Fil d'Ariane
Le couturier Jean-Paul Gaultier, signe à 67 ans, son dernier défilé de haute couture à Paris, ce mercredi 22 janvier. Après 50 ans de carrière durant laquelle il a cassé tous les codes, le couturier français tire sa révérence. Pièces iconiques, inclusion, engagement, pop culture, retour sur ce qui a marqué sa carrière.
“L’enfant terrible de la mode” a toujours associé le transgressif à la bonne humeur dans ses défilés, créant ainsi un style inimitable. Casser les codes, faire défiler des physiques inattendus et mêler la haute couture dans la pop culture, c’est la marque de fabrique de Jean-Paul Gaultier. Quand il annonce qu'il arrête les défilés de haute couture, ce n'est pas par un classique communiqué de presse, mais en publiant une vidéo sur Twitter dans laquelle il se met en scène. "Je vais te dire un scoop, ça va être mon dernier défilé de couture. Mon dernier défilé Gaultier Paris. Donc tu peux pas manquer ça", annonce-t-il. Néanmoins, il continuera de créer, avec sa maison Gaultier Couture.
This show celebrating 50 years of my career will also be my last. But rest assured Haute Couture will continue with a new concept. pic.twitter.com/PJCC53K4tm
— Jean Paul Gaultier (@JPGaultier) January 17, 2020
Retour sur son style en quelques points.
La jupe pour hommes, le corset aux seins coniques, le costume pour femmes ou encore la marinière sont autant de créations uniques, qui font le style Gaultier. En reprenant le corset que sa grand-mère portait, une pièce décriée et considérée comme archaïque, il en fait une arme d’empouvoirement des femmes fortes. Le sous-vêtement devient un vêtement à part entière, et le créateur y rajoute des seins coniques, symbole pour lui d’hyperféminité. La pièce devient légendaire, et emblématique des collections Gaultier, quand Madonna le porte lors de sa tournée mondiale “Blond Ambition Tour” en 1990, sous une veste de costume pour hommes. "La poitrine transperce la veste : c’est le pouvoir et la sensualité réunis", décrivait Jean-Paul Gaultier.
La marinière, devenue synonyme de la marque Gaultier est elle aussi un souvenir de sa grand-mère "qui l'habillait en bleu". Mais elle est aussi inspirée du film "Querelle" de Rainer Fassbinder, dans lequel un jeune marin questionne sa sexualité. Pendant tout le film, il porte cette fameuse marinière qui fascinera Jean-Paul Gaultier. Le couturier en fera des déclinaisons en robe, pull dos nu, etc, tout au long de sa carrière.
Il aime aussi surprendre et casser les frontières du genre. Jupes pour hommes et costumes pour femmes sont des incontournables de ses défilés. Pour la première fois, en 1984, dans sa collection "Et Dieu créa l'Homme", on voit des hommes porter des jupes. "Un homme ne porte pas sa masculinité sur ses vêtements, sa virilité est dans sa tête", déclarait-il à l’occasion de sa collection.
Jean-Paul Gaultier a toujours privilégié l’inclusion de tous types de physiques dans ses défilés. À commencer par des mannequins non blancs, comme la française d’origine algérienne Farida Khelfa. Il est le premier à la faire défiler en 1979, et en fait sa muse. Dans les années 1980, il passe une petite annonce dans le journal Libération : "Créateur non conforme cherche mannequins atypiques. Gueules cassées ne pas s’abstenir", tout un programme.
Plus tard, il fait défiler des femmes au physique considéré comme "hors norme" : la chanteuse Beth Ditto (2010), avec qui il crée une collection “Grandes tailles”, la drag queen Conchita Wurst (2014), l’actrice espagnole Rossy de Palma, ou encore la mannequin trans Andreja Pejic (2011). Il utilise des mannequins seniors pour sa ligne de vêtements “Junior Gaultier”. “La vulgarité est moins une apparence physique qu’une attitude morale. Alors, mes mannequins peuvent être rondes, elles peuvent être toutes petites ou très grandes, avoir une poitrine et des hanches très larges”, a-t-il confié.
Il prend tout le monde à contre-pied, en faisant défiler des stars de télé-réalité comme Loana (2001) ou encore Nabilla (2013). "Elle a une beauté et une force de caractère formidable. C'est pas seulement le physique, il se dégage quelque chose de la personne", avait-il déclaré à propos de la jeune femme, à la suite de son défilé. Pourtant il affirmait avoir été “très critiqué, même au sein de ma propre maison”. Certaines femmes trouvaient la star de téléréalité "vulgaire".
Pour Gaultier, casser les codes passe aussi par une appropriation de la pop culture dans ses créations et inversement. Il habille les stars de la chanson, comme Madonna ou Mylène Farmer, mais aussi Kurt Cobain dans un des clips de son groupe Nirvana (Heart Shaped Box).
Le talent du couturier s’expose aussi sur grand écran et sur scène. Il dessine des tenues pour le cinéma, et habille notamment Victoria Abril dans Kika de Pedro Almodovar, ou encore Milla Jovovitch dans Le 5ème élément de Luc Besson. Gaultier crée également les tenues de l'accordéoniste Yvette Horner pour son dernier spectacle.
Jean-Paul Gaultier s'est toujours servi de ses créations pour mettre en avant certaines revendications liées à la cause LGBT. En 2005, déjà, il appelle une de ses collections “Mariage homosexuel”, et fait défiler des mannequins de même sexe, en mariés. Il fait rentrer l’imaginaire et l’esthétisme gay dans le prêt-à-porter, normalisant ainsi certaines représentations. Le couturier a également toujours lutté pour la prévention contre le Sida, et la visibilité de cette maladie, dont son conjoint Francis est décédé en 1990 : “À une époque où c'était en plus tabou de dire le terme sida. […] On disait “la maladie”, c'est quelque chose d'assez terrible. […] Il y a des gens qui ne se protègent plus. Je veux en profiter pour dire en effet qu'il faut se protéger”, déclarait-il.
Mais la fin de la carrière dans la haute couture de Jean-Paul Gaultier ne signifie pas un départ à la retraite pour autant. Le créateur s’est déjà illustré au cinéma dans son propre rôle, notamment chez Robert Altman, dans Prêt-à-porter, ou encore dans l’adaptation cinéma de la série anglaise Absolutely Fabulous. Il a lui-même réalisé un documentaire sur la chanteuse Lady Gaga. Mais Gaultier est également un homme de télévision. Outre le magazine culturel Eurotrash, qu’il a co-animé avec Antoine de Caunes sur la télévision britannique (Channel 4), il a également commenté la soirée de l’Eurovision en 2008. Il a d’ailleurs souvent habillé des candidats, comme Amina en 1991, ou encore la candidate transgenre israélienne Dana International en 1998.
L'an dernier, il monte son propre spectacle, le Fashion Freak Show, une revue jouée aux Folies Bergères, à Paris, qui mêle danse, musique et vidéo, autour de sa vie et de son parcours du couturier. "C'était mon rêve de gamin. J'y ai montré des parties de ma vie avec des choses assez intimes", déclarait-il à l'occasion de la dernière représentation, en juin 2019, après plusieurs mois de représentations.