Fil d'Ariane
Le festival du film francophone d’Angoulême qui se tient jusqu’au dimanche 27 août prochain, s’est ouvert ce mardi avec un hommage au célèbre réalisateur franco-suisse Jean-Luc Godard, décédé l’année dernière. Cette 16ème édition rend en effet hommage au cinéma suisse, parfois méconnu par le public non-helvète. Nous vous proposons de (re)découvrir les cinéastes à l’honneur à Angoulême cette année.
« Le cinéma suisse, c’est un peu comme la marine suisse : on n’y croit pas. Or les deux existent. » Ces mots du cinéaste suisse Alain Tanner, mis en exergue de la brochure intitulée « Cinéma suisse, un patrimoine méconnu », publiée en 2021 par la Cinémathèque suisse, résument parfaitement la situation du 7ème art helvète vis-à-vis du grand public.
Et comme le soulignent les auteurs de cette brochure, « il existe un cinéma suisse alémanique, suisse romand (à savoir francophone), suisse italien (italophone) et même romanche (dans les Grisons). [La langue romane est parlée dans les Grisons, en Suisse orientale, NDLR] » Le cinéma suisse se singularise donc par des diversités linguistiques, territoriales et même sociales.
Né quasiment en même temps que l’invention du cinématographe par les frères Lumière en 1896, le cinéma suisse se développe surtout dans les années 1920, au cours desquelles sont produites ses premières grandes fictions, souvent consacrées aux mythes fondateurs de la Confédération.
Au fil des décennies, des générations d’hommes et de femmes se sont succédées dans cette industrie cinématographique, naviguant souvent d’un territoire à l’autre, ce qui rend évidemment complexe toute tentative de résumer cette histoire. Nous allons vous présenter ici les cinéastes suisses ou franco-suisses à l’honneur au festival du film francophone d’Angoulême.
Né à Paris le 3 décembre 1930 d’un père médecin et d’une mère issue d’une riche famille protestante, Jean-Luc Godard grandit en Suisse. Après son baccalauréat, obtenu non sans difficultés, il part étudier l’ethnologie à La Sorbonne, à Paris.
Passionné de cinéma, il écume les ciné-clubs et collabore aux Cahiers du cinéma dans les années 1950. Il y côtoie François Truffaut, Eric Rohmer ou encore Claude Chabrol, devenus ensuite de grandes figures du cinéma français.
En 1960, il sort son premier long métrage, « À bout de souffle », qui devient le manifeste de la Nouvelle vague (Mouvement du cinéma français né à la fin des années 1950) et reste à ce jour son plus grand succès.
Très engagé dans la cause palestinienne et parfois accusé d’antisémitisme, Jean-Luc Godard se consacre à la vidéo dans les années 1970, avant de revenir à la fiction au cours de la décennie suivante. Entre 1988 et 1998, il réalise une monumentale « Histoire (s) du cinéma », livre et films de collages et de citations.
Les dernières années de sa vie sont notamment consacrées à un cinéma expérimental. Réalisateur influent des deux côtés de l’Atlantique, Jean-Luc Godard est considéré par ses admirateurs comme un provocateur génial qui a révolutionné le cinéma. Il est décédé en Suisse le 13 septembre 2022.
Fils de théologien, Jean Choux naît le 6 mars 1887, à Genève, en Suisse. Après un baccalauréat classique obtenu en 1905, à Lausanne, et une licence en droit à Genève cinq ans plus tard, il devient journaliste et critique littéraire. Il s’intéresse tout particulièrement au théâtre et au cinéma.
En 1924, Jean Choux tourne son premier film intitulé « La vocation d’André Carel », pour lequel il offre son premier rôle au cinéma au comédien franco-suisse Michel Simon – qui n’était pas encore célèbre. Puis, il part à Paris où il réalise cinq films muets dans lesquels on retrouve notamment la comédienne française Thérèse Régnier, qui devient son épouse en 1931.
Toujours en 1931, Jean Choux connaît le succès grâce à l’adaptation au cinéma de « Jean de la Lune », une pièce de l’écrivain français Marcel Achard, avec des figures de la scène française comme Michel Simon, Madeleine Renaud ou encore René Lefèvre.
Réalisateur prolifique, Jean Choux tourne plus d’une quinzaine d’autres films entre 1931 et 1939. Il poursuit ensuite sa carrière sous l’occupation et sort plusieurs films tels que « La femme perdue » ou encore « Port d’attache ». Jean Choux meurt à Paris le 2 mars 1946, quelques jours seulement avant la sortie de son dernier film, « L’ange qu’on m’a donné ».
Né le 6 décembre 1929, à Genève, au sein d’une famille plutôt aisée, Alain Tanner se passionne très tôt pour le cinéma. Alors qu’il étudie l’économie à l’université de Genève, il crée le Ciné-Club universitaire en 1951 avec Claude Goretta, autre grand nom du cinéma helvète.
Après un stage d’un mois à la télévision suisse en 1955, Alain Tanner s’installe à Londres où il est employé par le British Film Institute à l’archivage et au sous-titrage de films, puis au service documentaire de la BBC.
Avec son ami Claude Goretta, qu’il fait venir à Londres, il réalise un court-métrage intitulé « Nice Time », sorti en 1957 et qui leur vaut un prix au festival de Venise. En 1969, après la sortie de son premier long métrage, « Charles mort ou vif », Alain Tanner incarne « le nouveau cinéma suisse ».
Mais c’est avec « La Salamandre », sorti en 1971 qu’Alain Tanner connaît son premier succès public. Le film reste à l’affiche du cinéma Le Saint-André-des Arts, à Paris, pendant un an. Parmi ses œuvres les plus connues, l’on peut citer « Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976), ou encore « Dans la ville blanche’ (1982).
Réalisateur prolifique, considéré comme un pionnier de la Nouvelle vague en Suisse, Allain Tanner va réaliser au total plus d’une vingtaine de films. Il est décédé le 11 septembre 2022, à Genève, en Suisse.
Né le 23 juin 1929 à Genève, Claude Goretta, comme son ami Alain Tanner, se passionne aussi très tôt pour le cinéma. Tandis qu’Alain Tanner suit des études d’économie et lui le droit à l’université de Genève, les deux compères créent le Ciné-Club universitaire en 1951.
En 1955, Claude Goretta rejoint son ami Alain Tanner à Londres où tous deux vont être employés par le British Film Institute. Deux ans plus tard, les deux compères réalisent le court-métrage « Nice Time », avec lequel ils remportent un pris au festival de Venise.
De retour en Suisse en 1958, Claude Goretta réalise des documentaires et des reportages pour la Télévision suisse romande (TSR). En parallèle, il tourne des courts-métrages de fiction avec le réalisateur suisse Michel Soutter.
Dix ans plus tard, en 1968, Claude Garotta fonde la maison de production « Groupe 5 », avec quelques-uns de ses amis dont Alain Tanner et Michel Soutter, afin d’aider le financement de films indépendants. Une structure dont les œuvres plutôt engagées contribuent à l’essor du cinéma suisse.
Son film « L’invitation », sorti en 1973, obtient le prix du jury au festival de Cannes. Ce long métrage a attiré plus de cent mille spectateurs en Suisse. « La dentelière », réalisé en 1977, avec Isabelle Huppert, reste cependant son film le plus connu. Il lui a d’ailleurs valu cette année-là le prix du jury oecuménique du festival de Cannes. Claude Garetta est mort à Genève, le 20 février 2019.
Emporté par un cancer le 10 septembre 1991, à 59 ans, Michel Soutter est un pionnier du cinéma romand. Né le 2 juin 1932, à Genève, Michel Soutter arrête très tôt ses études pour se consacrer à la poésie et au chant.
En 1953, il publie son premier recueil de poésie. Auteur-compositeur et interprète, il chante dans les cabarets-caves de Genève et Paris. C’est d’ailleurs à Paris, à la fin des années 1950, qu’il rencontre son compatriote Alain Tanner qui lui fait partager sa passion pour le cinéma.
Assistant réalisateur à la Télévision suisse romande dès 1961, il devient réalisateur trois ans plus tard. En 1965, il réalise un court métrage intitulé « Mick et Arthur ». L’année suivante, il tourne son premier long-métrage, « La lune avec les dents », présenté au festival de Locarno en 1967.
Aux côtés de Claude Garotta et Alain Tanner, il forme le trio majeur du « nouveau cinéma suisse », clé de voûte du « Groupe 5 », la maison de production initiée par Claude Garotta. En 1972, avec son film « Les Arpenteurs », il représente la Suisse au Festival de Cannes. Il est membre du jury du festival en 1974.
Auteur d’une dizaine de longs-métrages, Michel Soutter a aussi réalisé des émissions pour la télévision, des téléfilms et des mises en scène au théâtre.
Né le 13 décembre 1975, à Lausanne, au sein d’une famille suisse d’origine polonaise, Lionel Baier s’intéresse très tôt au cinéma. Il n’a en effet que dix-sept ans lorsqu’il programme et cogère le cinéma Rex, à Aubonne, commune située non loin de sa ville natale.
Entre 1995 et 1999, Lionel Baier est étudiant à la faculté des lettres de l’université de Lausanne. Mais dès 1996, il se lance dans la réalisation en devenant le premier assistant de différents cinéastes telles que feue l’ethnologue et documentariste suisse Jacqueline Veuve. En 1999, il réalise « Mignon à croquer », son premier court-métrage.
Lionel Baier se fait connaître en 2000, grâce à la diffusion à la Télévision suisse romande de son documentaire intitulé « Celui pasteur », consacré à son père qui est pasteur en Suisse. L’année suivante, il tourne « La parade », un documentaire sur la Gay Pride dans le très catholique canton du Valais.
En 2004, Lionel Baier sort « Garçon stupide », son premier long-métrage de fiction. Trois ans plus tard, il commence une tétralogie dont le deuxième volet, « Un autre homme », est en compétition au festival de Locarno en 2008. Un an plus tard, il cofonde notamment en compagnie de sa compatriote Ursula Maier, la société de production « Bande à part Films ». En 2014, il réalise « Les grandes ondes (à l’ouest), avec notamment la comédienne française Valérie Donzelli. Le troisième volet de sa tétralogie, « La dérive des continents (au sud)», est sorti l’année dernière.
De nationalité suisse et française, Ursula Maier est née le 24 juin 1971 à Besançon, en France. Entre 1990 et 1994, elle étudie le cinéma au sein de la section « Réalisation » de l’Institut des arts de diffusion, à Louvain-la-Neuve, en Belgique. En 1998, son court-métrage intitulé « Des heures sans sommeil », reçoit le prix spécial du jury au festival de Clermont-Ferrand et le grand prix international au festival de Toronto.
En 2002, Ursula Maier réalise « Des épaules solides », dans le cadre de la collection de téléfilms Arte « Masculin Féminin » tournés en vidéo. « Home », son premier long-métrage de fiction, sort en 2008 et est sélectionné cette année-là au festival de Cannes. En 2009, Ursula Maier cofonde notamment avec son compatriote Lionel Baier, la société de production « Bande à part Films ».
Trois ans plus tard, « L’enfant d’en haut », son deuxième long-métrage, avec notamment la comédienne française Léa Seydoux, obtient l’Ours d’argent au festival de Berlin. En 2018, Ursula Maier obtient le prix Suissimage pour son téléfil « Journal de ma tête », qu’elle partage avec sa compatriote Carmen Jaquier. Cette année-là, elle préside le jury de la Caméra d’or du festival de Cannes.
Née le 1er août 1975, à Lausanne, en Suisse, Delphine Lehericey est à la fois metteure en scène, comédienne et réalisatrice. Après avoir étudié les arts du spectacle à l’université Paris X, elle participe à de nombreuses créations au sein de scènes nationales ou conventionnées entre 1998 et 2008.
Puis, elle se forme en tant que vidéaste, tout en organisant et participant à des stages de scénographie et de direction d’acteurs. En 2007, elle réalise « Comme à Ostende », un moyen-métrage qui sera cette année-là en compétition officielle au festival du film francophone de Namur.
Deux ans plus tard, en 2009, avec les producteurs du magazine belge « Strip-tease », elle co-réalise le documentaire « Kil the referee », présenté la même année dans la section « Ici et ailleurs » du festival de Locarno et dans de nombreux autres festivals.
Au cours d’un stage animé par le cinéaste belge Frédéric Fonteyne, elle décide de réaliser son premier long-métrage de fiction, « Puppylove », sorti en 2013. Son deuxième long-métrage intitulé « Au milieu de l’horizon », est sorti en 2019. « Last dance », son dernier film, était sur les écrans l’année dernière.