C'est un camouflet de plus pour les appareils socialistes en dérive. Donné pour politiquement mort, l'intraitable gauchisant Pedro Sánchez a remporté ce 21 mai, dans un scrutin interne décisif du Parti socialiste ouvrier espagnol, 50% des voix contre 40% pour Susana Diaz, la candidate des barons et de l'aile droite du P.S.O.E..
Ces dernières avaient
en octobre dernier réussi à faire tomber sa tête au prétexte de ses mauvais résultats électoraux, plus encore pour son refus – toujours ferme, malgré une année sans gouvernement pour l'Espagne - de composer avec la droite, ses velléités d'alliance avec la gauche « radicale » Podemos, voire de compromis avec des mouvements nationalistes.
Encouragé par les figures tutélaires de Felipe Gonzalez et Jose Luis Zapatero (anciens chefs du gouvernement), le putsch avait permis à une direction provisoire de prendre les rênes du parti … Lequel allait aussitôt ouvrir la voie, par son abstention au parlement, au retour au pouvoir du chef de la droite sortante minoritaire, Mariano Rajoy.
Reconquête
« C'est ici qu'ils l'ont tué, c'est ici qu'il a ressuscité »Un militant
Pedro Sánchez avait qualifié cette décision de «
pire des erreurs » et fait appel aux militants tout au long d'une rude campagne contre Susana Diaz. Patronne du bastion socialiste andalou, soutenue par l'appareil du parti celle-ci était donnée pour largement favorite, bénie de la classe politico-médiatique dominante.
Journal de « référence » comparable au
Monde français et très lu de l'électorat socialiste,
El Pais avait ainsi combattu un Sánchez présenté comme un socialiste archaïque démagogue et menteur. Pour le microcosme peu enclin à douter de lui-même, le résultat inattendu de dimanche revêt des cauchemardesques allures de Brexit. «
Le virus du populisme a gagné une nouvelle bataille », se plaint un président socialiste de région cité par
le Monde.
Plus de joie devant le siège du parti à Madrid, où les militants ont célébré la victoire de Pedro Sánchez. «
C'est ici qu'ils l'ont tué, c'est ici qu'il a ressuscité », a lancé à l'AFP Juan Jose Orts, militant socialiste depuis 1974. «
Cette victoire offre au parti la possibilité de se reconnecter à la société, de récupérer la jeunesse et d'être crédible ». «
Le Parti socialiste va mener une opposition utile pour défendre la majorité qui est lasse de la corruption du PP et qui souffre de la précarité de l'emploi et des mesures d'austérité » des conservateurs , a déclaré le revenant aux militants en liesse.
Le troisième candidat, Patxi Lopez, 57 ans, qui a obtenu 9,8% des voix, s'est montré positif, félicitant le vainqueur. «
Maintenant, tous derrière lui », s'est exclamé cet ancien président du Pays Basque.
Nouvelle donne
La victoire-surprise de Pedro Sánchez est lourde de conséquences immédiates, au delà du P.S.O.E. Loin de détenir la majorité absolue au parlement, le chef du gouvernement conservateur n'y peut compter sur une majorité relative que par l'abstention des députés socialistes, garantie par une direction qui n'est plus.
Le contrat à durée indéterminée de Mariano Rajoy devient un bail précaire, révocable à tout moment par motion de censure. Son gouvernement, dès aujourd'hui, n'a plus la latitude de faire passer les lois qu'ils souhaite, sauf rupture des députés socialistes avec leur parti et leur ralliement de panique à la droite, qui ne semble pas – en Espagne – d'actualité.
Qui d'autre peut gouverner ? S'il parait avoir les faveurs de Sánchez, un rapprochement du PSOE avec Podemos reste aléatoire et ne suffirait pas, en nombre de députés, sans l'appoint de partis nationalistes. C'est l'une des causes de l'impasse politique espagnole dont a su, dans l'avant-dernière séquence, profiter Rajoy : aucune formation - ou même alliance de deux partis - ne suffit à former une majorité stable.
L'hypothèse d'élections anticipées (l'échéance officielle étant 2020) revient logiquement à l'ordre du jour.
Épidémie
Ce nouveau désaveu par la base d'une direction socialiste accusée de trahison s'inscrit en tout cas dans un ensemble européen où les appareils sociaux-démocrates convertis au libéralisme ne sont pas à la fête. Seul le Portugal échappe à la malédiction générale, pourvu d'un gouvernement socialiste soutenu par l'extrême-gauche (Bloc des gauches et communistes) au terme d'un accord bien plus solide et durable que prévu.
Le vieux PASOK grec s'est trouvé quasiment rayé de la carte par l'ascension de Syriza et les renoncements de ce dernier ne lui ont guère rendu son souffle. Au Royaume-Uni, le pouvoir – contesté – d'un Corbyn « gauchiste » sur le Parti travailliste tient, comme en Espagne, d'un soutien de la base contre les caciques – et surtout les élus – acquis au libéralisme post-blairien. Moins chahutés par les colères internes, les sociaux-démocrates allemands ne semblent guère s'acheminer vers un retour au pouvoir.
Quant au plus
vénérable de tous, le Parti socialiste français, il a en moins de deux mois littéralement explosé sous les souffles conjugués de ses reniements internes, de l’irruption -avec Emmanuel Macron - d'une droite libérale modernisée d'autant plus attractive que … gagnante et celle, sur son autre flanc, d'une nouvelle force de gauche - Jean-Luc Mélenchon et sa "France insoumise"- crédibilisée par un score de près de 20 % à la présidentielle.
Il en sort aujourd'hui divisé au point de ne plus savoir à quel bord se rattache son logo. Et avec ses 6 % au même scrutin, son aile gauche incarnée par Benoît Hamon paraît pour l'heure bien loin de la reconquête interne gagnée par Pedro Sánchez de l'autre côté des Pyrénées.