corruption. Plus de 100.000 personnes ont péri dans les violences liées au trafic de drogue au cours des dix dernières années,
selon les chiffres officiels. Et 99% des crimes au Mexique ne sont pas punis.
Bergoglio, pourfendeur de la corruption
Conscient de l’enjeu, Bergoglio n’a pas chômé. Le samedi 13, il s’est rendu au Palais national, le siège mexicain du pouvoir exécutif, où il a déclaré : «
L’expérience nous montre que chaque fois que nous cherchons la voie du privilège ou du bénéfice de quelques-uns au détriment du bien de tous, tôt ou tard la vie en société devient un terrain fertile pour la corruption, le narcotrafic, l’exclusion des cultures différentes, la violence, y compris pour le trafic de personnes, la séquestration et la mort causant la souffrance et freinant le développement ».
Un parterre de notables, allant du député jusqu’au président de la République, Enrique Peña Nieto, a applaudi à tout rompre comme si le message ne lui était pas adressé. Si ce public a fait la sourde oreille, les Mexicains – et la presse avec- l’ont reçu cinq sur cinq.
Le lien trouble entre l'Eglise mexicaine et l'élite politique
Un peu plus tard dans la journée, François a officié dans la cathédrale de Mexico. Il a demandé aux 130 évêques du pays d’avoir le courage de faire face au narcotrafic et de ne pas se laisser corrompre. Et comme il l’avait déjà fait à maintes reprises, il les a invité à aller à la rencontre des plus faibles plutôt que de se laisser séduire par le luxe. Une allusion à peine voilée à Onésimo Cepeda, un puissant évêque connu pour sa passion pour le golf, pour ne mentionner que lui.
«La corruption est une pathologie qui touche tout le tissu social du Mexique, spécialement ses élites politiques et religieuses. Entre la hiérarchie de l’Eglise et la classe politique règne un dangereux échange de bons procédés et de complicités souterrains qui font du mal à une démocratie déjà en souffrance »,
explique le sociologue et spécialiste de la question religieuse Bernardo Barranco.
Cette relation privilégiée est relativement récente. Après l’indépendance mexicaine au début du XIXè siècle, s’opère une violente –voire sanglante- séparation de l’Eglise et de l’Etat. Le Mexique devient un pays laïc. Une réforme constitutionnelle favorise en 1992 une réconciliation : Mexico et le Vatican rétablissent leur relation diplomatique.
« A partir de ce moment, l’Eglise s’appuie sur l’Etat pour reconquérir la société. Ses initiatives, son agenda, et ses interventions publiques sont négociés avec la classe politique mexicaine. En échange, l’Etat véhicule l’idée que sa légitimité émane du soutien de l’Eglise. De fait, l’Eglise devient un facteur de gouvernabilité pour le meilleur et pour le pire»,
note l’historienne Soledad Loeza.
« Le pape est venu dialoguer, ajoute Bernardo Barranco. Il est ici pour pousser le Mexique vers un changement et cela peut mettre certains groupes de pouvoir mal à l’aise car ils n’aiment pas se faire réprimander ».
La réconciliation avec les indiens du Chiapas
A Ecatepec dans l’Etat de Mexico, où 600 femmes ont été assassinées en deux ans, le chef de l'Eglise catholique a exprimé ce désir de changement. Au moins 3000 personnes assistant à la messe dominicale ont été priées de faire de leur pays
« une terre d’opportunités ». Et en a profité pour évoquer le Mexique idéal
« où il ne sera pas nécessaire d’émigrer pour rêver, où il ne sera pas nécessaire d’être exploité pour travailler, où il ne sera pas nécessaire de faire du désespoir et de la pauvreté d’un grand nombre l’opportunité de quelques-uns ».
François n’allait pas en rester là. Il s’est rendu à San Cristobal de las Casas, dans le Chiapas. L’Etat le plus pauvre du Mexique et
le moins catholique du pays. Selon les chiffres de l’institut national de statistiques, à peine 58,3% de la population est pratiquante. Le pape y a défendu les indiens en signalant
« que leurs peuples avaient été de manière systématique incompris et exclus de la société ». Il est allé jusqu’à s’en excuser.
« Cette reconnaissance est fondamentale dans un pays comme le Mexique, mais aussi dans d’autres pays latinoaméricains »,
indique María Luisa Aspe, professeure d’histoire à l’Université Iberoaméricaine.
Mais le symbole est ailleurs. L’iconoclaste François s’est recueilli sur la tombe du père Samuel Ruiz décédé en 2011. Défenseur de la cause indienne, il avait été peu à peu ostracisé par la hiérarchie ecclésiastique. Le pêché original date de 1994 quand il devient le médiateur entre l’Etat et le mouvement zapatiste du
sous-commandant Marcos. Le gouvernement de l’époque compte sur sa fidèle alliée, l’Eglise mexicaine, pour le mettre définitivement au placard. La raison officielle ? Il aurait encouragé le soulèvement des indiens du Chiapas. En réhabilitant le prêtre Samuel Ruiz, le pape François rappelle à l’ordre une fois de plus la puissante Eglise mexicaine.
« Le pape arrive à un moment où une autre page de l’Histoire est en train de s’écrire, explique Bernando Barranco.
L’anticléricalisme existe bel et bien . L’égo surdimensionné de certains membres du clergé existe aussi. Le pape est en capacité d’équilibrer ces deux forces et peut donc avoir un vrai impact politique dans le pays ».
Diplomatie et stratégie
C’est ce que souhaitent ardemment les habitants des régions les plus vulnérables que François n’a cessé de fouler pendant son périple. C’est le cas de l’Etat du Michoacan , sur la côte Pacifique, où prolifèrent les cartels pseudo-religieux mais réellement dangereux.
"On verra si sa visite calmera les choses très laides qui se passent ici, la violence (...), les enlèvements, les assassinats, les vols", déclare à l’AFP Ana Maria Campos, une habitante de 58 ans.
Dans la ville de Morelia, il a invité de nouveau les prêtes à plus d’action en étant conscient des risques qu’ils encourent. En 25 ans, 52 prêtres ont été assassinés dans cette région où des paysans ont constitué des brigades d’autodéfense. Dans le reste du pays, de nombreux prêtres qui s’engagent auprès de la communauté et contre la violence deviennent des cibles de choix du crime organisé.
La stratégie du pape : réveiller une hiérarchie endormie et confortablement installée tout en encourageant les petites mains à poursuivre leur labeur. Sans attendre des miracles, de nombreux observateurs font confiance aux talents de diplomate de François. Le premier pape latinoaméricain a déjà fait ses preuves en jouant
un rôle actif dans le rapprochement entre la Havane et Washington ou encore
dans les négociations de paix entre la guerilla des Farc et le gouvernement colombien.
Je trouve son discours tiède
Mais cette visite n’est pas sans fautes aux yeux de certains.
«Je trouve son discours tiède. Il n’a fait aucune allusion aux étudiants disparus d’Ayotzinapa, ni aux journalistes disparus de l’Etat de Veracruz [le gouverneur de cet Etat devenu ultra-violent serait derrière ces assassinats].
Où est le pape progressiste ? »,
se demande le politologue Genaro Lozano.
Ce silence pèse aussi sur les familles des 43 étudiants qui
ne cessent de rappeler que le pape « ne souhaite pas les voir ». Dans la presse nationale, le père Solalinde - connu pour son engagement pour les migrants et contre les disparitions forcées - estime qu’il est indispensable de parler de ces étudiants car
« leur cas est emblématique de ce qui se passe au Mexique ». En dix ans, au moins 26.000 personnes ont disparu.
D’ailleurs, de nombreuses associations de familles de disparus ont exprimé leur déception. Une déception qui risque d’être nourrie par les déclarations du porte-parole du Vatican, Federico Lombardi :
« On essaye de faire pression sur le pape pour qu’il se prononce sur l’affaire Ayotzinapa. Bergoglio n’établit aucune hiérarchie parmi les victimes » Pour se rattraper, les organisateurs ont réservé trois sièges aux parents des disparus d’Ayotzinapa lors de la messe prononcée à Ciudad Juarez pour les victimes de violences. Encore une ville qui incarne les maux du Mexique. «
On ne demande que trois minutes », disent les parents des
« normalistas ».
« Si le pape accordait enfin cette audience, ce serait un véritable coup dur porté au gouvernement d’Enrique Pena Nieto qui fait tout pour enterrer le dossier», explique le père Solalinde qui pense que ce serait aussi un coup dur pour la hiérarchie ecclésiastique restée très discrète dans cette affaire.
Dans la ville de Morelia, des séminaristes ont rendu hommage aux étudiants disparus avant l'arrivée du pape. Le dossier brûlant de la pédophilie
C’est le silence sur un autre dossier encore plus brûlant qui entache cette visite : l
es cas de pédophilie dans le clergé mexicain. Comme pour Ayotzinapa, des parents de victimes avaient sollicité une rencontre avec le pape. Le refus a été immédiat. Un refus surprenant, car François prône la tolérance « zéro » et l’année dernière aux Etats-Unis, il a dit à cinq victimes d’abus :
« Les coupables devront rendre des comptes ». En 2014, une enquête nationale réalisée auprès des catholiques indiquait que 90% des catholiques espéraient que les prêtres accusés de pédophilie soient dénoncés par l'Eglise.
Sur les réseaux sociaux, des organisations y compris catholiques, se mobilisent pour aborder le sujet de la pédophilie pendant la visite du pape. Ces lourds non-dits ne font pas pour autant oublier l’indignation que soulève
« le nettoyage social » dénoncé par de nombreuses associations, mis en oeuvre pour chasser les sans-abris qui se trouveraient sur le passage du pape. Ou encore le coût exorbitant (8,6 millions de dollars) de la visite supporté par des mécènes et par les collectivités locales. Le Vatican
avait bien dit que le pape n’allait pas au Mexique pour régler ses problèmes. Mais il n’avait pas dit qu’il y allait pour renforcer des inimitiés entre son Institution et des milliers de Mexicains qui, déçus, s'en sont éloignés.