Les bombardements contre Kadhafi vus par le blog planétaire

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Les bombardements contre Kadhafi vus par le blog planétaire
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Les bombardements contre Kadhafi vus par le blog planétaire
Deux jours après le début des frappes aériennes contre les forces du colonel Kadhafi, et vingt ans après la première guerre du Golfe, écrivains, journalistes et personnalités du monde entier réagissent à cette nouvelle intervention de la communauté internationale. Que vous pouvez aussi commenter à votre tour.

Du Brésil, l'intervention en Libye à l'aune d'un passé qui ne passe pas.

par Frederico Licks Bertol, Brésil, le 25 mars 2011, 10 h 00 GMT

Du Brésil, l'intervention en Libye à l'aune d'un passé qui ne passe pas.
La Une de O Estado de Sao Paulo du 20 mars 2011, lors de la visite du président Obama au Brésil : “La coalition déclenche l'action militaire contre la Libye et bombarde Tripoli.“
Barack Obama se trouvait au milieu d'une réunion privée avec la Présidente du Brésil, Dilma Roussef, quand il a autorisé l'action militaire américaine en Libye. Le lendemain, il a prêché les vertus de la démocratie dans un discours au peuple brésilien ; selon Obama, nous servirons d'exemple pour le monde arabe. Mais s'il y avait un bon historien avec un mégaphone à la main parmi les spectateurs, cette personne n'aurait pas hésité à l’interrompre : "Président, monsieur, vous vous trompez. Pour mieux suivre notre exemple, la population égyptienne aurait fini par maintenir Moubarak au pouvoir jusqu'à la fin de son mandat, lui fournissant assez de temps pour manipuler le système politique afin de s'assurer que le prochain président soit choisi parmi les alliés de son gouvernement. Au cours des deux prochaines décennies, l'Egypte aurait maintenu les mêmes structures responsables de sa stagnation économique et elle aurait continué à subir une relation de dépendance à l'égard des pays riches. Enfin, pendant toute cette période frustrante, les gens auraient perdu toute confiance dans les politiciens lesquels ont été créés par le processus démocratique." LES ILLUSIONS DÉMOCRATIQUES Cette description acerbe correspond à l'ouverture politique du Brésil, et l'atmosphère d'optimisme que nous vivons maintenant ne cache pas le fait que notre démocratie n'a rien fait, du moins jusqu'à récemment, pour réduire les inégalités sociales, la corruption, la censure des médias et la violence.
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Barack Obama en compagnie de la présidente du Brésil Dilma Roussef, lors de sa visite le 21 mars 2011.
Les omissions du discours d'Obama ne s'arrêtent pas là. Il a oublié de mentionner que le Brésil avait déjà été habitué à choisir ses représentants avant le coup d'Etat militaire de 1964. Pourquoi, donc, la démocratie a-t-elle subi une défaite chez nous, comme dans beaucoup d'autres pays de la région ? Il y avait un facteur dans l'Amérique du Sud qui n'est pas présent dans les crises en Afrique du Nord : le soutien des secteurs de la société dont les valeurs et les intérêts étaient nettement en conflit avec la grande masse. La classe moyenne et l'Eglise au Brésil ont joué un rôle décisif à cet égard. Et enfin, dans son rôle de barrière au progrès des idées socialistes, la dictature avait gagné l'approbation absolue des puissances occidentales. QUAND LES DICTATURES LATINO-AMÉRICAINES SERVAIENT LES INTÉRÊTS DE L'OUEST Aujourd'hui, la communauté internationale est scandalisée par les dirigeants arabes qui menacent leur propre peuple, mais personne n'a rien fait pour empêcher les civils brésiliens d’être torturés et tués par la police – et je vous garantis que d'autres pays, en Amérique du Sud et ailleurs, peuvent aussi se plaindre. Le comportement aléatoire du Conseil de sécurité a prouvé plus d'une fois que la démocratie perd sa sacralité d§s qu’une hystérie internationale se propage, et l'hystérie change toujours en fonction de ce qui est publié par les agences de presse américaines. Une fois c’est le totalitarisme, une autre le terrorisme et, à l'heure actuelle, c’est l'abus des droits de l'homme qui justifient l'annulation de la volonté des citoyens, comme Obama l’a montré clairement quand il a engagé son pays dans une action militaire, une nouvelle fois sans l'approbation du Congrès. Est-ce cela que nous voulons pour l'Afrique du Nord ? Cela sonne comme un pirate qui enseignerait l’innocence à ses enfants. Frederico Licks Bertol, est éditeur du site correiointernacional

Du Niger, un pas de deux trop emmêlé...

par Adamou Ide, de Niamey, Niger, le 24 mars 2011, 10 h 00 GMT

Du Niger, un pas de deux trop emmêlé...
Mines d'uranium au Niger
Les événements qui se passent en Libye nous concernent directement en tant que Nigériens, en raison d'abord des répercussions qui pourraient avoir lieu, quelle que soit l'issue de ces événements, mais également pour l'influence de la Libye Kadhafienne sur notre pays et beaucoup d'autres de l'Afrique subsaharienne. Les relations du Niger avec la Libye du Colonel Kadhafi ont été toujours marquées par un "je t'aime...moi non plus" depuis le régime de la première République jusqu'à nos jours. Les velléités expansionnistes de la Libye sont connues de longue date (occupation temporaire du Puits de Toumo à la frontière nigéro-libyenne), en raison des ressources naturelles dont regorge la zone convoitée (pétrole). Le Colonel Kadhafi n'est pas innocent dans le déclenchement de la rébellion des années 1985-1990 et de celle de 2007, selon l'opinion de plusieurs observateurs. Certains chefs rebelles ne font même pas mystère de leur allégeance. LES AMABILITÉS SONNANTES DU COLONEL KADHAFI Mais la classe politique nigérienne aussi s'est laissée piéger par les amabilités sonnantes et trébuchantes du Colonel Kadhafi, à part quelques rares exceptions. Beaucoup de dirigeants africains sont dans la même situation. Ce qui explique les silences embarrassés sur les événements actuels. En tous les cas, les autorités compétentes nigériennes doivent prendre les dispositions préventives idoines pour sécuriser la zone nord par tous les moyens. Cela dit, l'intervention militaire en Libye par des forces coalisées de certains pays occidentaux se justifie-t-elle ? Les raisons humanitaires avancées ne sont pas suffisantes. S'il est vrai que la révolte de Benghazi et des autres régions contre la dictature de Kadhafi est issue du peuple libyen et voulue par lui, alors, toute intervention extérieure ne peut que décrédibiliser le mouvement, frustrer le peuple libyen de sa victoire et ternir la noblesse de sa lutte. La Liberté et la Démocratie ont un prix, mais nous regrettons toutes ces pertes en vies humaines provoquées par une dictature aux abois. Le régime de Libye ne doit pas oublier que les peuples de Tunisie et d'Égypte ont démontré que la volonté populaire peut abattre à mains nues des forteresses de la dictature que l'on croyait solides et éternelles. Adamou Ide est écrivain, poète et universitaire - Dernier livre paru "La camisole de paille" ed La Cheminante

Des États-Unis, l'enfer est pavé de bonnes intentions

par Matt Sanchez, New York, États-Unis, le 24 mars 2011, 06 h 00 GMT

Des États-Unis, l'enfer est pavé de bonnes intentions
La Une du New York Times du 23 mars 2011 : Les États-Unis cherchent à unifier les alliés tandis que les bombardements pleuvent toujours sur Tripoli.
L’action militaire américaine fait une remarquable démonstration de force. Ainsi, les 112 missiles Tomahawk ont atteint un vingtaine d’objectifs « composés de nœuds de communication stratégiques et de systèmes de défense anti-aérienne libyens ». Pourtant, la prise en charge des opérations multinationales par le navire amiral de la Sixième flotte américaine démontre les défaillances du commandement des multinationales européennes pour agir de façon convaincante et décisive. Pour la coalition, c’est-à-dire celle des Européens, le rôle secondaire de la mise en application de la zone d'exclusivité dévoile la décevante réalité des commandes européennes de l'Otan. Cette projection molle des forces des anciennes puissances mondiales reste difficile à prendre au sérieux et même dangereuse. Pour un corps militaire engagé dans une action immédiate et d'envergure, l'indécision est une bombe à retardement. LE LEURRE D'UNE COALITION MULTICULTURELLE Encore pire est l’impuissance relative des « forces arabes » à prendre une part déterminante dans le déroulement des opérations en dehors du symbolique. Le notable manque d'engagement des voisins arabes sur cette scène régionale bafoue l’image destinée au monde d'une large coalition multiculturelle. À l’origine de cette crise régionale se trouve le banal acharnement d'un dictateur expérimenté. Son terrain, la nation moderne de la Libye où vivent sept millions d’habitants dont la moitié ont moins de 15 ans.. De l'autre côté du champs de bataille se rangent des insurgés armés de kalachnikovs. Dans le monde actuel, un parallèle incohérent conduit un soldat muni des meilleurs équipements et technologies du monde à se croire plus en danger, plus fragile qu'un simple jeune homme de quartier portant un fusil d'occasion. LA FORCE DONNÉE PAR LA CONVICTION En dépit de tous les jolis discours sur la protection des vies innocentes, aucun membre de la coalition ne s'exprime aussi clairement ni avec autant de fermeté que colonel Kadhafi, un homme prêt à tout pour gagner. Voilà une bonne leçon pour ceux qui moralisent les droits de l'homme et la légitimité du droit international. Dans la guerre, la force la plus déterminante c'est la volonté. Malheureusement pour les membres de la coalition ainsi pour que les spectateurs à travers le monde, les bonnes intentions, seules, ne mènent jamais à la victoire. Matt Sanchez est journaliste à Fox News

Quand la Libye provoque la cacophonie en Russie

par Pavel Spiridonov, de Saint Pétersbourg, Russie, le 22 mars 2011, 15 h 00 GMT

Quand la Libye provoque la cacophonie en Russie
Le Premier ministre russe Vladimir Poutine en compagnie du colonel Kadhafi...
À peine l’intervention en Libye a-t-elle commencé que nous pouvons voir les divisions qui s’installent petit à petit dans les rangs des alliés. D’abord il n’y a guère d’unanimité au sein du Conseil de sécurité de l’Onu au sujet de la résolution n° 1973 sur la Libye, puis on ne comprend rien à la position des États-Unis, puis on entend dire que l’Otan ne participe pas à l’opération, mais par la suite nous remarquons que ce n’est pas vraiment les cas. Bref, une très belle cacophonie diplomatique. Aujourd’hui encore la Chine, qui n’a pas mis son véto à la résolution il y a seulement quelques jours, déclare qu’elle est contre les opérations militaires sur le sol libyen.
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... et le président Medvedev en compagnie du même colonel Kadhafi.
Mais j’aimerais parler de la Russie, ou plutôt, comment les affaires de Kadhafi ont influencé la vie politique interne de ce pays, qui a toujours était en très bons termes avec le régime de Tripoli. Hier, le 21 mars, le Premier ministre russe a déclaré que « si nous regardons attentivement, nous pouvons voire que cette résolution permet à tout le monde d’entreprendre n’importe quelle action contre un État souverain. Et ça me rappelle les croisades du Moyen-Âge. » Et il a beaucoup critiqué la politique des États-Unis sans rien dire sur la participation active du Royaume-Uni ou de la France. VRAI DUEL OU MISE EN SCÈNE ? Quelques heures à peine après ces propos de Vladimir Poutine, le président de la Russie Dmitri Medvedev a sorti un communiqué officiel qui désavoue complètement son Premier ministre. Le Président dit que « l’utilisation des expressions comme ‘croisade’ et autres est absolument inacceptable, car elle mène à une confrontation entre les civilisations. » (Version complète sur le site du Kremlin) Ce qui est très étonnant dans ce duel entre les deux hommes politiques, c’est que le prétexte est la politique extérieure. Ça fait déjà plusieurs mois que nous pouvons observer les différences dans les discours de plus en plus manifestes à l’approche des élections présidentielles qui s’approchent, entre Medvedev et Poutine, mais jusque là ils avaient toujours été relatés par la presse comme une curiosité ou un jeu qui permet de donner un semblant d’existence à enjeu électoral dans un pays où le champ politique est complètement verrouillé par ces deux hommes. En plus, les chaines de télévision russe ont largement pris parti pour le président Medvedev. Dans les journaux télévisés de midi du 21 mars 2011, nous avons pu entendre les propos du Premier ministre russe, mais déjà dans les éditions du soir, après que la position du Président ait été connue, les phrases de Poutine sur le conflit libyen ne sont plus passées dans les JT. C’est la discussion publique la plus vive entre les deux hommes depuis l’existence de ce tandem, mais ce qui est très passionnant dans la politique russe, c’est que nous ne savons pas si c’est une vraie bataille entre Medvedev et Poutine, ou une démarche très bien orchestrée et qui est orientée uniquement vers le marché intérieur. En même temps, toute la presse européenne en parle. Attendons le deuxième acte. Pavel Spiridonov est doctorant, avec pour sujet de thèse "L'Influence de l'Internet sur la littérature russe contemporaine"

Vu d'Algérie, une illusion dans le désert

par Ghania Mouffok, d'Alger, le 22 mars 2011, 13 h 00 GMT

Vu d'Algérie, une illusion dans le désert
Le quotidien algérien francophone Liberté du 22 mars 2011
Ni la Chine, ni la Russie, ni le Brésil, ni l’Allemagne ne voulaient de cette intervention militaire auxquels il faut ajouter Hugo Chavez et toute l’Amérique Latine et moi-même. Voilà qui réduit de quelques milliards d’individus la « communauté internationale ». Pourtant, moi aussi, je voulais sauver les « benghaziens » du Bouffi et de ses fils. Même si au fond, je n’ai pas les moyens de faire un sondage en Libye pour connaître l’état des opinions, c’est tout l’inconvénient des dictateurs. Avec eux, on ne sait jamais sur quel pied danser quand ils convoquent les tams-tams de la propagande. Mais propagande contre propagande, la société du spectacle se débrouille aussi et contrôle les satellites. Ils ont bien servi le colonel Mouamar el Kadhafi, gentiment interviewé par les occidentaux qui répercutent ses éructions, ses menaces contre son peuple, comme autant de bonnes raisons d’aller tous ensemble, main dans la main, lui faire exploser la gueule qu’il a fort antipathique au demeurant. Avec la société du spectacle, plus rien n’est indécent : une minute pour Benghazi, une minute pour Kadhafi et une minute pour se faire un point de vue. C’est sûr, contrairement à Chavez, je préfère les benghaziens, même si je ne comprends pas trop comment ils se sont armés parce qu’ils sont armés. Que s’est-il donc passé entre le moment où ils étaient en dictature et le moment où ils sont devenus libres et armés ? Personne ne semble s’intéresser à cette question. Quoiqu’il en soit, les benghaziens ont complètement bouleversé l’image symbolique du printemps arabe : des manifestants pacifiques chassent leur dictateur par la seule force de leur volonté et la neutralité de leur armée. Une neutralité qui, certes, vaut condamnation pour le dictateur, avec les félicitations de la communauté internationale et Obama dans le rôle du porte-parole planétaire. UN GÂCHIS DE PRINTEMPS ARABE Avec la Libye, c’est comme un retour en arrière, un gâchis de printemps arabe. Alors que les arabes montrent leur modernité, entre tweeter et facebook, réseaux sociaux, voilà avec la Libye le retour des tribus arabes. Du coup, Kadhafi n’est plus chef d’état mais chef de la tribu de Tripoli en guerre contre la tribu de Benghazi, le nom de leur chef n’est pas fourni avec le kit de la compréhension du drame libyen. Tout ce que l’on sait c’est que la tribu de Tripoli est indiscutablement la plus forte, elle risque donc d’écraser, là sous nos yeux à la télévision, la tribu de Benghazi. Il faut agir a dit le chef d’État français, l’Europe s’emballe, les Etats-Unis prennent faussement l’air absent : pendant que la coalition se met en place, Barak Obama danse la samba au Brésil et joue au foot dans les favelas. À Ban Ki Moon des Nations-Unies, de prendre la responsabilité de ce que quelques correspondants de guerre pas encore embedded qualifient de « carnage », il habille l’affaire d’une résolution aux contours floues mais qui associe des arabes, car c’est bien connu les arabes préfèrent être tués par d’autres arabes, un trait de leur culture tribale sans doute. « Et c’est parti », pouvait-on lire sur le portail de Yahoo en français, « La Libye c’est parti ». Mais pour aller où ? Comment ne pas comprendre Amr Moussa, secrétaire général de la ligue arabe, qui après avoir dit oui, se rétracte dès les premiers raids. Comme s’il prenait soudain conscience de la galère dans laquelle il avait accepté d’embarquer. Peut-être pensait-il naïf que les occidentaux avaient des moyens sophistiqués, technologiques, de contrôler le ciel pour empêcher Kadhafi d’écraser la tribu de Benghazi, un laser qui brise les méchants sur internet, une lampe magique qui de proche en proche éclaire le chemin de la paix. UNE ODYSSÉE DONT NOUS NE SOMMES QUE LES FIGURANTS Et, nous voilà, avec drones en méditerranée, des avions en rafales, et des missiles en plus, et ces morts maintenant, qu’est-ce qu’on va en faire ? Non, mais ça va pas, arrêtez tout, c’est de la triche, vous ne nous aviez pas dit que « sauver des civils » cela voulait dire faire la guerre à toute la Lybie. Mais c’est trop tard, parce qu’au fond les puissants du monde ont toujours une mentalité d’homme préhistorique même s’ils feignent de transformer la guerre en jeux vidéo depuis le ciel et la mer. Et comme les hommes préhistoriques quand ils s’emparent d’un territoire, après l’avoir transformé en champs de cendres et de deuils, ils le gardent pour nourrir leurs mammouths. C’est ce que la tribu de Tripoli et la tribu de Benghazi risquent d’apprendre à leurs dépens. Cette bataille engagée avec le soutien du bout des lèvres et en contrainte évidente de la Ligue arabe, met en danger l’unité libyenne et si ce n’est par la géographie, aux uns l’est, aux autres l’ouest, la ligne de fracture se fera entre ceux qui ont appelé de leurs vœux cette intervention et ceux qui ont refusé ce bien meurtrier sauvetage des civils. Faudra-t-il alors mettre en place des casques bleus pour les empêcher de s’entretuer, la mémoire partagée par les deuils ? Tant de victimes pour Kadhafi et tant pour les coalisés. Ces opérations militaires mettent également en danger tout le processus fragile de reprise en main de leur destin par les peuples en colère du sud de la méditerranée. Elles les dépossèdent encore une fois de leur histoire telle une illusion dans le désert. D’acteurs, ils se voient à nouveau assignés au rôle de spectateurs divisés désormais entre les bons et les mauvais arabes. Mais tous, spectateurs d’une Odyssée dont ils ne sont plus que les figurants, les ombres de la fuite. Aussi ma mémoire du monde, me souffle en la circonstance : les ennemis de mes ennemis ne sont pas mes amis. Ghania Mouffok est écrivaine et journaliste, correspondante de TV5Monde à Alger

D'Albanie : à l’Est beaucoup de nouveau

par Ilir Yzeiri, de Tirana, Albanie,, le 22 mars 2011, 11 h 00 GMT

D'Albanie : à l’Est beaucoup de nouveau
La Une du quotidien albanais Sot, du 21 mars 2011 : “Mise au jour d'un trafic d'armes entre le Monténégro (pays très proche de la Serbie, ndlr) et la Libye de Kadhafi.
En fait, je ne veux pas polémiquer avec le titre que ma consoeur si appréciée Mine Kirikkanat a choisi pour sa contribution à notre blogue planétaire. Le roman « À l’Ouest rien de nouveau » et son écrivain Erich Maria Remarque sont très connus en Albanie tout comme l’Empire Ottoman. L’Albanie a été envahie pendant cinq siècles par les ottomans. Et après la chute de l’empire ottoman notre territoire s’est divisé. Le Kosovo fut annexé par les Serbes et voilà donc que l’histoire se répète. Tout le monde se rappelle que c’est au Kosovo que pour le premier fois depuis la Seconde guerre mondiale, l’Otan est intervenue en bombardant Belgrade. Aujourd’hui au lieu de Milosevic c’est Kadhafi. Mais les Albanais et les autres citoyens des Balkans oublient vite l’histoire. Les jours de bombardements sur Belgrade ne sont pas si lointains. Depuis, il y a eu l’indépendance de Kosovo, puis les attentats du 11 septembre qui a changé l’axe de la politique de la terre, puis les guerres en Afghanistan et en Irak. Tout le monde était alors prêt à penser que face à ce grand conflit le monde risquait un choc des civilisations. LA FRANCE A RAISON Personne ne doit oublier la montée des sentiments anti-américains, et pas seulement contre le gouvernement de Bush. Quand Obama est arrivé sur la scène politique américaine tout le monde a pensé qu’enfin la liberté allait triompher sur la guerre. Obama exprimait enfin ce que le monde voulait réaliser. Pourtant, entre le rêve et la réalité, c’est la réalité amère qui a triomphé sur les rêves d’Obama. J’ai beaucoup apprécié l’intervention du philosophe Bernard Henri Levy sur TV5Monde quand il a déclaré qu’il faut se comporter d’une manière forte envers les gangsters du monde comme le sont Khadafi et ses fils. Et dans ce cas là, je loue la volonté de président Sarkozy d’avoir pris prendre l’initiative pour que l’offensive de Kadhafi contre le peuple de Benghazi s’arrête. Je comprends très biens les intérêts économiques qui se cachent derrière les interventions militaires. Mais tout le monde doit se demander s’il est juste de laisser la manne du pétrole d’un grand pays comme la Libye aux mains d’un criminel et gangster comme le sont Kadhafi et ses fils. La fortune et le patrimoine de ces monstres sont terrifiantes. Des milliards et des milliards de dollars et d’euros partout dans le monde. Quelle loi internationale pourrait justifier cette main mise sur la richesse d’un pays ? Au nom de quel droit Kadhafi et ses fils auraient le droit de tuer les gens, leur propre peuple, pour garder leurs richesses ? Pourquoi les Français et les Européens ne devraient-ils pas enfermer ce monstre qui tue son peuple et vole sa richesse ? Le bombardement sur Libye n’a pas fait la Une de la presse albanaise parce que les journaux et l’opinion publique de mon pays sont occupés par les élections régionales du mois de mai et par les affaires de la corruption de notre gouvernement. Mais cette indifférence, cette façon de ne pas participer, traduisent en fait un appui à l’intervention des alliés sur Libye. Les Albanais de l’Albanie et du Kosovo soutiennent, tous, les politiques de l’Otan et des alliés. Dans l’imaginaire collectif des Albanais, ces organismes internationaux sont vus comme les forces libératrices. NOTRE RÉVOLTE À NOUS AUSSI L’opinion albanaise a bien du mal à comprendre pourquoi les organismes du Bruxelles soutiennent encore notre Première ministre qui, durant la protestation du 21 janvier à Tirana, a ordonné de tirer sur les manifestant. Et en plein centre de Tirana, la garde républicaine a tué quatre manifestants. La presse albanaise a publié des articles sur les affaires de corruption de la famille de notre Premier ministre. Les chiffres parlent de millions et de millions d’euros et de terrains partout. L’opinion albanaise ne comprend encore pas pourquoi un tel Premier ministre devrait être ainsi soutenu. En ce qui concerne les bombardements sur Libye, la presse albanaise ne montre aucune opposition opposition. Au contraire... De ce point de vue, on peut dire que le printemps arabe a besoin d’être soutenu. Vus que les manifestants qui protestent contre les dictateurs de leurs pays ne brûlent ni les drapeaux américains et israéliens, cela veut dire que la démocratie est devenu un rêve accessible. Nos frères des oppositions arabes ont besoin d’aide. Ils le méritent... Donc « À l’est, il y a décidément, beaucoup de nouveau ». Ilir Yzeiri est journaliste et professeur à l’université de Tirana

Du Chili, l'espoir de sentir à nouveau l'odeur du jasmin

par Mauricio Tolosa, de Santiago du Chili, le 22 mars 2011, 06 h 00 GMT

Du Chili, l'espoir de sentir à nouveau l'odeur du jasmin
La Une du Mercurio chilien, du 21 mars 2011 : Les alliés ont attaqué et détruit partiellement l'une des résidences de Kadhafi.
Ce fut un court moment d’espoir : pendant les révolutions de Jasmin, les dictateurs quittaient la Tunisie et l’Egypte, expulsés par des larges mouvements citoyens, les jeunes branchés sur les réseaux sociaux étaient protagonistes et les appelaient les révolutions 2:0. En Italie, des millions de femmes prenaient les rues pacifiquement et envoyaient Berlusconi devant les tribunaux « Si ce n’est pas maintenant, quand ? » affichaient les marches de la dignité féminine. L’humanité bougeait plus vite que la pensée, l’espoir et l’action citoyenne, l’absence de leaders traditionnels, l’impact et le combat des technologies de la communication, au Caire la surprise et l’amplitude du mouvement pacifique prenaient une place dans l’histoire de la désobéissance civile mondiale. Les pays arabes secouaient leurs dictateurs et avec lui le cœur pétrolier qui fait bouger la planète. C’était un nouveau monde qui émergeait, qui annonçait la fin de la logique de guerre injuste et de mensonges de l’Irak qui avaient inauguré l’ère Bush fils. Le monde changeait plus vite que l’on ne pouvait le comprendre et le décrire, on interprétait les nouveaux scénarios avec des catégories conceptuelles qui ne leurs rendaient pas justice. KADHAFI, UNE CARICATURE HOLLYWOODIENNE C’est dans cette vague de la fragrance des Révolutions de Jasmin, que commença la rébellion civile en Libye. L’enthousiasme des réseaux sociaux initia le compte à rebours vers la sortie d’un autre dictateur, cette fois avec un record de plus de 40 ans au pouvoir. Le vide se fit autour de Kadhafi, il n’y eu plus que Castro à Cuba, Ortega au Nicaragua et Chavez au Venezuela qui accoururent à sa défense publique en recréant le vieux et connu scenario de l’Impérialisme. Dans le contexte du renouveau arabe, Kadhafi avec des discours incohérents et fébriles paraissait plus une caricature de Hollywood qu’un personnage du monde international réel. Mais la Libye n’est pas l’Egypte. Le tyran n’a pas de contrepoids, il n’y pas d’institution autre que son pouvoir. Toutes les relations avec le monde passent par la famille Kadhafi. Le tyran absolu, sans limites, qui se prend pour Dieu, qui habite un univers qu’il créa avec la terreur et l’argent. Accusé de génocide, les Kadhafi ne sont pas prêts à partir, ils n’ont aucune place hors de chez eux où arriver. Après l’offensive des rebelles qui prirent presque toutes les villes sauf Tripoli, commença la riposte impitoyable de Kadhafi. Le monde écoutait les cris de secours venant de Benghazi. Kadhafi menaçait qu’il n’y aurait pas de pitié avec les rebelles. Il n’était pas difficile d’imaginer le pire. La Ligue arabe demanda l’aide au Conseil de sécurité de nations unies. Le BRIC des pays émergents (Brésil, Russie, Inde et Chine) n’a pas osé prendre la responsabilité de s’opposer à l’intervention armée et de devoir, après coup, faire face à un massacre annoncé. C’est la guerre. UNE OPINION PUBLIQUE MONDIALE ANXIEUSE ET ENRAGÉE Quelques jours auparavant, le tsunami et surtout la menace de l’horreur nucléaire au Japon avaient semé la terreur et la rage contre les pouvoirs économiques et politiques qui développent les industries de la mort. Ils dévièrent l’attention du monde et soudèrent une opinion publique qui cherche des coupables et qui les trouve avec facilité dans les puissances industrielles occidentales. Pour cette opinion publique anxieuse et enragée, plus émotionnelle que pensante, qui suit plus le flux des images que celui des concepts ou du contexte, il est difficile de distinguer entre la Libye et l’Irak. Le nouveau scénario du monde arabe, celui de la Tunisie et de l’Egypte, n’a même pas eu le temps de s’annoncer que la télévision montre déjà les images d’une guerre du vieux scenario : il y a les Etats-Unis, le pétrole, les arabes, les bombardements nocturnes, les victimes civiles, les sous-marins et les porte-avions, les missiles tomahawk. Les guerres modernes se gagnent autant à l’écran que sur le terrain. On connait l’influence des médias sur les agendas politiques. Mais espérons que nous ne verrons pas le jour où les grandes décisions politiques, le droit international et l’assistance d’un peuple menacé se laissera déterminer, guider, plus par la peur de l’opinion publique que par la conscience de ce qui est juste. Les leaders doivent être prêts à payer le coût de choix difficiles. En même temps, il est souhaitable que jamais une guerre, même la plus justifiée ne compte sur le soutien enthousiaste des citoyens, et que, toujours, les opinions et les mouvements pour la vie et la paix soient plus grands que ceux qui appuient la mort. Il est sain que les citoyens se méfient des collusions et abus de pouvoir commerciaux, économiques et politiques des grandes puissances. Espérons qu’au plus tôt la Libye trouvera paix et liberté et que le monde reviendra à l’espoir et à la fragrance des jasmins. Mauricio Tolosa est écrivain, essayiste et journaliste

D'Iran : et nous, pourquoi personne ne nous a aidés ?

par Armin Arefi, d'Iran, le 21 mars 2011, 20 h 00 GMT

D'Iran : et nous, pourquoi personne ne nous a aidés ?
En raison de Norouz, le nouvel an iranien, il n'y a pas de journaux en Iran depuis jeudi 17 mars, Le quotidien ultraconservateur Kayhan faisait alors sa Une (comme les autres) sur Bahreïn où les chiites sont victimes d'une très violente répression du calife, avec l'aide des troupes saoudiennes. Ils mentionnaient aussi la Libye avec ce titre : “Les Révolutionnaires libyens ont détruit quatre chars appartenant à Kadhafi“.
Au lendemain des premières frappes occidentales contre le régime de Tripoli, la République islamique d’Iran a réitéré son soutien aux "revendications légitimes" des Libyens face au régime de Mouammar Kadhafi, mais a affirmé "douter" des réelles intentions des Occidentaux, selon le porte-parole de la diplomatie iranienne, cité dimanche par l'agence de presse Isna. "Ces pays entrent en général en action avec des slogans trompeurs de soutien aux peuples, mais en réalité ils cherchent leurs intérêts et notamment pour établir des bases militaires afin de poursuivre leur politique colonialiste et leur domination sous des formes nouvelles", a expliqué Ramin Mehmanparast, porte-parole du ministère iranien des Affaires étrangères, avant d’ajouter : "La position de la République islamique est de toujours soutenir les peuples et leurs revendications légitimes". Une dernière affirmation pour le moins osée, notamment après l’interdiction par les autorités iraniennes de toute manifestation pacifique de l’opposition durant ce mois dernier. Celles-ci, qui ont tout de même eu lieu à trois reprises, ont été à nouveau réprimées, avec trois morts à la clé. Si la crise qui secoue actuellement la Libye a une nouvelle fois été exploitée par le régime iranien, tout comme l’avaient été les révoltes tunisiennes et égyptiennes, elle n’a pas manqué de faire également réagir la population, et ce malgré la célébration du Norouz (nouvel an iranien) cette nuit. À Téhéran, Mahboubeh, professeure de 42 ans, se félicite de l’insurrection anti-Kadhafi, mais y émet tout de même quelques réserves : « les Libyens ont une révolution de retard, affirme-t-elle. Ce à quoi ils s’emploient aujourd’hui avec beaucoup de courage, c’est à dire de se débarrasser d’un dictateur tyrannique un temps soutenu par l’Occident, n’est pas comparable à la révolte verte de 2009 en Iran. Ils reproduisent notre révolution de 1979 contre le Shah ». Ainsi, selon l’Iranienne, qui avait manifesté il y a trente ans, et qui réaffirme s’être fait voler sa révolution démocratique par les mollahs, le peuple libyen aurait tout intérêt à songer à une alternative crédible de substitution pour éviter le piège de l’islamisme, tout en avouant malgré elle servir de « vaccin » à ce sujet pour le reste de la région. LA DÉSILLUSION DES IRANIENS Hier soir, en plein bombardement de Tripoli par son armée, le président américain Obama a adressé au peuple iranien un message vidéo de bonne année dans lequel, pour la première fois en deux ans, il n’a plus tendu la main à ses dirigeants, mais a réaffirmé au contraire son soutien aux manifestants. « Il ne s’agit que d’un discours de politicien », regrette Mahboubeh, les yeux rivés sur la chaine satellitaire en farsi Voice of America, qui retransmettait le discours. « S’il voulait tant nous aider, Obama l’aurait fait il y a deux ans au sommet des manifestations anti-gouvernementales et n’aurait pas reconnu Ahmadinejad comme président », déclare maintenant celle qui avoue prier secrètement pour que le vent dévie les frappes occidentales vers certains sites gouvernementaux iraniens. « Une attaque occidentale, même aérienne, n’aurait pour effet que de souder le peuple derrière le régime », réagit pour sa part Hassan, marchand pour le moins nationaliste de la ville d’Ispahan (centre), en évoquant le traumatisme des huit ans de guerre contre l’Irak, dont s’est servi le régime pour se consolider et mater dans le sang toute forme de contestation interne. Ainsi, s’il cautionne les frappes occidentales comme le seul moyen d’arrêter la « folie meurtrière de Kadhafi contre son propre peuple », le marchand rappelle que c’est au peuple libyen de changer son destin, et que l’état de chaos et de guerre civile qui règne actuellement en Libye n’a jamais été atteint en 2009 en Iran. « Si vous cherchez un massacre en Iran, indique Hassan, celui-ci a eu lieu à la fin des années 80, lorsque des milliers d’opposants politiques ont été exécutés en un temps record. Or à l’époque, non seulement la communauté internationale n’a rien dit, mais elle a soutenu Saddam contre nous ». Armin Arefi est un journaliste indépendant.

À Bucarest, on se demande comment fonctionne l’Onu

par Rodica Pricop, Bucarest, Roumanie, le 21mars 2011, 18 h 00 GMT

À Bucarest, on se demande comment fonctionne l’Onu
Le quotidien roumain Ziarul Financiar du 21 mars 2011 : “Une crise après l'autre : d'abord les révoltes africaines, puis le désastre au Japon, et maintenant la guerre en Libye.“
Encore une guerre dans le « monde arabe ». Le soulèvement populaire contre Mouammar Kadhafi, qui jusqu'à très récemment était le grand ami des leaders occidentaux, un ami tout aussi ’extravagant’ que généreux d’ailleurs, s’est transformé en une action militaire sous l’égide de l’ONU. Le Conseil de Sécurité, pressé par les États-Unis et la France, a décidé ainsi d’intervenir dans une guerre civile afin d’empêcher le massacre des civils, contrairement aux autres conflits d’Afrique et du Moyen Orient où les tueries sont à l’ordre du jour et les droits de l’homme sont constamment bafoués. Si on prend en compte les conflits sanglants les plus récents en Côte d’Ivoire, où les violences ont fait selon des estimations onusiennes plus de 440 morts depuis février, au Yémen, ou selon les dernières infos, 53 protestataires ont été tué au cours d’une seule manifestation (et encore, le nombre total des morts et des blessés encore reste inconnu), au Bahrein, où selon les forces de l’opposition plus de cents protestataires sont portés disparus, et encore, le soulèvement de l’opposition en Syrie, sans oublier pas les répressions successives en Iran, les décisions de l’Onu sont plus qu’aléatoires. Rappelons-nous aussi les deux mois d’offensive israélienne à Gaza de 2008-2009, qui ont laissé 1400 morts du côté palestinien, 13 côté israélien, et détruit des centaines de maisons, écoles et hôpitaux palestiniens ainsi que le siège même de l’Onu de Gaza… Rappelons-nous un secrétaire général Ban-ki Moon visitant les ruines et déplorant le déchaînement des violences, mais pas plus. Le rapport d’enquête de la commission Goldstein avait accusé Israël ainsi que le Hamas de crimes de guerre. Quoique reconnus par les Nations unies, les crimes restent jusqu’aujourd’hui sans aucune conséquence judiciaire… Alors, on se pose la question, comment fonctionne l’Onu, quels sont les critères d’intervention dans des conflits où la population est un danger et surtout pourquoi un peuple est plus en droit d’être protégé par les lois internationales que d’autres qui se trouvent dans la même situation ? Après les génocides Rwanda et de Bosnie, on avait cru, on avait espéré une réforme des Nations unies afin de ne jamais permettre que se reproduisent de telles. Malheureusement ces réformes ne sont pas venues, et les décideurs sont toujours les grandes puissances mondiales, c'est-à-dire les cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui prennent des décisions en fonction de leur propre intérêt conjoncturel. Quoique bien venue, jusqu’à un certain point qui, a été déjà dépassé avec les attaques aléatoires et la mort de civils, le public international a tout le droit de se méfier de la bonne volonté de la coalition des États qui mènent l’intervention armée en Libye. Par les massacres contre son peuple, Kadhafi a certainement perdu toute légitimité devant ses concitoyens mais aussi devant la communauté internationale. De l’ami fréquentable et extravagant des occidentaux, il est devenu le ‘chien enragé’ qui doit être renversé à tout prix à présent. Mais voilà que, trois jours seulement après le début des frappes aériennes, l’intervention des forces de la coalition conduites par Paris et Washington a déjà dépassé les termes de la résolution du Conseil de Sécurité, avec la Ligue arabe qui semble à présent regretter sa décision de soutenir cette action. La décision de Nicolas Sarkozy de reconnaître unilatéralement le Comité national de transition libyen (CNT) et la pression que Paris a faite sur les partenaires européens de procéder à des attaques ciblées contres les forces de Kadhafi, ressemble plutôt à un coup d’image sur deux fronts : le front interne, où le président de la République se trouve au plus bas dans les sondages, et sur le plan international, où la France cherche à présent à redorer son blason surtout après les balbutiements gênants vis-à-vis de la révolution en Tunisie, quant Paris avait même proposé à Ben Ali son aide afin de ‘rétablir’ l’ordre, et ensuite en Égypte, avec les révélations des liaisons douteuses entre la France et Hosni Moubarak. N’oublions pas les enjeux économiques énormes que la Libye, le dixième plus grand exportateur de pétrole au monde, posent aux grandes puissances économiques dont les intérêts sont très forts dans la région. Il n’y a pas de frappes au Yémen, en Côte d’Ivoire, au Bahrein ou ailleurs, tout simplement peut-être, parce qu’il n y a pas de pétrole dans ses pays-là... Les États-Unis, le promoteur de la démocratie avec les chars de guerre et en dépit des lois internationales, ne font que poursuivre sous Barack Obama, la même politique que ses prédécesseurs, sans doute pour protéger à tout prix leurs intérêts énergétiques, au détriment des droits et libertés des peuples d’Afrique et du Moyen Orient. On l’a vu lors des événements en Égypte : le discours réservé du leader de la Maison Blanche qui appelait à une transition “ordonnée”, ainsi que les balbutiements qui ont suivi, ont laissé la forte impression que Washington a joué un double rôle, en attendant en fait de voir l’issue de la révolte populaire. Même s’il a essayé de se rattraper ultérieurement en rendant hommage aux jeunes Égyptiens qui ont “changé l’histoire”, Barack Obama a perdu la chance d’être à la hauteur du Prix Nobel de la Paix, reçu quelques mois après son installation à la Maison Blanche. Rodica Pricop est rédactrice en chef adjointe du quotidien roumain Nine O’Clock et éditorialiste à Bucarest Hebdo

En Turquie, une impression de déjà vue : de Gallipoli à Tripoli, à l’Ouest, rien de nouveau.

par Mine Kirikkanat, d'Istanbul, Turquie, le 21 mars 2011, 14 h 00 GMT

En Turquie, une impression de déjà vue : de Gallipoli à Tripoli, à l’Ouest, rien de nouveau.
La Une de Cumhuriyet du 21 mars 2011 : “L'intervention continue. La Turquie est sur ses gardes.“
Istanbul est une ville immense (5170 km2), deux fois plus grande que Paris et ses banlieues (2723 km2) où les commerces de proximité ont toujours le vent en poupe, puisqu’ils livrent tout ce dont on a besoin à domicile, sur un coup de fil. Ainsi, un coursier m’amène tous les matins, la presse, le pain et le lait du jour. Le lendemain des premières attaques coalisées contre La Libye de Kadhafi, le coursier, une vraie tête de turc, sympa et indestructible, m’a tendu les quotidiens en disant: “Ma sœur, rien n’a change depuis les Dardanelles, en 1915!”. J’ai réalisé soudain que l’intervention en Libye de 2011, avait débuté le jour même où les Turcs célèbrent la victoire finale, sur (presque) les mêmes forces alliées que celles engagées en Libye, à Gallipoli, il y a 86 ans de cela... En 1915, les forces alliées étaient britanniques, françaises, australiennes et néo-zélandaises. Ils comptaient mettre fin à la suprématie turque sur les détroits allant vers la Mer Noire et reprendre – enfin! - Constantinople à un Empire Ottoman, agonisant... Leur argument était aussi “noble” qu’aujourd’hui, en Libye : voler au secours des blancs de la Russie impériale, menacée par les rouges. La Turquie républicaine suit actuellement l’intervention des alliés en Libye avec une forte impression de “déjà vu” et la presse reflète ce qui ressurgit de la mémoire collective : la haine d’une hypocrisie occidentale qui attaque et tue non pas pour sauver quoi que ce soit d’humains, mais pour servir ses intérêts hautement économiques dans l’immédiat et se tailler une part du gâteau dans le partage géostratégique de l’Afrique, à moyen terme. LA TURQUIE, UN ANCIEN COLONISATEUR TOUJOURS PRÉSENT Il ne faut pas oublier que les Turcs ont dominé la Libye beaucoup plus longtemps que les autres colonisateurs qui s’y sont succédés. Les investissements turcs y sont toujours très importants. Malgré l’évacuation de 20 000 ressortissants turcs juste après les émeutes, il en reste encore 5000 sur place. Pour les analystes, cette présence turque forte à Tripoli est la clé du court-circuitage de l’Otan dans l’intervention militaire menée contre Kadhafi. L’alliance actuelle s’est passée de l’Otan pour court-circuiter la Turquie qui en est membre et qui risquait de s’opposer à une intervention militaire... Puisque Kadhafi avait demandé la médiation du Premier ministre turc, Mr. Erdogan, juste avant que les Rafales français attaquent. Kadhafi est un dictateur sanguinaire et fou. Il n’est pas défendable. Mais apparemment, la démocratie occidentale tue autant pour la bonne cause qui n’est pas défendue partout et contre d’autres dictatures. Personne ne vole au secours des Yéménites qui se font massacrés pour la démocratie et on ne touche pas les tyrans saoudiens tous aussi corrompus, vicieux, bourreaux des droits des femmes et des immigrés asiatiques, et qui viennent de voler au secours de la répression au Bahreïn. Bref, les Turcs sont profondément convaincus qu’il n’y a “à l’Ouest rien de nouveau” (roman d’Erich Maria Remarque, 1929) à signaler, depuis la bataille de Gallipoli en 1915. Mine Kirikkanat est écrivaine et éditorialiste à Cumhuriyet. "Le sang des rêves", polar politique d'anticipation, est son dernier roman, paru en 2010 aux éditions Métailié.

En Afrique du Sud, on voyait Kadhafi comme un excentrique

par Liesl Louw, de Johannesbourg, Afrique du Sud, le 21 mars 2011, 13 h 00 GMT

En Afrique du Sud, on voyait Kadhafi comme un excentrique
La Une du quotidien sud africain Citizen du 21 mars 2011 : “le 'Kadhafi Blitz' - les Occidentaux ont lancé la plus grand opération de frappes aériennes depuis l'invasion de l'Irak.
Alors que les missiles Tomahawks sont lancés sur les côtes libyennes de la mer Méditerranée et que les avions de guerre français bombardent les installations de l’armée libyenne, je pense aux nombreuses occasions où j’ai vu le colonel Mouammar Kadhafi. C’était lors des sommets de l’Union Africaine à travers le continent. Il était toujours très attendu - à lui tout seul il faisait le spectacle, surtout pour nous journalistes embarqués dans ces événements souvent très ennuyeux. Avec son entourage d’amazones – ses gardes du corps très personnelles – sa tente dans les jardins des grands hôtels et ses tenues traditionnelles, il faisait tout pour voler la vedette aux autres chefs d’État. SON IDÉE FIXE DES ÉTATS UNIS D'AFRIQUE Depuis plusieurs années déjà, il martèle son idée des États Unis d’Afrique et multiplie des sommets extraordinaires, chez lui, à Syrte en Libye. Il a même proposé l’année dernière d’organiser chaque année le sommet sur ses terres ! Mais Kadhafi était toujours vu comme un excentrique, un peu fou, mais pas vraiment l’Idi Amin Dada (l’ancien tyran fou et sanguinaire d’Ouganda) de l’Afrique. On a vite oublié l’attentat de Lockerbie... Les Européens aussi il faut bien le dire. Qui pourrait imaginer qu’il s’en prenne à son propre peuple des lors que celui-ci ose suivre leurs voisins de Tunisie ou d’Égypte en manifestant dans la rue ? Est-ce qu’on aurait pu prévoir un tel nombre de morts ? La réaction des Africains dans cette affaire était très attendue. D’abord, nous avons été très surpris que l’Afrique du Sud vote en faveur du Résolution 1973 au conseil de sécurité des Nations Unies, autorisant l’intervention contre Kadhafi. Ceci alors que les rumeurs persistent autour d’un financement de Kadhafi pour la campagne présidentielle de Jacob Zuma, l’an dernier. LES HÉSITATIONS DE L'UNION AFRICAINE L’Union africaine n’approuve pas les bombardements sur la Libye et c’est presque logique, vue son hésitation habituelle et le rôle de Khadafi au sein de l’organisation. Est-ce qu’il peux rebondir grâce à un cessez le feu ou rester au pouvoir, avec un partage temporaire du pays ? Est-ce qu’il va se cacher dans le désert au fin fonds de son pays ? En tout cas, je ne pense pas qu’il posera sa tente dans le Sheraton d’Adis Ababa avec autant d’arrogance et de mépris pour ses pairs que par le passé. Liesl Louw est rédactrice en chef de la revue African.org

De Russie, nos questions sans réponse...

par Pavel Spiridonov, de Saint Pétersbourg, Russie, le 21 mars 2011, 12 h 00 GMT

De Russie, nos questions sans réponse...
La Une du quotidien Kommersant du 21 mars 2011 : “Dans le conflit entre Mouammar Kadhafi et l'Occident, Moscou a pris la position d'un observateur intéressé“
Les avions des États-Unis, France et Royaume-Uni attaquent la Libye avec l’assentiment du Conseil de Sécurité de l'ONU. La question que je me pose, c'est pourquoi la Russie et la Chine ne se sont-elles pas opposées à cette résolution ? Ce qui est plutôt contraire à ce qui se passe habituellement. Les motivations des pays européens pour entreprendre l'intervention sont assez claires : la dépendance du vieux continent au gaz libyen et l'incapacité de l'Union Européenne à contrôler les flux migratoires venus d'Afrique subsaharienne sans l’aide de la Libye. Mais la Chine et la Russie ? Quels sont leurs intérêts dans cette approbation silencieuse ? Est-ce parce qu'ils ont eu des garanties sur leur part du gâteau après la prise de contrôle des ressources d'hydrocarbures de ce pays par les insurgés, ce qui intéresse certainement la Chine, ou sur la reprise de livraison des armes à ces mêmes insurgés, ce qui est historiquement le domaine de la Russie ? Bien sûr, nous n'aurons jamais une réponse claire à cette question et il faudra attendre la fin des hostilités (avec l'espoir que ce conflit ne se transformera pas en guerre civile) pour pouvoir décrypter ce qui s'est passé dans les coulisses de l'ONU juste avant le vote. LA PRESSE RUSSE S'INTERROGE : QUELS BUTS, AVEC QUELS INTERLOCUTEURS ? Le quotidien « Kommersant » remarque que Moscou était défavorable au scénario qui se réalise maintenant en Lybie. Selon les dires d'une source de l'administration présidentielle, l'avis du Kremlin sur le régime Kadhafi n'a pas changé, mais la Russie, toutefois, ne salue pas l’emploi de la force pour résoudre ce conflit. Et ni la question sur le but de l’opération, ni celle sur la fiabilité de l'opposition comme interlocuteur valable n'ont trouvées leurs réponses. Le journal « Vedomosti » écrit sur le blocage de l'industrie pétrolière libyenne. Deux des plus grandes raffineries du pays, Ras Lanuuf et Zawya Refinery, qui traitent habituellement prés de 88% du pétrole libyen sont fermées ainsi que les ports pétroliers, tandis que les gisements du Sahara libyen sont abandonnés. RBK Daily remarque que Kadhafi a qualifié cette opération internationale comme d’« acte de terrorisme » et proclamé que « le peuple libyen sortira vainqueur de cette lutte avec l'Occident ». En même temps, les témoins dans la ville de Misourata affirment que les partisans de Kadhafi déplacent les corps des combattants, morts dans les affrontements entre les forces progouvernementales et l'opposition, dans les endroits où ont été opérés les bombardements des alliés pour les présenter comme les victimes des frappes aériennes de la coalition. Pavel Spiridonov est doctorant, avec pour sujet de thèse "L'Influence de l'Internet sur la littérature russe contemporaine"

En Grèce, une Odyssée amère pour Ulysse

par Alexia Kefalas, d'Athènes, Grèce, le 21 mars 2011, 11 h 00 GMT

En Grèce, une Odyssée amère pour Ulysse
La Une du quotidien grec Ethnos (de gauche) du 21 mars 2011 : “Odyssée guerrière en Libye“
Depuis hier, les Grecs se déchaînent contre Nicolas Sarkozy, tant adoré jusqu’à présent. Certains se demandent comment « ose t-il vouloir imposer la démocratie dans un pays tiers alors que dans son propre pays, l’abstention bas des records aux élections cantonales et la démocratie régresse ? » D’autres, au contraire, le trouvent « courageux et même visionnaire », mais la plupart des commentateurs restent sur leurs gardes. À l’image du gouvernement grec qui ne participe pas à l’opération « Odyssée de l’aube » mais soutient « Ulysse-Sarkozy ». La Grèce pourrait mettre à la disposition de la coalition internationale une base aéronavale de l'OTAN en Crète, ainsi que deux autres bases aériennes dans l'ouest du pays. De même pour Chypre : l’île d’Aphrodite s’oppose à ce que les bases britanniques situées sur son territoire servent de point de départ pour les forces armes aériennes, chargées de faire respecter la zone d'exclusion aérienne imposée par l'ONU au-dessus de la Libye. Mais nos amis chypriotes reconnaissent ne pas être en mesure d'empêcher leur utilisation à cette fin. LA CRAINTE D'UN SCÉNARIO YOUGOSLAVE Car si les motivations sont peu claires, la guerre, elle, est bien réelle. La peur de l’incertain, et surtout du massacre, du sang, de la honte, de l’échec... Les répercussions dans la région seront de facto cruelles. Et la Grèce le sait bien, qui redoute le scénario de l’ex-Yougoslavie. La Crète est à moins d’une heure d’avion de la Lybie et en tant de guerre, on le sait bien, les distances sont dérisoires. « En politique, il faut guérir les maux, jamais les venger » disait Napoléon… A méditer dans cette aventure homérique.. Alexia Kefalas est journaliste au quotidien grec Kathimerini.

Aux Étas-Unis, le président Obama, ne tire aucun bénéfice de la participation américaine à la coalition.

par Matt Sanchez, New York, États-Unis, le 21 mars 2011, 10 h 00 GMT

Aux Étas-Unis, le président Obama, ne tire aucun bénéfice de la participation américaine à la coalition.
Le président Obama était en visite au Brésil, lorsque l'intervention internationale militaire a commencé en Libye.
Le 19 mars à 12h41, 19 avions américains ont frappé "des objectifs en Libye dimanche ‘à l’aube' ", a déclaré un porte-parole de l'Africa Command à Stuttgart, en Allemagne. Le Président Obama, à ce moment-là, se trouvait ailleurs, pas seulement hors du pays, mais d'une certaine manière, hors de sa réalité. Il y a une semaine, le président américain se montrait peu décidé à prendre des mesures d'intervention en Libye et refusait toute action indépendante de la communauté internationale. L'Europe trébuchai, elle aussi, à prendre une décision, entre les éxigeances des uns et les limites, voire les refus, des autres. Quelle fut alors notre surprise lorsque le lauréat du Prix Nobel de la Paix, notre président, a alors annoncé des "actions militaires limitées" pour mettre fin à la répression menée par un si flamboyant dictateur de longue date. Obama justifie l'élimination des certaines cibles par la protection des innocents, alors que Colonel Kadhafi fait distribuer des armes aux masses, restées fidèles à sa personne, dans l'intérêt de la sécurité nationale. APRÈS L'IRAK, LE MONDE ENTIER RÉAGIT TOUJOURS MAL À LA SUPPOSÉE MAIN MISE AMÉRICAINE Si les attaques sur la Libye ont été exécutées par ceux que le président Obama réunit dans l'appellation de « large coalition », les dégâts qui en ont résulté ont décidément porté la marque exclusive « Made in America », malgré l'aval de l'ONU et le supposé appui de l'opinion arabe. Les bombardements sur la Libye ont même suscité les critiques de la Ligue Arabe. Aussi loi du théâtre des opérations, à Rio De Janeiro au Brésil, là où se trouvait le président Obama, les forces de l'ordre ont dû tirer des balles en caoutchouc pour disperser les manifestants hostiles à la présence du président Obama, après le début de l'intervention en Libye. Ainsi, la soigneuse image d'un leader américain surdoué en sensibilité vis à vis des divers intérêts du monde se perd dans les contradictions de son effort à réunir l'espoir de changement qu'il aura suscité, mais qu'il semble à peine capable d'imaginer, et encore moins de mener. Matt Sanchez est journaliste à Fox News