Non, le steack tartare ou les oeufs cocottes ne sont pas devenus des joyaux de l'humanité ! C'est un peu plus compliqué que ça : le patrimoine immatériel de l'humanité [voir encadré] veut protéger les cultures et savoir-faire traditionnels, en contrepoint du
patrimoine mondial de l'humanité, qui répertorie lui les aspects matériels de la culture. Certains estiment que les cuisines régionales ou anciennes font partie du patrimoine immatériel, puisqu'elles relèvent à la fois de la tradition, des pratiques sociales et d'un certain artisanat. Le Mexique a été le premier à proposer sa cuisine à l'examen du comité de l'Unesco mais n'a pas obtenu de reconnaissance. La Mission française du patrimoine et des cultures alimentaires l'a suivi dans ce domaine. Et a bien fait...
UNE PRATIQUE SOCIALE Le 16 novembre 2010, le repas gastronomique des Français entre donc au patrimoine immatériel. Ce que les experts saluent ici, ce ne sont pas les plats, la nourriture mais la « pratique sociale », c'est-à-dire - en gros - la vieille habitude des Français de passer des heures à table... Dans le dossier de présentation à l'Unesco, la France souligne que cette pratique a un sens et des rituels bien précis, de la « recherche de bons produits à l'esthétisme de la table et aux conversations. » Ce serait même - toujours selon le dossier - une occasion de « s'ouvrir à la connaissance de l'autre, au dialogue interculturel, à l'amitié entre les peuples. » Selon un sondage Haris interactive pour la fondation Nestlé France, publié le 17 novembre, un bon moment passé à table pour les Français repose d'abord sur la présence d'autres convives (70%), si possible des personnes conviviales, et un peu plus d'une heure et demie est la durée idéale d'un repas de famille. Le sociologue
Jean-Claude Kaufmann n'est pas étonné par le choix de l'Unesco : « Cette décision me paraît juste : la cuisine et la convivialité sont véritablement un art et s'inscrivent dans la culture. C'est bien de le reconnaître. » Pour l'expert, « il y a des diversités culturelles considérables en cuisine, par exemple en Europe : d'un côté les pays anglo-saxons de culture protestante, centrés sur l'individu, le grignotage, l'utilisation du frigo, de l'autre les cuisines du sud, de tradition catholique, avec une tradition du repas et de la famille autour de la table. »
PARADOXE EN CUISINE Et il y a actuellement une évolution des attentes assez paradoxales par rapport à l'alimentation et à la cuisine : « En ce moment, on trouve dans un même pays - et en France aussi - l'alimentation individuelle commode, rapide, sur le pouce, à la maison ou à l'extérieur, mais aussi un intérêt pour le repas à table et la cuisine comme passion : par exemple les télés américaines regorgent d'émissions sur la cuisine gastronomique, alors que ce n'est pas du tout leur tradition. » Alors, les Français sont-ils les meilleurs artistes dans le domaine culinaire ? « La cuisine française a toujours été plus sophistiquée et surtout elle sait se mettre en scène via un art du discours - les écrits de Brillat-Savarin par exemple. » Autre spécificité, ce que les Américains appellent le
french paradox : les Français(es) passent des heures à table mais ne deviennent pas obèses !
Une Française en a même fait un livre devenu un best-seller outre-Atlantique... Jean-Claude Kaufmann reconnaît aussi que d'autres pays pourraient prendre la mouche après cette intronisation : « Ce qui est embêtant c'est le côté un peu snob que peut avoir cette distinction. Cela va sûrement déclencher l'agacement ! Car la cuisine française n'est pas la seule à être un "art". Je pense aux autres cuisines latines par exemple… » Et l'Unesco ne les a pas oublié non plus, en distinguant également le régime méditerranéen - à base d'huile d'olive, de céréales et de fruits et légumes, mais aussi le pain d'épices du nord de la Croatie et la cuisine traditionnelle mexicaine.