Ces révélations sont-elles un coup bas de campagne ? Les liens entre les Verts et les milieux pédophiles dans les années 1980 ne sont pas une nouveauté. Ce n'est pas pour rien qu'au printemps, le parti écologiste allemand a chargé un politologue de Göttingen (
Franz Walter de l'Institut de Recherche sur la Démocratie, lien en allemand, ndlr), la ville d'origine de Jürgen Trittin, d'explorer ces liens et de tirer l'affaire au clair. C'est ce même scientifique qui, en publiant ses recherches, a déclenché l'explosion dans la dernière ligne droite avant les élections, mettant en difficulté la tête de file d'un parti déjà en perte de vitesse. Indépendamment des accusations dont Trittin doit répondre, ces révélations soulèvent pas mal de questions. Tout d'abord un paradoxe, sachant que le politologue par qui le scandale est arrivé est rémunéré par les Verts. C'est un politologue avertit, qui écrit régulièrement des commentaires sur la vie politique et les partis. Même si les clauses de son contrat prévoient qu'il publie les éléments dès qu'il les trouve, il sait très bien qu'en publiant ce genre de choses à six jours du scrutin, elles seront lourdes de conséquences. Ensuite, le quotidien dans lequel a été publiée la tribune, le Tageszeitung (TAZ) de Berlin, est un quotidien alternatif plutôt proche des Verts. Il s'était vu reprocher, voici peu, d'avoir retenu un papier sur le même sujet, justement pour ne pas porter atteinte au crédit du parti écologiste. On peut se demander dans quelle mesure la direction du journal n'a pas, avant tout, voulu prouver qu'elle était bel et bien indépendante... Comment la société allemande perçoit-elle ces affaires ? Elle le voit avec le regard de 2013. Or il faut se replacer dans le contexte de l'époque et du terreau sociétal expérimental qui la caractérisait. Au début des années 1980, on a un parti écologiste très alternatif, en pleine période post-soixante-huitarde, où la libération sexuelle va très loin, jusqu'à une certaine tolérance pour les relations entre adultes et mineurs. Il est vrai que des groupes au sein ou proches du parti Vert ont défendu ces thèses, d'où sont issus certains élus. Il faut dire aussi que les
jeunesses du parti libéral (FDP), à l'époque, avaient, elles aussi, exprimé une certaine tolérance pour ces idées. Par la suite, le parti a pris ses distances et les dérives pédophiles de certains ont été dénoncées. Mais il n'y a jamais eu d'excuses ou d'aggiorniamento complet. Et c'est justement le but de ces recherches, lancées au printemps, qui viennent d'être publiées. Quelle est la sensibilité allemande aux "coups bas" de campagne électorale ? Par rapport à la France, à l'Italie ou à d'autres pays méditerrannéens, les normes éthiques en Allemagne sont plus strictes. On a vu des gens mis en cause, voire démissionner, parce que leur femme de ménage était employée au noir ou que madame avait utilisé la voiture de fonction pour faire une course... Des choses qui feraient sourire en France. Voici peu,
Peer Steinbrück s'est vu menacer de voir révéler qu'il avait employé une femme de ménage au noir pendant six mois, il y a quinze ans de cela, s'il ne retirait pas sa candidature - l'affaire s'est d'ailleurs dégonflée comme un ballon de baudruche. Voilà qui montre que certains écarts, considérés comme véniels dans d'autres pays, peuvent être, en Allemagne, lourds de conséquences. On a ainsi vu la ministre de la Recherche et de l'Education,
Annette Schavan, démissionner en début d'année pour des accusations de plagiat qui n'avaient pas une ampleur phénoménale et qui remontaient à trente ans. Il est vrai qu'en Allemagne, les titres ont une valeur symbolique importante en terme de prestige social ; ils font même partie de l'état civil. Aussi le plagiat est-il un point très sensible. Le plus ostentatoire étant celui de l'ancien ministre de la Défense
Karl-Theodor zu Guttenberg, qui, lui aussi, a dû démissionner en 2011. Quelles conséquences électorales pour les Verts ? L'affaire défraie la chronique depuis la parution de l'article, avec une exploitation politique : les conservateurs attaquent les Verts et certains représentant de la CSU et de la CDU demandent à Jürgen Trittin de démissionner, ou au moins de mettre sa campagne en veilleuse. A l'inverse, on assiste à un mouvement de solidarité envers Trittin au sein de la gauche, c'est à dire son propre parti et le SDP. Or les Verts qui, voici quelques mois, avaient encore le vent en poupe avec 14% ou 15% sont en recul et ne sont plus qu'à 10 % en septembre, voire moins, puisqu'ils ont encore
perdu du terrain lors des élections de dimanche 15 en Bavière. Il est certain que c'est un élément qui peut accélérer un déclin amorcé. Cette affaire tombe très mal pour eux.