Fil d'Ariane
Depuis bientôt un mois, des feux ravagent des hectares de forêts dans le nord du Québec. On dénombre, depuis le début de la saison, déjà plus de 480 feux alors qu’il y en a eu, en moyenne, 263 au cours des dix dernières années. Et déjà plus d’un million trois cent mille hectares sont partis en fumée alors que la moyenne des dix dernières années est de près de 10 000 hectares brûlés. Du jamais vu. Comment l'expliquer ? Entretien avec Stéphane Caron, coordonnateur à la prévention et aux communications de la SOPFEU, la Société de protection des forêts contre le feu, l’organisme gouvernemental québécois qui gère les feux de forêt dans la province.
Une centaine de feux sont actifs au Québec, dont une quinzaine se trouvent sur la Côte-Nord. Le temps chaud et sec de la fin de semaine leur a redonné de la vigueur.
TV5MONDE : quelle est la situation actuelle ?
Nous avons actuellement 76 feux en activité au Québec, dans la zone de protection intensive, et 36 dans le nord du Québec. Dans la zone de protection, on a un million 321 mille hectares déjà brûlés, c’est énorme, du jamais vu au Québec, et dans le nord du Québec, c’est un million 580 mille hectares. On fait la distinction entre les deux zones parce qu’habituellement, dans la zone nordique, les feux, sauf s’ils menacent une communauté ou des infrastructures stratégiques, on les laisse brûler alors que dans la zone de protection intensive, on va chercher à éteindre tous les feux, parce qu’il y a des populations et des ressources forestières aussi.
TV5MONDE : quelles sont vos priorités dans ce combat ?
Ce qu’il faut comprendre, c’est que la situation est exceptionnelle. Habituellement dans la zone de protection intensive, notre objectif c’est d’éteindre rapidement tous les feux. En ce moment, avec le nombre de feux en activités, après le passage d’un front de foudre qui a allumé plus d’une centaine de feux, on se retrouve dans une situation où on doit prioriser nos interventions donc protéger les communautés, villes, villages et municipalités ainsi que des infrastructures stratégiques comme celles d’Hydro-Québec qui fournit l’électricité aux Québécois, des ponts, des routes très importantes pour relier des communautés et des tours de communication.
TV5MONDE : ces feux brûlent depuis combien de temps maintenant ?
Tout a commencé début juin et on est encore dans une situation difficile parce que les conditions météorologiques ont été propices à la propagation des incendies, pas eu beaucoup de pluie, et donc avec le nombre de feux, les superficies touchées et la météo qui ne nous aide pas, on se retrouve dans une situation où cela perdure dans le temps.
Le nombre de feu et l’intensité des feux vont augmenter et qu’il va y en avoir de plus en plus tôt dans la saison.
Stéphane Caron de la Société de protection des forêts contre le feu.
TV5MONDE : pourquoi parle-t-on d’une situation exceptionnelle ?
C’est tôt dans la saison mais c’est surtout exceptionnel pour le nombre de feux simultanément et la superficie brûlée, pour nous au Québec, depuis qu’on tient des statistiques, c’est exceptionnel. Et ça l’est également parce que d’autres provinces canadiennes sont aux prises elles aussi avec des feux, l’Alberta, l’Ontario et donc l’aide entre les provinces est moins facile parce que chacune est aux prises avec des incendies.
Voir : Canada : arrivée de pompiers français en renfort sur le front des incendies
TV5MONDE : peut-on faire un lien entre cette situation et les changements climatiques ?
C’est difficile de répondre avec précision à cette question, cependant cela correspond à ce que les chercheurs nous disent depuis plusieurs années, que le nombre de feu et l’intensité des feux vont augmenter et qu’il va y en avoir de plus en plus tôt dans la saison.
TV5MONDE : donc ce genre de situation risque de se répéter au cours des prochaines années ?
On assiste au Québec à un début de saison plus tôt et une fin de saison plus tard et ce type d’épisodes comme on a, on ne peut plus penser qu’on est à l’abri de ça. Dans l’ouest canadien, le climat est plus chaud et sec mais maintenant, nous ne sommes plus à l’abri, on a à la confirmation qu’on ne l’est plus.
TV5MONDE : quelles sont les mesures qu’il va falloir prendre pour se préparer à l’avenir ?
Pour le Québec, il va falloir avoir une approche plus intégrée avec les différentes communautés, par exemple les services d’incendies dans les municipalités n’ont pas toute la formation nécessaire pour combattre des brasiers de cet ampleur, donc il va falloir travailler davantage pour augmenter notre force de frappe collective.
Il va aussi falloir travailler davantage en partenariat avec les communautés autochtones qui vivent dans ces territoires dans le nord du Québec. Et les différentes communautés vont aussi devoir mettre en place des mesures pour atténuer les risques quand il y a un feu de forêt, par exemple dans certains secteurs, il va falloir déboiser ou faire des aménagements pour protéger des infrastructures, maisons, chalets, comme retirer de la végétation pour sécuriser les bâtiments.
TV5MONDE : qu’en est-il de la faune qui vivait dans ces forêts ?
On ne sait pas encore quel est l’impact de ces incendies sur la faune, en général, quand les brasiers sont moins gros, les animaux réussissent à fuir les feux et se mettre à l’abri mais là, étant donné l’importance des brasiers, il y a probablement des animaux qui ont péri dans les flammes.
TV5MONDE : pensez-vous venir à bout de ces incendies au cours des prochaines semaines et quel sera l’impact sur les forêts dans le nord du Québec ?
C’est sûr qu’on va finir par venir à bout de ces incendies et on va avoir besoin de l’aide de la météo avec de la pluie qui va nous permettre de les contenir et de les maîtriser pour être sûr qu’ils ne sortent plus de leurs périmètres Il va y avoir un travail colossal à faire jusqu’à l’hiver prochain pour s’assurer que ces feux soient vraiment éteints et qu’ils ne renaissent pas de leurs cendres. Quant aux impacts, c’est sûr que le premier sera pour la récolte du bois, car les ressources forestières, c’est un secteur important de l’économie du Québec.
Il va notamment falloir récolter rapidement le bois brûlé pour éviter que des insectes ne s’y développent. À long terme, l’impact sera important sur ces forêts brûlées mais il y aura aussi un effet positif car cela va aider à la régénération de certaines espèces et
cela va aussi rendre ces forêts moins vulnérables aux incendies potentiels dans l’avenir.