Fil d'Ariane
Etre athée « c’est comme être un extraterrestre sur une autre planète ». Omar, Algérien, témoigne en 2016 au micro d’Arte Radio dans le documentaire sonore « Athées à la menthe ». Un autre témoin interviewé raconte qu’il fait mine de respecter le ramadan pour que ni ses voisins ni même sa femme ne soupçonnent son abandon de l'islam. Il se méfie de tout le monde parce que « le peuple lui-même est inquisiteur ». Etre athée interroge et dérange, en premier chef, dans le giron familial prompt, parfois, à rejeter l'apostat qui ne veut plus croire. Un autre témoin ajoute plus grave : « avec l’intégrisme ambiant, être athée c’est se condamner à mourir. »
Ostracisme, discrimination, rejet, persécution ou encore condamnation pouvant aller de l'amende jusqu'à la peine de mort, touchent ceux qui osent afficher publiquement leur rejet de la croyance.
Dans 13 pays, l'athéisme est ainsi passible d’une condamnation à mort selon un rapport de l’International humanist and ethical union publié en 2013 sur le sujet.
Mauritanie, Soudan, Somalie, Nigeria, Yémen, Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Qatar, Iran, Pakistan, Afghanistan, Maldives et Malaisie.
Dans la plupart de ces pays, le blasphème est aussi considéré comme une preuve d’apostasie (voir l'encadré lexique ci-dessous).
« Un musulman qui sort de l’islam est condamné à mort selon le droit musulman classique. Plusieurs pays s’inspirent de ces écoles du droit musulman classique pour établir leur loi », explique Houssame Bentabet, sociologue et doctorant à l’EHESS. Il écrit une thèse sur l’abandon de l’islam. Pourtant « le texte coranique est vide de toute condamnation à mort de l’apostat. Il va dans le sens d’une liberté de croire. »
« Le Coran ne dit pas : tuez l’apostat. L’apostasie, c’est une chose dite dans la charia mais qui n’existe pas dans le texte coranique », rappelait aussi la physicienne et professeure à l’université de Tunis, Faouzia Charfi dans Maghreb-Orient Express sur TV5MONDE.
« Dans le Maghreb, on va parler de liberté de croire, de penser mais critiquer la religion ou l'institution religieuse est toujours condamnable en général », souligne Houssame Bentabet.
Les condamnations sont récurrentes. Dans son article « L’athéisme face aux pays majoritairement musulmans », l’historien Dominique Avon, professeur d’Histoire à l’Université du Maine en France et spécialiste du sujet à l'Institut du pluralisme religieux et de l'athéisme, évoque de nombreux cas de condamnations à la prison notamment en Egypte, au Bangladesh, en Algérie.
L'un des cas qu'il cite est l'un des plus médiatisés ces dernières années, celui du jeune Palestinien : Waleed Al-Husseini. La lecture du Coran et de différents textes le convainquent d'abandonner l'islam. Une position et une réflexion qu'il partage sur un blog. Son athéisme est alors considéré comme "une menace à la sécurité nationale". Il écope de 10 mois de prison où il subit des violences physiques et des interrogatoires interminables. Il finit par trouver asile en France où il milite aujourd'hui pour l'athéisme.
Accusé d'apostasie et d'insulte à l'islam, le blogueur Raif Badawi purge, lui, une peine de 10 ans de prison en Arabie saoudite où il doit recevoir 1000 coups de fouet. Son crime ? Avoir plaidé sur son blog pour la laïcité, la liberté d'expression et le droit des femmes.
L'athéisme, en soi, n'est pas le problème. Le revendiquer à haute voix l'est.
Ahmed Benchemsi
Dans un article de 2015 "Invisible atheists", Ahmed Benchemsi directeur de communication auprès de la division Moyen-Orient et Afrique du Nord de Human Rights Watch, avance qu'en réalité ces athées dérangent parce qu'ils mettent en lumière l'hypocrisie et les contradictions de certaines sociétés musulmanes : « Dans le monde arabe d'aujourd'hui, ce n'est pas la religiosité qui est obligatoire ; c'est l'apparence de celle-ci. Les attitudes et les croyances non religieuses sont tolérées tant qu'elles ne sont pas visibles. L'hypocrisie sociale donne une marge de manœuvre aux modes de vie laïques, tout en préservant les apparences religieuses. L'athéisme, en soi, n'est pas le problème. Le revendiquer à haute voix l'est. Ainsi, ceux qui rendent public leur athéisme dans le monde arabe se battent moins pour la liberté de conscience que pour la liberté d'expression.»
Aujourd'hui, il est difficile de mesurer le nombre exact d'athées. Une étude publiée par l'institut de sondage américain Gallup en 2015 réalisé auprès de plus de 60 000 personnes dans une soixantaine de pays révélait que 11% des personnes interrogées se disent ouvertement athées. Contre 13% trois ans auparavant. La Chine compte le plus grand nombre de personnes se revendiquant athées (61%). Alors que la Thaïlande reste globalement le pays le plus religieux (94% des personnes disent croire en Dieu), suivie de l'Arménie (93%) et du Bangladesh (93%).
Alors qu'il est si difficile dans certains pays d'assumer son athéisme, pourquoi certain.e.s décident d'abandonner l'islam ? Le journaliste américain, Brian Whitaker qui a enquêté sur le sujet pour son livre "Arabs Without God: Atheism and Freedom of Belief in the Arab World" (Des Arabes sans dieu : athéisme et liberté de croyance dans le monde arabe, 2014), assure que les gens qu'il a rencontrés n'ont pas abandonné l'islam à cause de la montée du terrorisme, de l'islamisme radical ou des faits d'arme du groupe Etat islamique ces dernières années.
Comme Waleed Al-Husseini, d'ex-musulmans viennent à l'athéisme par réflexion personnelle, remettant en cause des textes et des dogmes dont ils trouvent certains aspects illogiques, et dans lesquels clairement ils ne se retrouvent plus.
« Il y a aussi des facteurs qui peuvent être liés à la manière avec laquelle on vit cet islam, la manière dont il est véhiculé et compris, vécu dans la société occidentale ou musulmane en général », explique le doctorant Houssame Bentabet. C'est-à-dire une religion stigmatisée, parfois assimilée au fondamentalisme alors difficle à assumer.
L'athéisme n'a pas toujours été dénoncé et condamné avec autant de force. Au milieu du XXe siècle, la parole était plus libre. Des intellectuels de gauche souvent, des universitaires critiquent publiquement la religion ou revendiquent leur athéisme. C'était avant la montée de la religiosité, du conservatisme dans les années 1980 notamment en Egypte.
Aujourd'hui, ce sont de jeunes athées qui prennent la parole. « Aujourd'hui, il y a de plus en plus de personnes qui se déclarent athées parce qu'ils le vivaient secrètement avant », précise Houssame Bentabet. Ils sont peu à se dévoiler, mais ces voix dissidentes sont de plus en plus nombreuses à s’exprimer sur les réseaux sociaux sous couvert d'anonymat sous peine de s'exposer à de graves sentences comme Raif Badawi et Waleed Al-Husseini. Cette « expression visible de l’athéisme fait surface à la fin des années 2000 », observe l’historien Dominique Avon.
« Internet a fait apparaître un athéisme qui était pratiquement ignoré jusqu’ici. Cela a fait connaître l’athéisme à un certain nombre de personnes de ces régions-là, plutôt jeunes, plutôt éduquées », souligne Patrice Dartevelle, Secrétaire général de l’association belge des athées. Il a coordonné un ouvrage sur l’athéisme dans le monde.
C’est aussi par ce biais que certains montent des réseaux d'entre-aide ou appellent à l’aide. « De plus en plus, sur les réseaux sociaux nous recevons des demandes d’aides d’athées, des Marocains, des Tunisiens, des Algériens, des Egyptiens, des Palestiniens... Souvent ils ont juste besoin de discuter un peu parce qu’ils sont vraiment tous seuls et complètement perdus. Il y en a qui veulent militer pour l’athéisme là-bas. On se trouve vraiment démunis face à leurs appels », raconte Jean-François Jacobs, qui s’occupe des réseaux sociaux notamment de l’association belge des athées.
D'autres se regroupent dans des comités d’ex-musulmans et militent hors de leur pays pour donner de la voix à l’athéisme. L'Iranienne Maryam Namazie créé ainsi en 2007 le Conseil des ex-musulmans de Grande-Bretagne. Un équivalent existe en France sous l'impulsion de Waleed Al-Husseini.
Houssame Bentabet l'a remarqué depuis qu'il a commencé sa thèse en 2014 - avant les attentats contre Charlie Hebdo et l'hypermarché casher à Paris : les langues se délient. « D'ex-musulmans acceptent aujourd'hui plus facilement de me livrer leur témoignage. La liberté de parole commence à s'installer », nous explique-t-il.
Certains parlent d'un nouveau mouvement d'athéisme qui enfle. « Le bouillonnement actuel du monde arabe est à comparer à celui de la Révolution française », écrit l'écrivain Omar Youssef Suleiman en octobre 2014 dans Aseef22 . « Celle-ci avait commencé par le rejet du statu quo. Au départ, elle était dirigée contre Marie-Antoinette et, à la fin, elle aboutit à la chute des instances religieuses et à la proclamation de la république. Ce à quoi nous assistons dans le monde musulman est un mouvement de fond pour changer de cadre intellectuel, et pas simplement de président. Et pour cela des années de lutte seront nécessaires. »
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