Le Québec s’est réveillé ce mercredi matin avec un goût amer et une drôle d’impression d’irréalité au lendemain de cette soirée électorale qui a pris une tournure tragique quand, un peu avant minuit, un forcené a tiré sur des gens qui étaient présents au rassemblement du Parti Québécois et alors que Pauline Marois savourait sa victoire historique de devenir la première femme première ministre du Québec. Était-ce possible ? Pourquoi et comment cet homme de 62 ans, qui s’appelle Richard Henry Bain, a-t-il posé ces gestes qui ont coûté la vie à un homme d’une quarantaine d’années et blessé un autre gravement ? Ils étaient tous deux techniciens de scène qui travaillaient alors au Métropolis, ils ont eu le malheur d’être au mauvais moment au mauvais endroit.
Richard Henry Bain souffrirait de problèmes psychologiques graves
Dans les mémoires bien sûr parce que pour la première fois de son histoire, le Québec sera dirigé par une femme. Et dans les mémoires aussi à cause de cette tragédie. Le drame a choqué profondément les Québécois et l’ensemble de la classe politique québécoise et canadienne. La nouvelle première ministre Pauline Marois s’est dite profondément attristée par ces événements et elle a adressé toutes ces sympathies aux familles des victimes, tous les autres chefs politiques ont également regretté cet acte et salué le fait que la cheffe péquiste s’en soit tirée indemne – le premier ministre sortant a qualifié l’attentat d’acte de folie que rien ne justifie et que rien n’explique. Car cet individu, qui était inconnu des policiers jusqu’ici mais qui souffrirait de problèmes psychologiques graves, voulait visiblement viser celle qui va veiller à la destinée du Québec au cours des prochaines années. C’est d’ailleurs la Sûreté du Québec, le corps policier provincial, qui va mener l’enquête sur cette affaire, car elle est considérée comme une menace à la sécurité de la province et non comme un simple homicide. Affaire à suivre donc…
Un difficile numéro d'équilibriste pour Pauline Marois
Pauline Marois escortée par des policiers après la fusillade pendant son discours le 4 septembre 2012 à Montréal (Photo AFP)
Au-delà de ce tragique incident, la question que tout le monde se pose ici, c’est comment Pauline Marois va-t-elle pouvoir gouverner avec une si courte victoire sur ses adversaires? Le Parti Québécois a remporté 54 sièges, on est loin des 63 qu’il faut gagner pour avoir une majorité à l’Assemblée nationale. Les Libéraux, que les sondages donnaient pourtant moribonds, ont certes perdu ces élections mais leur défaite dans les circonstances est plus qu’honorable parce qu’ils ont quand même réussi à faire élire 50 députés, malgré l’usure de 9 ans de pouvoir, les scandales de corruption et de collusion, et la gestion de la crise étudiante. Je ne connais pas grand analyste qui aurait parié sur un tel score avant la soirée de mardi soir ! Sauf peut-être mon collègue chef de bureau à Québec, Sébastien Bovet, qui m’avait fort justement fait remarquer qu’il ne fallait pas enterrer les Libéraux trop vite. Quand on constate que moins de 1% de votes sépare en tant que tel le Parti Québécois du Parti Libéral, on peut se demander en effet comment Pauline Marois va pouvoir gouverner. Sa marge de manœuvre sera bien mince et elle devra faire des compromis sur son programme électoral, notamment tout ce qui a trait au projet de souveraineté du Québec. Elle a quand même dans sa première conférence de presse en tant que première ministre annoncé plusieurs de ses priorités : tout d’abord annuler l’augmentation des frais de scolarité, à l’origine de la crise étudiante du printemps dernier, et convoquer par la suite des états généraux sur l’Éducation au Québec. Ensuite déposer une nouvelle loi 101 pour protéger la langue française au Québec. Enfin poursuivre le développement du réseau de garderies publiques pour que chaque enfant y trouve une place. « Le temps du bipartisme est révolu » a dit la nouvelle première ministre, qui a regretté ne pas avoir de majorité mais qui se dit prête à s’adapter et apprendre à travailler dans ce nouveau contexte de multipartisme. Jean Charest lui a parlé de cadre de cohabitation et de nécessaire coopération pour faire progresser le Québec. Il faut dire que les partis de l’opposition n’ont pas intérêt à court terme de faire tomber ce nouveau gouvernement et de porter la responsabilité d’avoir provoqué de nouvelles élections, ce qui est toujours coûteux sur le plan électoral. Le chef de la Coalition Avenir Québec s’est quand à lui dit prêt à collaborer avec le nouveau gouvernement en autant qu’il fera avancer les choses dans le domaine de la santé et de l’éducation. Quant au parti Libéral du Québec… eh bien il va se chercher un nouveau chef…
Le départ de Jean Charest
Jean Charest perd sa première élection en 28 ans de carrière politique (Photo AFP)
Le premier ministre sortant Jean Charest a annoncé sa démission comme chef du Parti libéral en fin d’après-midi mercredi. Ce n’est pas une surprise, surtout après avoir perdu mardi soir son siège de député à l’Assemblée nationale. Une grosse défaite personnelle – il y avait été élu la première fois en 1984. « Après 28 ans de service public, le temps est venu pour moi de faire un nouveau pas, de tourner une page » a déclaré Jean Charest. Il dit partir sans regret, avec le sentiment du devoir accompli, et a tenu à remercier les Québécois pour lui avoir offert durant toutes ces années le privilège d’être leur Premier ministre. Mais comme l’ont fait remarquer plusieurs analystes ainsi que plusieurs de ses ministres, il peut partir la tête haute car la raclée annoncée par les sondages n’a pas eu lieu, bien au contraire. « Nous avons fait mentir les analystes et les sondeurs » a d’ailleurs elevé avec un petit sourire le premier ministre sortant. Les Libéraux restent donc une force politique dominante au Québec, notamment avec une base solide comme un roc au sein de la communauté québécoise. Pauline Marois va maintenant se consacrer à la formation de son gouvernement, elle dit vouloir prendre les deux prochaines semaines pour le faire. Ces mains tendues vers la coopération et ces messages d’ouverture que nous avons entendu de part et d’autres en ce lendemain d’élections sont un baume sur la plaie que ce geste de folie a ouvert hier soir dans la conscience collective des Québécois…