Fil d'Ariane
Loin d'être passé inaperçu à l'occasion des Jeux Olympiques en France, le contingent de forces qataries envoyées en renfort pour les besoins de sécurité du pays hôte n'a rien d'anecdotique. Sa présence traduit un axe de coopération sécuritaire entre Paris et Doha qui s'inscrit dans la durée.
Le patron de la Force de Sécurité Intérieure du Qatar, Khalifa Ben Hamad Ben Khalifa Al Thani et le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin président à la signature d'un accord de partenariat entre Partis et Doha en matière de sécurité, 28 février 2024, Paris.
On a souvent besoin d’un plus petit que soi, dit l’adage. Sachant que tout puissant a ses faiblesses et chaque petit a ses points forts, la France n’a pas hésité à solliciter pas moins de 44 Etats alliés et amis pour lui fournir des policiers afin d’encadrer la sécurité des Jeux olympiques et paralympiques (JOP). Ces pays, dont 31 européens, ont répondu d’autant plus promptement qu’outre leurs bons rapports avec Paris, leurs ressortissants, sportifs et supporters, devaient y affluer par milliers.
Accourus d’Allemagne, de Pologne, d’Espagne, du Portugal, du Royaume-Uni, des Pays-Bas, du Brésil, de Corée du Sud et du Qatar, 1 750 policiers volontaires ont été aussitôt déployés un peu partout, autour de l’Arc de Triomphe, au pied de la Tour Eiffel, en un mot au plus près des sites olympiques, paralympiques et touristiques.
Seuls policiers issus d’un Etat arabo-musulman associé à la sécurisation des JOP, les Qataris n’ont pas manqué de titiller la curiosité du public parisien. Avec leurs blindés -de la marque Renault tout de même !- tout en camaïeu de gris, leurs uniformes assortis arborant des écussons frappés en caractères arabes, ils ont, à leur corps défendant, défrayé la chronique.
Y compris au sein de la classe politique, à l’instar de la sénatrice LR Valérie Boyer surprise -et offusquée- sur le réseau X, qu’un pays affichant « une proximité avec les Frères musulmans et le Hamas » vienne épauler les forces de l’ordre françaises. Et d’ironiser : « Bientôt la Chine ou encore la Russie ?». Plus factuel, le ministère de l’Intérieur a tenu à indiquer qu’avec l’envoi de 105 agents, Doha y déployait un renfort majeur.
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A noter, toutefois, que l’appel officiel à des renforts policiers extérieurs repose, s’agissant des Européens, sur le traité de Prüm, du nom de la ville allemande où il a été signé fin mai 2005, par sept Etats membres de l’union, lequel en facilite l’arrivée et le mode d’emploi ainsi que le périmètre d’action, notamment pour lutter contre le terrorisme, le crime organisé transfrontalier, la migration illégale et, au besoin, afin de sécuriser les Jeux olympiques et paralympiques.
Ainsi peuvent-ils garder leurs uniformes nationaux, détenir une arme de poing, une matraque ou un bâton télescopique, un générateur d’aérosol lacrymogène ou incapacitant… Cependant, l’usage de leurs armes restera strictement réglementé et limité à la légitime défense « de soi-même ou d’autrui », selon le ministère de l’Intérieur.
Dans le cas du contingent qatari, son invitation s’opère dans le cadre d’un « partenariat stratégique » reposant sur une suite d’accords sécuritaires bilatéraux conclus entre Paris et Doha entre 1996 et 2014. En vertu de quoi, la Force de sécurité intérieure (FSI) du Qatar, la Lakhwiya ou la « Fraternelle », laquelle dépend directement de l’émir, coopère étroitement avec la Gendarmerie nationale française depuis sa mise sur pied courant 2003.
Selon un accord peaufiné par le menu, fin février 2024, par le patron de la FSI, Khalifa Ben Hamad Ben Khalifa Al Thani et le ministre de l’Intérieur français, Gérald Darmanin, les policiers qataris participeront aux côtés de leurs homologues tricolores aux « patrouilles à pied », aux « opérations de cavalerie », à « l’utilisation de drones », à « la neutralisation des explosifs et des munitions », à « la détection d’explosifs par des chiens », à « la maîtrise des émeutes » ou encore au « contrôle des véhicules, aux premiers secours et aux opérations de recherche et de sauvetage ».
Plus encore, selon le quotidien du soir Le Monde, le GIGN, unité tactique d'élite de la Gendarmerie française, aurait même formulé une demande inhabituelle au Qatar : obtenir le prêt d'une demi-douzaine de véhicules blindés pour lui permettre d'assurer ses missions de sécurité pendant les JOP.
Ce n’est pas la première fois qu’une telle coopération aura eu lieu entre les forces de sécurité des deux pays. Lors de la Coupe du monde de football au Qatar, en 2022, la France avait envoyé 220 policiers et gendarmes à Doha. Aussi, l’appoint de policiers qataris à la sécurisation des JOP relèverait-il tout à la fois du renvoi d’ascenseur et du retour d’expérience.
Au-delà, l’enjeu des Jeux pour Doha serait, outre le savoir-faire et l’expertise acquis en temps réel et à ciel ouvert, au milieu de policiers issus de 43 Etats et d’autant de cultures sécuritaires, de s’assurer en passant un surcroît exceptionnel de visibilité internationale.