Les chibanis marocains gagnent contre la SNCF, condamnée pour discrimination

La SNCF a été condamnée ce mercredi en appel pour discrimination envers des cheminots marocains, a annoncé leur avocate. 848 "chibanis" employés dans les années 1970 poursuivaient la compagnie ferroviaire nationale française. Ils l'accusaient de traitements discriminatoires en matière de conditions de travail, rémunérations et statut.
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Train en gare de Dieppe en 1970.
(photo DR)
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"C'est gagné !" s'est exclamée sous les applaudissements Me Clélie de Lesquen-Jonas, l'avocate des cheminots marocains. Une centaine d'anciens salariés s'étaient déplacés à la cour d'appel de Paris  qui rendait son jugement aujourd'hui après des mois de délibéré.

"C'est un grand soulagement, une grande satisfaction", a commenté l'avocate devant la presse. "Il y a eu aujourd'hui la confirmation des condamnations (pour discrimination) obtenues en première instance en matière de carrière et de retraite et nous avons obtenu en plus des dommages et intérêts pour préjudice moral".

La décision de la cour d'appel est une "reconnaissance" des discriminations subies, cela "nous soulage un peu, mais la blessure est profonde", a réagi un plaignant, Ahmed Mikali, saluant une justice qui "a bien fonctionné dans ce cas"

Pour l'honneur

Environ 2.000 Marocains ont été recrutés entre 1970 et 1983 par la SNCF majoritairement comme contractuels, et n'ont pas bénéficié du "statut" plus avantageux des cheminots, réservé aux ressortissants européens, sous condition d'âge.  "Aptes à tout", ils ont notamment été envoyés dans les gares de triage.

► Voir ce reportage : La voie des Chibanis, réalisé par des étudiants de l'école des métiers de l'information (EMI)

Après moult renvois et, pour certains plus de dix ans de procédure, la plupart des 848 "Chibanis" (cheveux blancs en arabe) poursuivant la SNCF avaient obtenu gain de cause devant les Prud'hommes en septembre 2015. Mais l'entreprise a fait appel de cette décision qui la condamnait à plus de 170 millions de dommages et intérêts.

Lors du réexamen du dossier en mai 2017, quelques anciens salariés avaient été autorisés à s'exprimer au nom des autres. "On est là pour défendre notre honneur" car "la SNCF a profité de nous", a dit l'un deux, ému aux larmes en évoquant le moment où il a découvert le montant de sa retraite, inférieure à celle de ses collègues français.

"On travaillait comme des moutons" et "j'ai baissé la tête parce que j'avais une famille sur le dos", a expliqué un autre.

La plupart ont connu le même parcours, recrutés directement au Maroc par la SNCF dans les années 70.

En manque de main d'oeuvre, la SNCF a pu alors embaucher à grande échelle pendant plusieurs années en vertu d'une convention signée en 1963 entre la France et le royaume fraichement indépendant. Environ 2.000 recrues marocaines ont été recensées par l'association des Chibanis.

Les sélections et visites médicales étaient organisées surtout dans les régions qui avaient fourni des hommes vaillants lors de la seconde guerre mondiale.

Leur contrat signé à l'Office national de l'immigration à Casablanca, beaucoup sont arrivés à la gare d'Austerlitz à Paris, après quatre jours de bateau et train, "un voyage inoubliable avec neuf autres Marocains" pour Abdelghani Azhari, envoyé ensuite à la gare de triage d'Achères, en banlieue parisienne.

"Jeunes et forts"

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Publicité de la SNCF en 1986

"On calait les wagons. C'était dur l'hiver de faire l'attelage des trains de 700 mètres mais quand il fait chaud c'est pire", avait-il témoigné à l'AFP en 2015. Logés dans un foyer préfabriqué, "on était des cheminots aptes à tout, disponibles à Noël".

"On roulait en 3x8 mais on ne craignait pas le travail. On était jeunes et forts. On nous avait triés sur le volet", se rappelle également Abdel (prénom modifié), débauché d'un village minier de l'Atlas pour atterrir lui aussi en banlieue de Paris, à Villeneuve-Saint-Georges.

Agent "de mouvement", "reconnaisseur", "aiguilleur", "au charbon" ou "au graissage", il a enchaîné les postes. "On a fait le même boulot mais on n'avait pas les mêmes avantages que les collègues français pour la retraite, la médecine ou les jours de carence", poursuit ce Franco-marocain resté contractuel de droit privé. Après sa naturalisation, il était "trop vieux" pour décrocher le "statut" particulier des cheminots.

"Frustré", il se plaint d'avoir été plusieurs fois refoulé à des examens internes, "attend qu'on (lui) explique les raisons de ce gâchis, pourquoi j'ai été bloqué alors que les collègues pouvaient évoluer".

Une partie des cheminots marocains ont raccroché à 55 ans, "usés". "Je n'en pouvais plus, j'étais blessé des pieds à la tête alors je suis parti en 2010 quand ils m'ont proposé une prime de 16.000 euros", confie Aziz (prénom modifié), entré en 1974. Il dit avoir eu "un grand choc" en découvrant le montant de sa retraite de base: "1.004 euros".

Lors de l'examen en appel du dossier, la DRH de SNCF Mobilités a présenté à tous ses anciens salariés son "plus profond respect" et sa "reconnaissance" mais a nié les avoir "traités de façon différente".

"Des situations de discrimination pourront être retenues par votre cour", avait au contraire estimé l'avocat général.

Point final ?

Dans une déclaration à l'AFP, la SNCF a dit "prend(re) acte" de la décision rendue mercredi.

Ses avocats vont "étudier les décisions prises par la Cour d'appel pour chacun des 848 dossiers" et "à l'issue de cette analyse, SNCF Mobilités se réserve le droit d'un éventuel pourvoi en cassation", a-t-elle précisé.