Depuis ce lundi 2 mars, les historiens ont accès aux archives vaticanes sur Pie XII (1939-1958), impatients de s'y plonger pour mieux cerner un pape resté silencieux durant l'extermination de six millions de Juifs. Pourront-ils saisir les raisons du silence du pape ? Retour sur une controverse historique.
Pie XII a été pape pendant dix-neuf ans. Son pontificat (1939-1958) couvre la Seconde Guerre mondiale. Eugenio Pacelli, de son vrai nom, est issu d’une famille de l’aristocratie vaticane. Il est un pur produit de la Curie, l’appareil central du Vatican.
Il progresse dans les échelons de la diplomatie vaticane et devient nonce apostolique en Bavière et à Berlin, c’est-à-dire ambassadeur du pape. Il assiste à la chute de la jeune démocratie allemande, la République de Weimar (1918-1933), et à la montée du nazisme.
Il rejoint le cabinet du pape Pie XI (1922-1939) et rédige pour lui une lettre condamnant le nazisme en 1937,
Mit Bredenner Sorge,
avec une brûlante inquiétude en français. Eugenio Paccali est élu pape en mars 1939 à la mort de Pie XI et prend le nom de Pie XII. Le collège des cardinaux, face à la montée des périls, dans l’Europe des années 30, vote pour un homme, bon connaisseur des relations internationales, un diplomate qui s’est montré sous le pontificat de Pie XI ferme dans sa condamnation des totalitarismes.
Que reproche-t-on au pape de la Seconde Guerre mondiale ?
Devenu Pie XII, Eugenio Pacelli adopte une position neutre envers les futurs belligérants, Allemagne, Italie, France et Royaume-Uni. Il cherche à maintenir la paix. C’est un échec et l’Allemagne nazie occupe l’Europe. L’extermination des Juifs d’Europe se met en place. Pie XII est alors accusé de ne pas dénoncer suffisamment le génocide. Aucune lettre publique, aucune encyclique ne sort alors du Vatican pour dénoncer les tueries et le génocide des Juifs.
Le 24 décembre 1942, dans un message radiophonique de Noël, Pie XII évoque cependant les
"centaines de milliers de personnes, qui, sans aucune faute de leur part, et parfois pour le seul fait de leur nationalité ou de leur race, ont été vouées à la mort ou à une extermination progressive". Ce sera tout.
Le pape aurait-il pu sauver plus de Juifs en dénonçant avec plus de force le génocide ? Durant l’occupation de l’Italie en 1943 par les soldats allemands, Pie XII demande aux couvents d’ouvrir leurs portes aux persécutés. Cette politique permettra de sauver des milliers de juifs italiens.
La polémique sur le silence de Pie XII éclate dans les années 60.
« Le reproche du silence du pape, face à ce qui sera appelé plus tard la Shoah, éclate avec la pièce du dramaturge allemand, Rolf Hochhuth "Le Vicaire", montée en 1963", explique François Mabille, professeur à l’université catholique de Lille. "
La pièce de Rolf Hochhuth sensibilise l’opinion publique aux hésitations, jugées coupables du Vatican », ajoute l'universitaire.
La question de l’attitude du pape trouve encore un écho avec le film de Costa Gravas,
Amen, en 2002. Le film est inspiré de la pièce de Rolf Hochhuth. La polémique autour du silence du pape a été relancée sous le pontificat de Benoit XVI (2005-2013). Le pape allemand entendait béatifier Pie XII au même titre que Jean XXIII ou Paul VI. Aujourd’hui la béatification de Pie XII est au point mort.
Pourquoi le pape ouvre les archives du Vatican ?
Le pape François annonce l’ouverture des archives apostoliques du Vatican, dites secrètes, le 4 mars 2019. Cette annonce s’inscrit dans une volonté pontificale de traiter rapidement les dossiers brûlants selon le chercheur François Mabille.
« Le pape François veut faire de son pontificat un modèle de transparence. C’est le cas notamment sur les affaires de pédophilie. Cela a été aussi le cas avec la banque vaticane, institution financière jugée coupable de blanchiment d’argent », explique François Mabille.
L’origine et l’histoire personnelle de ce pape expliquent cette volonté de transparence. Le pape n'est pas Européen.
« Le pape François, Jorge Mario Bergoglio, est argentin. L’Argentine n’a pas été un théâtre important de la Seconde Guerre mondiale. D’une certaine manière, il a un rapport dépassionné vis-à-vis de cette histoire. Le pape a voulu lever tout accusation d’obstruction à la recherche de la vérité historique. Le Vatican pour le pape François n’a rien à cacher », ajoute François Mabille.
Le Vatican ouvre ses archives sur le pape Pie XII :
Qu’espèrent les historiens ?
Deux cents chercheurs se sont déjà inscrits pour consulter cette montagne d'archives. On y trouve notamment des documents inexplorés du secrétariat particulier de Pie XII. Que peuvent espérer trouver les historiens ? Pourra-t-on répondre à cette question : pourquoi le pape n’a t-il pas dénoncer le génocide ? François Mabille se montre prudent.
«
Pour la phase polémique de la Shoah, le Vatican avait déjà publié l'essentiel en 1981 dans des volumes compilés par des jésuites », explique l’historien. «
Il y avait déjà eu une volonté du Vatican d’ouvrir certaines archives. Il nous manque cependant des correspondances entre les nonces (les ambassadeurs du Vatican, NDLR)
et le Pape », estime l’historien.
« Il
ne faut pas attendre de révélations fracassantes, mais peut-être pourra-t-on mieux appréhender l’état d’esprit des élites du Vatican et notamment du pape, mieux percevoir leurs prudences excessives, notamment dans leurs lettres privées », précise le chercheur.
L’historien allemand Hubert Wolf, spécialiste de cette période, arrive lui au Vatican avec six assistants et deux années de financement de recherche. Il se montre plus enthousiaste, dans un entretien accordé à l’Agence France-Presse. Il espère mieux comprendre la personnalité propre du pape Pie XII
: « Il n'y a aucun doute que le pape était au courant des meurtres des Juifs. Ce qui nous intéresserait vraiment, c'est de savoir quand il l'a su pour la première fois et quand il a accordé du crédit à cette information ».
« Un bon rapport diplomatique ou un journal personnel oublié peuvent livrer des indices sur les "émotions" du pape », ajoute le chercheur.
Le travail des historiens s’annonce long et les informations intéressantes pourraient arriver au compte-gouttes. Il a fallu 14 années aux archivistes du Vatican pour classer et inventorier ces archives ouvertes aux historiens.