Kazan – « chaudron » en turc- fut d’abord la capitale de la Horde d’Or. Cet empire turco-mongol et musulman qui domina la Moscovie du milieu du XIIIème au début du XVème siècle avant de succomber à un ultime assaut d’Ivan le Terrible, fin 1552. Une victoire fondatrice qui voit le noyau russe établi autour de Moscou bondir du statut de principauté, jusqu’alors soumise, à celui d’empire conquérant.
Le choix de Kazan est déjà en soi un clin d’œil appuyé au Sud global convié presque au grand complet à ce premier sommet des Brics élargi de 5 à 9 pays. L’acronyme s’écrit désormais avec le signe "+", en raison de l’adhésion, l’an dernier, de cinq nouveaux États, l’Ethiopie, l’Égypte, l’Iran, les Emirats arabes unis et l’Argentine ayant finalement renoncé à la suite de l’élection du président ultra libéral Javier Milei.
C’est donc un Vladimir Poutine comblé qui a accueilli pas moins de 36 chefs d’États accourus de tous horizons, dont la Chine, l’Inde, l’Iran, l’Égypte, l’Afrique du Sud… Et la Turquie, un pilier de l’Otan qui a déjà fait acte de candidature. Face à un tel afflux, le secrétaire-général de l’ONU, Antonio Guterres n’a pas pu se dérober à l’invitation, en dépit de sa constante condamnation de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. On y a même vu et écouté le président de l’État de Palestine, Mahmoud Abbas, postuler aux Brics+. Ostracisé par l’Occident, le néo-tsar a pris un malin plaisir à s’afficher en hôte accompli d’un événement représentant pas moins de la moitié de l’humanité tous continents et crédos confondus et un bon tiers du PIB mondial, soit un poids nettement supérieur, en parité d’achat, à celui du G7.
Ont également fait le choix d’y assister, des pays désireux d’adhérer au club : une cinquantaine d’observateurs dont 17 africains, 20 asiatiques, 7 d’Amérique latine, 2 d’Europe… Que seront des Brics+ avec des États aux niveaux de prospérité et de traditions politiques aussi disparates ? Nul n’ignore, à ce propos, la défiance entre l’Iran et les Émirats arabes unis, le grave litige entre l’Égypte et l’Éthiopie à propos des eaux du Nil. Quant au conflit séculaire qui oppose la Chine à l’Inde autour de leur frontière de l’Himalaya, les deux géants ont annoncé avoir enfin conclu, la veille du sommet (!), un accord satisfaisant sur la question.
Mettre un terme à la suprématie du dollar
Un objectif commun réunit ces États : ramener le dollar à sa fonction ordinaire, à savoir un terme de l’échange, interchangeable avec l’euro, le yuan, le yen ou le rouble. Et non plus un instrument des États-Unis pour imposer un droit de regard et, au besoin, de sanction, sur toute transaction payée avec le billet vert. Nul esprit de croisade finalement dans cet élan émancipateur; lequel pour « non-occidental » qu’il est, n’a rien d’« antioccidental », selon l'expression du Premier ministre indien Naredhna Modi.
Les Brics+ ne sont « contre personne » clame le Brésilien Lula qu’un méchant rhume a retenu à Brasilia. En revanche, il n’a pas hésité à poser son véto à la candidature du Venezuela, tel un appel de phare à Washington. Le Brésil et l’Inde ne cherchent qu’une chose : lever le verrou du dollar et non l’abolir. Leur prospérité s’en ressentirait lourdement. La Chine et la Russie sont, eux, dans un bras de fer idéologique implacable contre non point l’Occident mais les États-Unis qui en sont à leurs yeux le chef de file. Ils oeuvrent non seulement à désamorcer le dollar mais tout autant à se doter d’un internet « national » chacun, en clair de ne plus « pâtir » d’aucun monopole occidental.
Déjà, la Chine échange en yuan avec l’Arabie saoudite, grand allié de Washington devant l’Éternel. Idem pour la Russie qui y a introduit le rouble. Bien sûr, le dollar reste et restera un étalon majoritaire et universel, simplement, il ne sera plus le seul et unique. Le magazine américain « Foreign Affairs » ne s’y est pas trompé et conclut que : « Non seulement [la Russie] est loin d’être un paria international, mais elle est désormais un membre essentiel d’un groupe dynamique qui façonnera l’avenir de l’ordre international ».
Quant à l’hôte du XVIème sommet des Brics+, il espère que les événements mondiaux penchent en sa faveur, surtout avec le retour possible de Donald Trump à la Maison Blanche ainsi qu’à un score favorable à ses alliés aux élections en Géorgie et en Moldavie, deux pays candidats à l'UE et l'OTAN.