Charles Sobrahj dit le Serpent, incarné par Tahar Rahim dans la mini-série éponyme de Netflix, a été libéré par la justice népalaise pour raisons de santé. Le tueur en série français avait commis plusieurs meurtres à travers l'Asie dans les années 1970.
La Cour suprême a estimé que Charles Sobhraj, 78 ans, emprisonné au Népal depuis 2003 pour le meurtre de deux touristes nord-américains, doit être libéré pour des raisons de santé, selon une copie du verdict consultée par l'AFP.
Voir : "Le Serpent" : le tueur en série Charles Sobhraj de retour en France ?
"Le maintenir continuellement en prison n'est pas conforme aux droits humains du prisonnier", peut-on lire sur le document.
"S'il n'y a pas d'autres affaires en cours contre lui pour le maintenir en prison, cette cour ordonne sa libération aujourd'hui et (...) le retour dans son pays dans les quinze jours." Le tueur en série a besoin d'une opération à cœur ouvert et sa libération est conforme à une loi népalaise autorisant la libération des prisonniers alités ayant déjà purgé les trois quarts de leur peine, a ajouté le tribunal.
Charles Sobhraj sera donc probablement libéré de la prison centrale de Katmandou le 22 décembre, a déclaré à l'AFP un responsable de la prison. Il devra d'abord comparaître devant un tribunal pour des formalités administratives avant de pouvoir sortir librement, a ajouté le responsable.
Tueur de touristes
Indo-vietnamien, Charles Gurmukh Sobhraj est né à Saigon en 1944, avant d’hériter de la nationalité française, via le mariage de sa mère avec un militaire en poste en Indochine. Après une enfance troublée et plusieurs séjours en prison en France pour des délits mineurs, Charles Sobhraj a commencé à parcourir le monde au début des années 1970.
C'est en octobre 1975 qu'il arrive à Bangkok, la capitale de la Thaïlande, avec Marie-Andrée Leclerc, sa compagne canadienne, et un homme de main rencontré en Inde.
Il s'installe dans le quartier chaud de Patpong.
C'est là qu'il commence à mettre en place son mode opératoire. Il charme et se lie d'amitié avec ses futures victimes, souvent des routards occidentaux en quête de spiritualité, avant de les droguer, de les voler et de les assassiner.
Son implication dans un premier meurtre remonte à 1975 lorsque le corps d'une jeune Américaine juste habillée d’un bikini avait été retrouvé sur une plage de Pattaya.
Décrit comme doux et sophistiqué, il est lié à une vingtaine de meurtres.
Ses victimes étaient étranglées, battues ou brûlées, et il utilisait souvent les passeports de ses victimes masculines pour se rendre à sa prochaine destination.
Le surnom de Sobhraj, "le Serpent", lui vient de sa capacité à prendre d'autres identités pour échapper à la justice et également de sa manie d'empoisonner ses victimes. Il est devenu le titre d'une série à succès réalisée par la BBC et Netflix qui s'inspire de sa vie.
La course du "Serpent" prend fin en Inde en 1976. Il est arrêté après avoir drogué un groupe d'étudiants et est condamné à 12 ans de prison pour le meurtre d'un touriste français empoisonné. Il restera en prison en Inde jusqu'en 1997.
Un magnétisme "fascinant"
C'est en prison qu'il est abordé par deux journalistes australiens, Julie Clarke et Richard Neville à qui il raconte sa vie pour quelques milliers de dollars. Neville paye des gardes pour obtenir un accès régulier au tueur et une étrange relation se noue.
Il leur décrit en détails les meurtres.
"Il méprisait les routards, de pauvres jeunes drogués. Lui se voyait en héros criminel de cape et d'épée", se souvient Julie Clarke.
Il en sortira un best-seller,
"Sur les traces du Serpent", dont la série BBC-Netflix s'est beaucoup inspirée.
Depuis, Sobhraj nie les crimes.
"Les prétendues révélations du livre sont inventées de toute pièce", assure son avocate française, Isabelle Coutant-Peyre.
Des quelques mois passés dans l'ombre du tueur, Julie Clarke garde
"un souvenir traumatisant".
"Nous faisions des cauchemars. Depuis sa cellule, il nous écrivait des missives, dictait ses ordres". Mais, son magnétisme était
"fascinant".
"Si vous étiez un jeune voyageur sur la route des hippies, comment ne pas faire confiance à cet homme féru de bouddhisme et d'hindouisme, qui mêlait Nietzche à la conversation et donnait des tuyaux pour se loger?" raconte-t-elle. Il attirait aussi les routards en leur faisant miroiter des pierres précieuses bon marché qui, une fois revendues, leur permettraient de financer leur voyage.
L'enquête de "la femme du diplomate"
Angela Kane, mariée à un diplomate, croise la route du tueur dans ces années-là, et contribue à son arrestation.
Angela Knippenberg, son nom à l'époque des faits, vivait en Thaïlande avec son époux néerlandais quand
"l'ambassade a reçu une lettre des parents" de deux routards, s'inquiétant de ne plus avoir de nouvelles depuis plusieurs semaines.
"Voilà comment tout a commencé", raconte-t-elle à l'AFP depuis Vienne en Autriche, où cette spécialiste du désarmement nucléaire est entre autres vice-présidente de l'Institut international pour la paix (IIP).
Le couple, intrigué, pose alors des questions et remonte la piste jusqu'aux voisins de Charles Sobhraj.
"Ils avaient vu" les touristes en question, sans faire le rapprochement avec des cadavres
"retrouvés sur la plage", qu'on croyait morts de noyade.
"C'était intense, nous passions beaucoup de temps sur l'affaire et nous avons vraiment été contrariés quand le tueur a fui la ville, probablement en échange de pots-de-vin", dit-elle.
Mais les deux enquêteurs amateurs s'obstinent: ils découvrent
"une longue liste d'adresses dans l'appartement" et des journaux intimes.
"Nous avons transmis à Interpol" les indices recueillis et "les choses ont enfin commencé à bouger", se souvient l'Allemande de 74 ans, dont le talent de polyglotte a permis de traduire les documents.
Dépeinte dans la série Netflix comme
"la femme du diplomate", Angela Kane défend
"son rôle déterminant",
"à son grand regret très sous-estimé" par la fiction du groupe américain.
"J'étais bien plus combative et sûre de moi", insiste celle qui est devenue par la suite une diplomate de haut rang au sein de l'Onu.
Elle n'aura jamais rencontré
"le jeune homme charmant et beau parleur qui en mettait plein la vue" à ses victimes en pleine période hippie, avant de les droguer, de les voler et de les assassiner.
Que va-t-il faire une fois rentré en France ? Va-t-il vivre des aides sociales ?
Angela Kane, diplomate
Et au final, l'épisode n'aura duré que trois mois,
"une part importante" de sa vie.
"Mais en même temps, une fois terminé, j'ai senti qu'il fallait tourner la page", dit-elle,
"contrairement à mon ex-mari" - dont elle se séparera quelques années plus tard.
"On n'oublie pas, on vit avec" mais
"on va de l'avant".
À l'occasion de l'un de ses postes, elle s'est rendue au Népal à plusieurs reprises sans jamais avoir
"l'envie" de visiter Charles Sobhraj dans sa geôle.
"Pourquoi aurais-je voulu le rencontrer? C'est un être humain odieux", lance-t-elle,
"condamnant" le fait qu'il
"continue à faire de l'argent avec les meurtres qu'il a commis" en vendant son histoire aux maison d'édition et journalistes.
Mais quand l'intérêt se sera étiolé,
"que va-t-il faire ? Va-t-il vivre des aides sociales" en France où il devrait être extradé, s'amuse Angela Kane.
Sobhraj a finalement passé 21 ans en prison, avec une brève pause en 1986 lorsqu'il s'échappe avant d'être à nouveau arrêté dans l'État côtier indien de Goa.
Libéré en 1997 ses crimes présumés sont alors prescrits en Thaïlande. Il se retire à Paris où il vit tranquillement jusqu'en 2003. Il repart au Népal, où il est repéré dans le quartier touristique de Katmandou et une nouvelle fois arrêté.
Une résistance "incroyable"
L'année suivante, un tribunal le condamne à la prison à vie pour avoir tué la touriste américaine Connie Jo Bronzich en 1975, 29 ans à l'époque. Et en 2014, il est ausi reconnu coupable du meurtre de l'ami canadien de Connie Jo Bronzich, Laurent Carrière.
En 2008, Sobhraj a épousé en prison Nihita Biswas, de 44 ans sa cadette et fille de son avocat népalais. Il aura survécu à deux tremblements de terre et à une opération et à une opération à cœur ouvert en 2017.
"Sa résistance est incroyable", remarquait Julie Clarke en juin 2021,
"il a gagné le pari fait à sa mère: mourir vieux".