Bertrand Cantat, persona non grata des deux côtés de l'Atlantique
Son nom restera à jamais gravé sur la terrible liste des auteurs de violence conjugale, sa gueule d’ange salie pour toujours par un terrible drame qui s’est produit un certain soir de juillet 2003 dans un hôtel de Vilnius, en Lituanie… Bertrand Cantat, il s’agit de lui, vient de faire l’objet d’une controverse comme on en voit rarement au Québec. UNE INVITATION QUI DÉRANGE Le 4 avril dernier, le Théâtre du Nouveau Monde de Montréal, institution théâtrale réputée sur la scène montréalaise, révèle sa programmation pour l’année prochaine. Parmi les pièces doit être présentée en mai 2012 une trilogie de Sophocle, DES FEMMES, mise en scène par Wajdi Mouawad, célèbre metteur en scène québécois d’origine libanaise. Cette trilogie aura la particularité d’avoir des musiciens live sur scène. Et parmi eux, Bertrand Cantat, invité par son « ami » Wajdi à composer la musique des choeurs. La bombe venait d’exploser. Bertrand Cantat, condamné à 8 ans de prison pour le meurtre de sa compagne, l’actrice Marie Trintignant, sur scène dans une pièce de théâtre qui parle des femmes ? Impossible, inadmissible, odieux, inacceptable, impensable, inavouable, inexplicable, la langue française pourtant riche semblait manquer de mots pour exprimer la colère et l’indignation d’une multitude de personnes et d’organismes qui s’opposaient à la présence, sur scène, de Bertrand Cantat, dans cette œuvre. Wajdi Mouawad étant à l’étranger, c’est la directrice du TNM qui s’est retrouvée avec la patate chaude entre les mains : Lorraine Pintal a défendu comme elle pouvait le choix artistique du metteur en scène, tout en avouant candidement avoir été dépassée par l’ampleur du scandale et de la controverse. Visiblement, ni Mouawad, ni les responsables du théâtre n’avaient imaginé un tel tir à boulets rouges. JUSQU'À QUÉBEC ET OTTAWA La controverse, rapidement, a fait tâche d’huile pour se répandre jusque dans les rangs de l’Assemblée nationale au Québec et dans la campagne électorale qui se poursuit sur la scène fédérale : la ministre de la Culture et des Communications du Québec, Christine St-Pierre, prise à partie sur la question, a refusé de se prononcer, tandis que les Conservateurs, qui tentent de se faire réélire à Ottawa, n’ont pas hésité une seconde à avertir que s’ils gardent le pouvoir, ils n’autoriseront pas Bertrand Cantat à rentrer sur le territoire canadien ( la loi canadienne sur l’immigration interdit l’entrée dans le pays de toute personne condamnée à l’étranger d’un crime punissable d’une peine d’au moins 10 ans de prison, ce qui est le cas de l’ex-chanteur de Noir Désir ). Autrement dit, sauf dérogation spéciale autorisée par le gouvernement canadien, Bertrand Cantat ne peut pas venir au Canada avant 2017. Pourtant, il est venu récemment au Québec justement pour travailler avec son ami Mouawad sur la production et il est visiblement passé aux douanes canadiennes comme une lettre à la poste…
Tout aussi rapidement, l’histoire a traversé l’Atlantique pour se rendre jusqu’en France car la dite trilogie de Sophocle doit aussi être présentée au Festival d’Avignon. L’acteur Jean-Louis Trintignant, apprenant que le meurtrier de sa fille allait se trouver au même événement que lui, a annulé sa présence au festival. Devant l’ampleur du tollé tant ici que dans l’Hexagone, et à l’annonce du retrait de Jean-Louis Trintignant du Festival d’Avignon, Bertrand Cantat a finalement décidé de se retirer de l’œuvre lors de sa présentation à Avignon et au Canada. Par contre, aux dernières nouvelles, il sera de la première au Théâtre d’Athènes en juin prochain ainsi qu’au Théâtre royal de Namur, en Belgique, où sera également jouée la trilogie. DE QUOI LE PARDON EST-IL LE NOM ? De son côté Wajdi Mouawad, de retour au pays, a accordé le 15 avril une entrevue exclusive à ma collègue de Radio-Canada, Anne-Marie Dussault, dans laquelle il a expliqué pourquoi son choix s’était porté sur Bertrand Cantat. Il a tout d’abord précisé qu’il ne s’attendait pas à susciter une telle controverse. Et puis, très posément, très calmement, le dramaturge a pris le soin de préciser que tous ceux qui ont protesté, crié, vilipendé et dénoncé en avaient le droit, que c’est juste une question de morale qui finalement ne concerne que chacun d’entre nous. Et il a présenté la thématique de ces trois pièces de Sophocle qui parle justement de crime passionnel, de trahison, de justice, de pardon, de vengeance, etc. « Ce que je trouvais très, très puissant, a dit Wajdi Mouawad, c’est qu’on avait un homme ( Cantat ) qui était face au désastre à travers trois pièces. Et comme son histoire est connue par tout le monde, le spectateur dans la salle allait nécessairement se retrouver face à un homme qui contemple le désastre de sa propre vie. Ce qu’on se disait, c’est qu’il y a là une adéquation entre les récits qui sont racontés et sa position, qui n’est pas celle du héros, mais qui est à l’ombre, qui fait en sorte que le texte aurait résonné précisément là où je pense que personnellement l’art doit résonner, soit un miroir de nos douleurs et de nos souffrances ». Effectivement, quel symbole puissant ! Quelle force évocatrice ! Alors ? Peut-on pardonner ? Faut-il pardonner ? Cet homme-là a payé son dû à la société, il a fait de la prison pour ce meurtre qui n’était pas un meurtre prémédité et exécuté de sang froid mais un homicide involontaire. Bertrand Cantat a-t-il le droit de remonter sur scène ? De reprendre sa carrière ? De retrouver une vie normale ? De voyager ici ou ailleurs en tant qu’homme et artiste libre ? Que penser de cette controverse ? J’avoue être dubitative, être partagée entre le droit d’un homme à retrouver une vie après avoir purgé sa peine pour le crime qu’il a commis et le droit de ceux qui se sont opposé à sa présence sur une scène dans le cadre d’une œuvre qui parle justement des femmes. C’est peut-être là que le bât blesse : si Bertrand Cantat était venu se produire ici pour présenter son œuvre ou ses nouvelles chansons, par exemple dans le cadre des Francophonies de Montréal, la controverse n’aurait sûrement pas pris cette ampleur. En même temps, les précisions données par Wajdi Mouawad m’ont troublée… c’est vrai que le symbole est fort, cet homme dont la vie est tombée en lambeaux un certain soir de juillet 2004 et qui monte sur une scène pour participer à des pièces qui parlent justement de tragédie identique à la sienne. Quoiqu’il en soit, cette histoire marquée d’un rouge sang indélébile poursuivra cet homme visiblement jusqu’à sa mort…
Dans la cabane de Catherine François au Canada
Que se passe-t-il dans le « plus beau pays du monde » - comme aimait le définir l’ex premier ministre du Canada Jean Chrétien - ? Correspondante depuis maintenant deux ans de TV5 Monde au Canada - en poste à Montréal - je vous propose dans ces carnets de suivre l’actualité de cet immense pays, baigné d’un océan à l’autre, avec toutefois un éclairage braqué plus spécifiquement sur le Québec, la province où vit la majorité francophone… je veux, dans ces carnets que je vous offrirais sur une base régulière, vous présenter ce qui fait les grands titres de la presse d’ici et vous parler de sujets d’actualité dont je ne parle pas forcément dans les reportages que je produis pour TV5 Monde. Cette nouvelle tribune me donnera aussi l’occasion de revenir plus en détails sur certains de ces reportages et de vous narrer des anecdotes de tournage quand j’en aurais – il y en a souvent - Bref, de quel bois se chauffe ma « cabane au Canada » ? Vous le saurez en venant consulter régulièrement ces pages…