Léon XIV : les défis et grands dossiers qui attendent le nouveau pape

Léon XIV est considéré comme un pape progressiste. Comment se positionnera-t-il face aux défis et questionnements qui traversent le monde et le catholicisme d'aujourd'hui ? Éléments de réponse avec Frédéric Mounier, biographe du Pape François, ancien correspondant du quotidien "La Croix" à Rome. 

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Sur cette photo publiée par le service de presse de l'archidiocèse de Rio de Janeiro, une image du nouveau pape Léon XIV et les mots « Nous avons un pape »  projetés sur la statue du Christ Rédempteur à Rio de Janeiro, après le coucher du soleil, le jeudi 8 mai 2025.

Sur cette photo publiée par le service de presse de l'archidiocèse de Rio de Janeiro, une image du nouveau pape Léon XIV et les mots « Nous avons un pape »  projetés sur la statue du Christ Rédempteur à Rio de Janeiro, après le coucher du soleil, le jeudi 8 mai 2025.

Archdiocese of Rio de Janeiro press office via AP
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La fracture Nord/Sud

Frédéric Mounier, ancien correspondant du quotidien "La Croix" à Rome : Il est le pape qui va construire un pont entre le Nord et le Sud. C'est un pape qui est multiculturel puisqu’il a des origines croisées : française, italienne, américaine. Ils ont même trouvé des ascendants du côté de sa mère d’anciens esclaves noirs affranchis de la Louisiane, de la Nouvelle Orléans. Il y a en lui quelque chose d'Obama.

Pour son pontificat, construire un pont entre le Nord et le Sud est non seulement possible mais surtout indispensable. L'Église catholique universelle, aujourd'hui, c'est 1,4 milliard de baptisés dont désormais une majorité sont au sud. Et cet homme qui est né en Amérique du Nord et qui a exercé son ministère en Amérique latine, est un homme qui est en lui-même un pont. 

Cela tombe bien, parce que c’est l'essence même du ministère pontifical, de créer des ponts. Pontife, de pontifex, cela signifie constructeur de ponts.

La synodalité

Frédéric Mounier : Léon XIV a souligné dans sa première intervention publique jeudi l’importance de la synodalité, à la loggia de Saint-Pierre. Il a parlé d'une église synodale, l'une des révolutions invisibles que le pape François a voulu opérer. 

 Il s'agit de donner du pouvoir à des laïcs, à des hommes, à des femmes au sein de l'Église catholique, qui ne sont pas consacrés, qui n'ont pas reçu le sacrement de l'ordre, mais qui, en raison de leurs compétences et de leur expérience, peuvent participer aux décisions importantes pour l'Église. 

C'est ainsi que le pape François a convoqué deux assemblées synodales consacrées à cette question.

Monseigneur Prevost y a participé, en tant que préfet du dicastère (un dicastère est un organisme de la curie romaine) pour les évêques. Au sein de ce dicastère, il a lui-même intégré trois femmes, à des postes de responsabilité. Elles participent avec lui à la nomination des évêques du monde entier. Je pense que cette synodalité va donc se poursuivre et c'est un élément essentiel de continuité.

Il faut souligner par ailleurs que le pape Léon est lui-même membre d'une congrégation religieuse. Au sein de l’univers d'une congrégation et des communautés religieuses, on est habitué à ce qu'on appelle la démocratie capitulaire. 

C'est-à-dire que toutes les décisions sont prises en communauté. On délibère en communauté, on décide en communauté. Et donc c'est ainsi que Monseigneur Prevost a forgé sa vie de religieux. C’est probablement cette ligne-là, cette manière d'être, de faire, d'agir et de gouverner, qui va le guider dans sa vie de nouveau pape.

Le pape Léon XIV prononce son discours

Le pape Léon XIV prononce son discours.

© AP Photo/Andrew Medichini

Un pape face au trumpisme 

Frédéric Mounier : Leon XIV va très probablement s'inscrire sur le fond, dans la lignée du pape François mais aussi sur la forme. Il a accepté de se vêtir de la mosette rouge et de l'étoile dorée qui manifestent les attributs du pouvoir pontifical, ceux-là mêmes dont le pape François avait souhaité se démarquer. 

Il y a-là une alliance entre la poursuite d'un discours bergoglien (se rapportant à Jorge Mario Bergoglio) pour une église plus inclusive, plus synodale, plus ouverte, plus solidaire et en même temps l'affirmation du pouvoir pontifical.

On peut penser que ce pape américain a souhaité apparaître publiquement dans la plénitude de son pouvoir pontifical, alors même que le président américain Donald Trump, avait souhaité apparaître déguisé en pape sur les réseaux sociaux quelques jours plus tôt. Je pense qu'il y a là deux images qui sont en résonance. Une image dérisoire, celle de Donald Trump, et une image sérieuse et approfondie, celle de Leon XIV.

Les scandales sexuels au sein de l'Église

Frédéric Mounier : Lorsqu'il était préfet du dicastère pour les évêques, Léon XIV a appuyé l'une des dernières décisions du pape François qui a été la dissolution et l'interdiction, - précisément au Pérou, où il exerçait son ministère épiscopal - d'un groupement qui s'appelait “Sodalicio”. 

Il s’agissait d’une communauté qui se disait catholique et vouée à l'évangélisation et à l'action missionnaire. En fait, c'était une secte d'extrême-droite et un repère de prédateurs sexuels. Monseigneur Prevost, en lien avec le pape François, a pu l’interdire. 

C’est un signal très fort donné au monde entier à propos de sa détermination pour la lutte contre la crise des abus. Je rappelle qu'il ne s'agit pas uniquement d'abus sexuels dans l'Église, mais d'abord de pouvoir et d'abus d'autorité liés au caractère sacré de l'Ordination sacerdotale. C'est-à-dire que ces hommes prédateurs sexuels se sont appuyés sur leur ordination et ont joui de leur pouvoir pour abuser leurs victimes.

Homosexualité

Frédéric Mounier : L'Église catholique aujourd'hui, c'est 1,4 milliard de baptisés du Nord au Sud et de l'Est à l’Ouest avec des différences culturelles extrêmement importantes, notamment sur cette question de l'ouverture aux personnes homosexuelles. Ce sujet sera donc l'un des points sensibles de ce pontificat.

Le pape François avait voulu exercer, manifester disons, une bienveillance et une volonté d'ouverture appuyées envers les personnes de même sexe qui vivent ensemble. Sans pour autant parler d'un éventuel mariage homosexuel, puisque pour l'Église catholique aujourd'hui, le mariage reste la relation libre et engagée de toute une vie entre un homme et une femme. 

Pour l'instant, ceci n'a pas été modifié et je ne pense pas que cela le sera. Néanmoins, le pape François avait évoqué une très grande ouverture et une possibilité de bénédiction. Ceci avait été l'objet d'une contestation extrêmement forte, venue du Sud et notamment d'Afrique avec une sorte d'unanimité, non seulement du clergé, des évêques et des prêtres africains, mais aussi des laïcs qui s’étaient élevés contre cette mesure-là.

Rappelons que dans la plupart des pays d'Afrique, l'homosexualité est considérée comme un délit, voire comme un crime. C'est en tout cas pénalisé. 

Sur ce sujet, nous avons vu se manifester une tendance centrifuge extrêmement importante au sein de l'Église catholique. Certains ont même parlé d'un risque de schisme. Comment cela va-t-il se passer avec le nouveau pape ? On voit bien que c'est un homme à la fois ouvert et en même temps mesuré et sage, donc il va poursuivre sur la ligne de François. Nul ne sait encore de quelle façon.

La guerre 

Frédéric Mounier : Le pape a évoqué, dès ses premiers mots, ce qu'il a appelé "une paix désarmée et une paix désarmante". Là encore, il se situe dans la droite ligne du pape François. Il faut rappeler que le pape François s’était très éloigné du concept de ce que la théologie catholique a appelé pendant très longtemps la “guerre juste”. Elle stipule que dans certains cas, selon la théologie catholique, il peut être juste de faire usage des armes, pour lutter contre l'injustice et contre l'agression.

Le pape François, lui, estimait que toute guerre était néfaste. C'était notamment l'un des points de tension avec les pouvoirs publics français : son opposition à l'industrie d'armement et à la dissuasion nucléaire.

On a le sentiment, en écoutant les premiers mots du pape Léon, qu'il se situe sur la même ligne. Il va appeler probablement, comme l'ont fait les cardinaux la veille de l'élection, à un cessez-le-feu aussi bien à Gaza qu’en Ukraine. Du point de vue du désarmement maintenant, reste à savoir comment il va se situer face à Vladimir Poutine.

Le président russe joue de façon assez perverse une sorte d'alliance des valeurs entre son régime totalitaire et antidémocratique et l'Église orthodoxe russe, qui est son allié la plus constante, notamment dans la promotion de ce qu'ils appellent les valeurs traditionnelles et dans la lutte contre ce qu'ils appellent le délitement des valeurs chrétiennes en Occident et en Europe.
 

La Curie, organe chaotique

Frédéric Mounier : Le pape François a beaucoup bouleversé la Curie (sorte de gouvernement du Saint-Siège). Dès les premiers mois de son pontificat, il a pointé les maladies dont la Curie était atteinte.

Se faisant, le pape François s'était aliéné une partie des membres de la Curie qui faisaient le gros dos en attendant son décès. Aujourd’hui, nous avons un homme qui a été élu pape et qui était jusqu'à présent préfet du dicastère pour les évêques, donc l'un des membres les plus puissants de la Curie.

On peut penser que le pape Léon XIV va vouloir raccommoder et apaiser les relations entre la Curie et le Saint-Père, ce qui est tout à fait souhaitable pour un bon fonctionnement de l'Église catholique. On voit poindre une alliance probable entre une forme de radicalité évangélique et un apaisement institutionnel.

L'écologie

Frédéric Mounier : Tout le monde est en train d'oublier l'écologie. Le président américain Donald Trump en particulier, mais aussi l'ensemble des autocrates qui sont aujourd'hui au pouvoir dans le monde, en Chine, en Russie, etc. Je pense que là-aussi, dans la lignée franciscaine, Léon XIV va avoir à cœur de poursuivre les impulsions qui ont été données par le pape François.

Si vous lisez les premiers versets du premier livre de la Bible, il est déjà question d'écologie, il est déjà question du respect de la création, de la vie de tous les êtres vivants, depuis les débuts de la vie jusqu'à la fin de la vie. Le pape François a consacré à l'écologie une encyclique intitulée Laudato Si’, publiée en 2015. Il y définit ce qu’il appelle l’ “écologie intégrale”.

C'est probablement ce que Léon XIV va poursuivre. L'écologie fait partie du rapport au monde des chrétiens d’aujourd'hui, depuis assez longtemps déjà.