Henri Beaudout passe de la théorie à l’action et il construit de ses mains un premier radeau, l’Égaré et ce, après des mois de tests pour trouver le meilleur bois – ce sera du cèdre rouge de Colombie-Britannique – le meilleur cordage, les meilleurs matériaux pour garantir le succès de l’opération. La première tentative de traversée de l’Atlantique se solde par un échec, un naufrage au large de Terre-Neuve après des mois de galère à tenter de remonter le capricieux et si difficilement navigable fleuve St-Laurent. « Notre erreur ça a été de partir de Montréal » me confie-t-il en entrevue. Le naufrage, qui a failli très mal tourner et qui en soi a déjà été toute une aventure, ne décourage pas ce Français d’origine qui se dit perfectionniste et qui, me dit-il, ne se voyait pas justement rester sur un échec.
C’est ainsi qu’il va réussir à organiser une nouvelle expédition dans laquelle vont embarquer trois autres Français, Gaston Vanackere, qui sera le photographe-cameraman de l’expédition – il ira filmer le radeau balloté par l’océan sur un petit canot pneumatique simplement rattaché au radeau par un filin, il fallait le faire ! -, Marc Modena et José Martinez, qui lui, va évacuer le radeau après un mois de navigation parce qu’il a trop le mal de mer. L’équipage est accompagné dans l’aventure par deux chats, Puce et Guitton, deux adorables minous qui vont prendre le radeau comme un gymnase à ciel ouvert – voir le reportage ci-joint – et qui vont surtout servir de baromètre météo aux trois aventuriers, car dès qu’ils sentaient venir une tempête, ils rentraient se cacher dans la cabane du radeau. Il parait que les chats sont tombés à quelques reprises à la mer mais qu’ils ont nagé et sorti leurs griffes pour remonter sur le radeau. Ils ont fini leur vie d’aventuriers à moustaches au sein de la famille royale…
La faim, le froid, les vêtements humides vont être le quotidien des trois hommes pendant 88 jours… Henri Beaudout m’a raconté que quand il a vu la terre se profiler à l’horizon, l’émotion avait été d’une force incroyable, l’une des plus grandes de sa vie. Cette aventure hallucinante lui a permis de retrouver un sens à sa vie après le traumatisme de la guerre, « j'avais un petit compte à régler avec moi-même, précise-t-il, après ma démobilisation, j’ai pris conscience que j'avais tué des hommes qui, comme moi, ne m'avaient rien fait, j'étais complètement déboussolé, je ne savais plus où j'en étais et y'avait ce besoin de risques et d'aventure qu'il fallait assouvir.... Et j'ai pensé que la nature pourrait peut-être m'aider à retrouver cet équilibre que j'avais perdu lorsque j'avais 18 ans en Allemagne quand justement ce fameux 14 avril, date anniversaire de mes 18 ans, ce jour-là j'ai eu la conviction que j'allais mourir ... nous étions encerclés par les Allemands... j'étais prêt à mourir ».