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A l'aube des élections législatives en Suède, le spectre de l'extrême droite plane sur la campagne.
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Législatives en Suède : vers la fin du modèle social-démocrate ?

En Suède, les élections législatives du 9 septembre sont incertaines. Sur fond de discours anti-immigration, l’extrême droite suédoise (SD) risque de bouleverser un échiquier politique, historiquement dominé par les sociaux-démocrates et plus que jamais fragilisé.
Kalinowski
Wojtek Kalinowski

A l'aube des élections législatives suédoises qui voient la montée de l'extrême droite, le pays est en plein doute. Le modèle social-démocrate n'a jamais été aussi fragilisé par les compromis et est rattrapé par la réalité migratoire européenne.
Entretien avec Wojtek Kalinowski, sociologue spécialiste de la Suède, à la veille d'une élection charnière.



TV5Monde : Comment un pays comme la Suède, qui a une tradition d’intégration des immigrés, en est-il arrivé à compter un parti anti-immigration parmi les favoris de ces législatives ?

Wojtek Kalinowski : La Suède a changé assez rapidement et je trouve cette transformation plutôt bien gérée malgré ce qu'il se passe aujourd’hui. Je pense qu’il ne faut pas surévaluer cette percée de l’extrême droite. Je remarque que les fondamentaux économique et sociaux de la société suédoise sont assurés. Les vagues successives d’immigrés ont été intégrées et insérées sur le marché du travail.

La Suède a accepté plus de migrants, par rapport à sa population, que l’Allemagne ou que n’importe quel autre pays européen et elle a finalement décidé de maîtriser ses frontières. Tout cela car les suédois se sont heurtés à un manque de solutions et de coopération européenne. Cela a entraîné une mauvaise gestion de cette immigration par les socio-démocrates au pouvoir qui ont payé le prix politique de cette situation.

En Suède, il y a, aujourd’hui, deux blocs. Un de droite, l’autre de gauche, de taille quasi comparable et au milieu, l’extrême droite. Je crois que malgré tout, un gouvernement de gauche sera reconduit et qu’il continuera à négocier des compromis avec certains partis de droite. Ils ont d’ailleurs récemment conclu 26 accords avec eux. Donc malgré cette percée de l’extrême droite, on a un socle et une stabilité de la “démocratie suédoise” et ce, même si l’espace politique comprenant l'extrême droite suédois s’est banalisé. Il ne faut pas oublier que c’est un des derniers pays où l’extrême droite arrive à des scores aussi importants. Il n’est d’ailleurs pas dit que l’extrême droite entre dans un gouvernement, ou soit nécessaire à la formation d’un gouvernement. Cela dépendra aussi de la droite qui est divisée sur l’acceptation de compromis avec cette extrême droite.

Comment un tel discours anti-immigration a pu se construire alors que l’on n’a pas vu de choc lié aux flux migratoires ?

W.K : La politique suédoise a été très généreuse et aujourd’hui, l’état social s’est dégradé. C’est sur cela que l’extrême droite prend appui, en désignant l’immigration comme responsable. Que l’on parle de la dégradation de l’assurance sociale, de la santé publique ou des conditions à l’école, le migrant est pointé du doigt. C’est d’ailleurs un discours qui marche très bien dans les milieux les plus précaires.

Effectivement, il n’y a pas eu de conflit violent. En 2014-2015, la Suède a accepté environ 260 000 immigrés, soit 2,5% de la population. En France, cela ferait environ 1 600 000 immigrés acceptés ! Ce flux a été très mal géré et les forces de police qui encadraient les arrivés se sont vite trouvées débordées. Cette vague a, quantitativement, marqué les esprits. Pourtant, malgré le discours que tient l'extrême droite, n’y a rien eu de plus que des faits divers. Les statistiques sont claires, il n’y a pas eu d’augmentation de la criminalité liée à la migration.

En tant que sociologue, vous avez pu observer la réalité sociologique de ceux que vous appelez pro extrême droite. Quelle est-elle ?

W.K : Que ce soient les cadres de ce parti d’extrême droite, ou les votants, sociologiquement, ils viennent des couches perdantes face aux 20 dernières années de transformation. Ce sont donc des gens qui viennent de milieux modestes voire pauvres et occupent des emplois précaires. Leur niveau de protection sociale ou encore leur niveau de vie s’étant ensuite dégradé, ils ont pris l’immigration comme cause de leurs problèmes économiques car, en parallèle, les politiques au pouvoir ont investi sur l’insertion des immigrés. D’ailleurs, je pense que cette élection sera, pour eux, en terme de score, un pic historique et qu'à terme, le mouvement va s'essouffler. Et cela car la Suède mène une politique d’intégration qui est coûteuse sur le court terme, mais qui permet, contrairement à ce que vous pouvez avoir en France, de bénéficier d’une insertion via le marché du travail qui se fait sur les mêmes bases que les autres citoyens. Les immigrés n’occupent pas des emplois précaires ou peu prisés uniquement parce qu’ils ne sont pas encore Suédois. Ils ont le droit à une insertion digne qui, selon les statistiques, donne des résultats à terme. Les nouveaux arrivants vont donc dans un premier temps exprimer des difficultés, mais au bout de 5-6 ans, ils seront pleinement intégrés à la société. Je voudrais donc dédramatiser cette poussée de l’extrême droite, car effectivement, la  Suède est vue comme un paradis social, mais ils ne font rien de plus que connaître les mêmes problématiques que les autres pays européens… plus tardivement ! L’Etat suédois a une tradition de politique sociale et ils sauront gérer cette crise. Il faut juste un peu de temps... je dirais même environ 10 ans.
Malgré sa maîtrise de l’immigration, la Suède n’a pas totalement fermé ses frontières. Elle n’a fait que retrouver son taux d’immigration d’avant la crise de 2015. L’impact de cette extrême droite se situe donc uniquement dans le fait que les sociaux-démocrates ont décidé de répondre à cette crise migratoire par la maîtrise de leur immigration. L’économie va bien, l’Etat a beaucoup de ressources et la dette publique est maîtrisée. Donc tout est réuni pour gérer cette crise en investissant dans l’intégration.

Le parti ouvrier social-démocrate n’est-il pas coincé ? D’un côté il a cédé à la pression de l’extrême droite qui l'a poussé à réguler l’immigration et de l’autre, il veut investir sur l’intégration des immigrés…

W.K : Totalement.  Je pense qu’ils ont fait un choix éthique, face à une situation d’urgence. Les sociaux-démocrates comptaient, peut être naïvement, sur une coordination européenne face à cette situation d’urgence humanitaire. Ils ont compris que c’était en fait chacun pour soi et qu’il n’y aurait pas de solidarité européenne en la matière. Ils sont donc dans une situation très difficile, car ils ont longtemps défendu le principe de l’ouverture des frontières et se retrouvent donc face à une contradiction idéologique. Ce que moi, je trouve surprenant, en réalité, c’est que cette montée de l’extrême droite soit arrivée si tard. Je me souviens qu’après la guerre en Yougoslavie, il y a eu une vague migratoire en Suède et des protestations de la population. Pourtant, il n’y a pas eu de percée de l’extrême droite.
 

Une telle décision politique ne démontre-t-elle pas néanmoins que le modèle social démocrate suédois et pro européen est en train de disparaître ?

W.K : Je ne pense pas, car les sociaux-démocrate se sont uniquement heurtés à la réalité. Maintenir un tel flux migratoire est une situation qui n’aurait pas été viable. Il ne faut pas oublier que la Suède est un petit pays et ne peut pas se permettre d'accueillir 500 000 ou 1 million d’immigrés. Ce que les sociaux-démocrates ont découvert, c’est qu’il n’y a pas de bonne solution face à cela, mais des moins mauvaises. A côté de cela, ils vont investir beaucoup d’argent public dans l'intégration. C’est en cela que leur idéologie n’est pas morte. Ils ont juste su être pragmatiques face à une situation qui le nécessitait. Au final, un immigré qui s’intègre via le marché de l’emploi bénéficiera de beaucoup plus d’avantages et de protection qu’ailleurs en Europe. Il y a une vraie volonté politique qui ne veut pas que les immigrés fassent partie d’un marché parallèle qui serait précaire et en marge du marché normal. Il faut donc porter à leur crédit cette volonté là, mais leur discours sur la limitation de l’immigration a bel et bien changé. C’est pour cela qu’ils en ont d’ailleurs payé le prix politique, car ce revirement a créé un manque de crédibilité qui a déporté l’attention vers l’extrême droite.
 

Cette convergence de discours sur les frontières, entre les sociaux-démocrates et l’extrême droite ne porte-t-elle pas à confusion ?

W.K : Non, car face à cette convergence de points de vue un peu forcée, l’extrême droite a décidé de muscler encore un peu plus son discours. Ils ne se limitent plus aux simples migrants mais proposent également que les réfugiés politiques, au sens de la Convention de Genève se voient refuser l’asile en Suède. Le deuxième élément, c’est que l’extrême droite ne veut pas garder les immigrés qui sont déjà arrivé en Suède. Ils veulent les renvoyer dans leurs pays de départ. Ils veulent une immigration zéro !
On voit même la formation de groupuscules minoritaires qui créent ce climat. Vous l’avez d’ailleurs aussi en France ou encore en Allemagne. Ils veulent créer des "milices" et s’en prendre physiquement aux immigrés, notamment dans les banlieues. Il ne faut pas oublier que ces groupes prennent leurs racines dans les mouvements suédois sympathisants de l’Allemagne nazie des années 1930. C’est d’ailleurs une minorité radicale dont l’extrême droite tente de se débarrasser et avec laquelle elle veut prendre ses distances, pour lisser son discours.


Est-ce que le mythe du modèle suédois et des pays nordiques s’effondre ?

Wojtek Kalinowski : Pas vraiment. Je ne suis pas devin, mais je pense que dans 10 ans, si l’on regarde l’investissement et les efforts fournis par la Suède pour intégrer ces flux migratoires, on se rendra compte que ce n’est pas un pays européen comme les autres. En Suède, on prend cet enjeu au sérieux et avec beaucoup moins de cynisme qu’ailleurs.

 

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