Se réapproprier nos données ?
François Taddei, docteur en génétique moléculaire et cellulaire, pose la question de la réappropriation des données par les individus — au-delà d'une charte qui voudrait encadrer et protéger les données de chacun. Le chercheur estime que ce sont les usages qui doivent permettre cette réappropriation. "Nous n'avons pas conscience d'une bonne partie des données que nous produisons. Comment pourrait-on savoir quoi en faire ?" questionne-t-il. Et d'expliciter son propos : "Nos smartphones savent beaucoup de choses sur nous, la vitesse à laquelle nous nous déplaçons, les fautes de frappe que nous faisons, si l'on bouge la nuit ou pas, et une infinité d'autres éléments. Qui connaît ces informations ? L'entreprise qui nous a vendu le smartphone, ou nous-mêmes ?"
François Taddei prône une formation à "la réflexion sur les données", à leur mise en contexte, pour prendre du recul avec elles. Pour lui, le défi est "de savoir comment chacun d'entre nous pourra analyser les données de façon transparente, de revenir à l'Agora, aux échanges, aux rencontres pour parvenir à des décisions." Une "Open NSA" (une collecte des données similaires à celle effectuée par la NSA, mais citoyenne, transparente, ouverte et au service de l'analyse collective, ndlr) devrait se constituer, pour pouvoir "passer des données à l'information, puis pourquoi pas, à la sagesse…"
Respect de la vie privée et données culturelles
Les données numériques personnelles sont au cœur de la problématique du respect de la vie privée, sujet que le Forum d'Avignon a amplement abordé. Mais un autre concept vient s'accoler à celui de la donnée personnelle, celui de la "donnée culturelle", sorte de "marqueur des transmissions de la culture". De façon plus explicite, les journaux en ligne, les musées, librairies virtuelles, plateformes de musique, de cinéma — collectent des données sur les internautes à des fins d'optimisation commerciale, et participent aussi, par ce biais, à la transmission de données culturelles.
L'enjeu actuel est donc celui de la personnalisation des offres, de plateformes en mesure de proposer aux internautes des choix adaptés à leurs goûts, des mises en avant de produits culturels adaptés à leurs envies. Toute la problématique réside donc dans la limite entre intrusion dans la vie privée et nécessité de la dite "personnalisation". Si la donnée culturelle est aussi de l'information culturelle, que reçoit l'utilisateur de smartphone ou d'Internet, elle est de plus en plus la somme de données qui définissent l'individu lui-même. Caia Hagel, directrice créative de
guerillapop+medialab résume cette nouvelle approche du concept de donnée culturelle sous la forme de photos d'adolescentes s'exposant sur des réseaux sociaux : les individus deviendraient-ils des produits culturels à eux seul ?
Toute cette effervescence autour des données personnelles, de transmissions d'images, de textes, de sons n'est pas sans poser des problèmes de plus en plus aigus. Le principal reste celui du contrôle de ces données par ceux qui les émettent. Leur appartiennent-elles ? Si la réponse est pour l'heure souvent négative, "il sera certainement nécessaire d'encadrer la propriété des données personnelles" selon Fabrice Naftalski, avocat spécialisé dans le droit des technologies de l'information et de la protection des données.