LE SECRET EST ROIL’affaire Wikileaks est l’aboutissement d’un long processus idéologique et technologique. Pour être plus précis, la technologie a offert les moyens à une ambition idéologique plus ancienne. Celle-ci s’enracine sur les cendres de la Première Guerre mondiale. Cette boucherie, fondatrice à plus d’un titre de notre modernité occidentale, est analysée par certains comme la conséquence d’un engrenage rendu possible par les dysfonctionnements d’une diplomatie reposant essentiellement sur le secret. Le président américain Woodrow Wilson se fait le bras politique de ce courant de pensée. Parmi les célèbres
« Quatorze points » devant garantir le maintien de la paix dans le monde figure en effet « la publication des traités et la remise en cause des secrets d’Etat ». L’idée est simple : les opinions publiques n’accepteront jamais plus un tel engrenage dont elles sont au final les principales victimes.
Vaines propositions comme en atteste, par exemple la
signature du pacte germano-soviétique d’août 1939 et ses clauses secrètes (le dépeçage de la Pologne). La période de guerre froide éloigne un peu plus encore cet idéal de publication. L’opinion publique n’est alors qu’un outil, objet d’une propagande effrénée de part et d’autres. Le secret est roi.
« OPEN SOCIETY »La fin de la guerre froide marque le retour de la vieille idée wilsonienne. L’exigence d’une véritable démocratisation, débarrassée du nécessaire secret du conflit idéologique avec l’URSS, « La fin de l’histoire » prophétisée par Francis Fukuyama, passe pour certains par une transparence. Une transparence pensée comme l’aboutissement de la démocratie et condition de la paix éternelle, selon la vieille idée libérale que les démocraties ne se font pas la guerre entre elles. Le rêve d’une « open society » se trouve notamment partagée par la
Fondation Soros et son Information Program ou encore le
Berkman Center for Internet and Society de l’Université de Harvard. Evidemment, la transparence est une exigence pour les démocraties. La corruption ronge les valeurs démocratiques et exige la fin de l'opacité (en France, l'affaire Karachi illustre ce besoin de transparence). Dans les relations diplomatiques, la donne est bien différente.
L’ Amérique qui a largement cherché à promouvoir cette « open society » en pariant selon les mots de Ronald Reagan que « le Goliath du totalitarisme serait vaincu par le David de la Cybernétique » (1989) et en se faisant par exemple l’avocat de Google en Chine, semble prise au piège. Non seulement, la transparence la met en difficulté, mais en plus on peine à voir dans ces révélations un progrès démocratique.
Bien au contraire, cela devrait donner du grain à moudre aux régimes autoritaires et totalitaires qui pourront à l'envie prendre leur opinion publique à témoin sur le vrai visage des démocraties.
Alors, par un étonnant retournement, cette histoire donnera-t-elle peut-être raison à
Evgeny Morozov, spécialiste russe des rapports entre Internet et la démocratie pour qui le web est « le meilleur ami des tyrans »...
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