Fil d'Ariane
C'est une série de résultats qui vient quelque peu tempérer le catastrophisme affiché du secteur. La fréquentation touristique des hôtels et autres hébergements collectifs en France a encore reculé au troisième trimestre, mais beaucoup moins qu'au trimestre précédent ; elle a même progressé dans certains domaines.
Selon une étude publiée ce 16 novembre par l'Insee (Institut national de statistiques), cette fréquentation touristique de juillet à septembre s'est repliée de 1,6% par rapport à l'an dernier. Mais d'avril à juin, elle avait chuté de 5,2%, rappelle l'Insee. C’est donc plutôt un redressement.
L'hôtellerie et les autres hébergements collectifs, comme les villages vacances, ont continué à souffrir mais les campings tirent leur épingle du jeu. Les touristes étrangers, surtout, ont parallèlement moins boudé la France qu'au trimestre précédent, la baisse des nuitées de la clientèle étrangère ne reculant que de 5,7%, contre 9,2% d'avril à juin. La fréquentation de la clientèle française, quant à elle, a légèrement rebondi (+0,4% après −3,1%).
Dans le détail, « probablement sous l'effet des attentats de fin 2015 à Paris et Saint-Denis puis du 14 juillet à Nice », la fréquentation des hôtels parisiens et de ceux du littoral a été particulièrement touchée, se repliant respectivement de 14,3% et de 1,2%, note l'Insee. La fréquentation a en revanche progressé légèrement dans les hôtels des zones urbaines de province et des espaces ruraux ou montagneux.
Dans les autres hébergements collectifs comme les résidences de tourisme ou les villages vacances, la baisse de fréquentation est moins vive qu'au deuxième trimestre (−3,4% après −6,3%), notamment pour la clientèle étrangère (−12,1%, après −21,0%). Ils s’en sortent mieux dans les zones rurales, où la fréquentation à bondi de 10%. La fréquentation dans les campings « progresse (+1% sur un an) pratiquement autant pour la clientèle française qu'étrangère ». « Elle est tirée par l'activité dans les hébergements les plus étoilés (+2,8 % pour les 4-5 étoiles) », où les touristes apprécient les emplacements équipés, note l'Insee.
Destination maudite ?
« Effondrement », « chute libre », les médias et responsables français avaient ces dernières semaines rivalisé de superlatifs pour décrire en la généralisant une baisse de l'activité bien réelle … dans certains cas. Une partie de la clientèle asiatique et nord-américaine s’est ainsi sans surprise détournée de l’hexagone après janvier et surtout novembre 2015.
Le fléchissement paraît en réalité presque modeste au regard des événements qui ont marqué le pays depuis près de deux ans: tueries de masse répétées, près de deux-cent-cinquante tués dans des centre-villes mondialement connus ; état d'urgence décrété et devenu permanent sur tout le territoire ; affirmation d'un « état de guerre » régulièrement martelée par les plus hautes autorités, assortie d’un engagement militaire accru sur différents théâtres ; tensions « raciales », exagérées ou réelles mais régulièrement rapportées par la presse anglo-saxonne. Parmi d’autres, l’affaire du « burkini » a gravement tourmenté jusqu'aux lecteurs de la presse australienne.
S'y ajoutent des péripéties plus légères mais peu propices à la quiétude d’une clientèle qui ne vient pas chercher l’aventure à l’ombre de la Tour Eiffel : braquages spectaculaires d’une star américaine dans les beaux quartiers ou de voyageurs chinois sur le chemin de l'aéroport. Long conflit social d'avril à juillet doublé de la surexploitation médiatique de quelques dizaines de vitrines brisées en marge de manifestations : Paris a été pendant des mois présentée comme une ville d’émeutes, quotidiennement mise à sac par des « casseurs » masqués en desperados, et le pays sous la coupe de « terroristes » (terme employé par le premier dirigeant patronal pour désigner le premier syndicat de salariés).
Le climat (tout court), enfin, n'a pas aidé. Le printemps et le début de l'été ont été exceptionnellement pluvieux, transformant toute excursion ou week-end de découverte en épreuve maussade. La crue de la Seine, événement naguère banal, a cette fois donné lieu à des photos diffusées par la presse du monde entier, assorties de commentaires emphatiques. Elle a effectivement perturbé l'activité commerciale des quartiers centraux de la capitale. Le Louvre, premier musée du monde, a été fermé un moment.
L’ombre de la catastrophe.
Dans ce tableau apocalyptique lourdement propagé, que la France et Paris demeurent en tête des destinations du tourisme mondial et n'ait perdu qu'un dixième ou huitième de ses visiteurs pendant quelques semaines relève, en somme, plutôt du miracle, de leur indestructible attractivité … ou d’un bon sens général en décalage avec les médias et réseaux sociaux.
L'ombre de la catastrophe et du déclin n'y a pas moins été dûment brandie, professionnels mais aussi politiques rivalisant d'alarmisme. Sans attendre la confirmation de tendances, Valérie Pecresse (droite, présidente de la région Île de France) et Manuel Valls (gauche, Premier ministre) ont annoncé chacun leur plan d'aide d’urgence au secteur. La première lui promet vingt-trois millions d'euros, le second quarante.
Elle a eu d’autres usages, plus discrets mais non moins conséquents. Aidant à vendre une mesure très controversée, la baisse de fréquentation plus sensible à Paris y a favorisé l'institutionnalisation de l'ouverture des commerces le dimanche et donc du travail dominical. Voulue par la droite et l'aile libérale du gouvernement qui l'avait favorisée par une "loi Macron", elle était combattue par la majorité des organisations syndicales et nombre de figures de la gauche. Initialement hostile à son application qu'elle pouvait empêcher dans la capitale, la maire de Paris Anne Hidalgo s’y est en pratique ralliée le mois dernier contre une partie des siens.
Cette dernière a également fait de la candidature de Paris à l'organisation des Jeux Olympiques 2024 une cause prioritaire, à l'inverse de Rome et Hambourg qui n'en veulent plus. Elle y était naguère réticente, comme une partie de la gauche radicale ou écologiste. S'il n'est pas le seul, l'argument économique a là aussi largement pesé sur cette conversion, opérée sans grand débat public ni consultation hasardeuse de l'électorat.