Les "Gilets noirs" à nouveau rassemblés à Paris : "La peur a changé de camp"

"Gilets Noirs cherchent Premier ministre". C'est sous cette banderole que le collectif de sans-papiers qui a occupé le Panthéon le 12 juillet dernier s'est rassemblé, place de la Sorbonne, ce samedi 27 juillet. Leur objectif : faire le point sur leur action. L'occasion pour ces travailleurs sans-papiers de témoigner de leur quotidien. 
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Gilets noirs
La campagne "Gilets Noirs cherchent Premier Ministre" réclament un entretien avec Edouard Philippe, en vue d'une régularisation en masse. 
(©) Nadia Bouchenni
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Soutenus par des collectifs habitués à travailler avec les migrants, comme La Chapelle Debout, ou la Cimade, des travailleurs sans-papiers ont, tour à tour, raconté leur expérience en France et leurs arrestations lors de l'occupation du Panthéon, il y a un peu plus de deux semaines. 

Ils n'ont pas obtenu d'autorisation préfectorale pour se réunir devant le Panthéon. Les "Gilets noirs" ont décidé de se rassembler, place de la Sorbonne, à quelques pas du monument. Il est près de midi quand les prises de paroles commencent. Quelques policiers sont présents et entourent la place, sans être inquiétants. 

Le collectif La Chapelle Debout interpelle le gestionnaire du Panthéon, David Madec, accusé "d'avoir collaboré avec la police, en voulant faire passer les "Gilets noirs" pour des sauvages qui envahissent la République et bafouent sa mémoire."  Le ton accusateur est donné. Il s'agit pour les différents collectifs présents d'exprimer leur vision des faits.

Des arrestations contestées

Diakité, un des membres du collectif "Gilets noirs" prend alors la parole pour raconter l'occupation : "On n’a jamais été violents, on n’a jamais insulté, ni frappé qui que ce soit. Nous sommes venus réclamer nos droits."

Il continue sur la réaction de la police : "Nous essayons toujours de négocier avec la police. On a toujours agit ainsi. Si la police accepte, tant mieux. S'ils n'acceptent pas, on quitte le lieu. Nous avons indiqué nos conditions pour sortir : pas de contrôle d'identité, ni d'arrestations. L’inspecteur de police présent qui négociait avec nous était d’accord, mais il nous a menti. La préfecture nous a trahis. On est tombé dans un piège. Nous sommes des hommes de parole. Nous n'étions pas là pour être violents. Mais on ne s’arrêtera pas là. Ils ont voulu nous faire plier, et c’est le contraire. On est determiné à aller beaucoup plus loin.”

D'après le collectif, l'occupation du Panthéon et l'action policière qui a suivi ont mené à l'arrestations de 35 personnes, dont 15 envoyées dans un centre de rétention administrative (CRA).

On est tombés dans un piège. 

Diakité, Gilet Noir

Selon leur communiqué de presse, tous ont été relâchés au bout de deux à trois jours, validant ainsi, selon eux, l'aspect illégal des contrôles d'identité effectués. En plus des arrestations, 36 personnes ont été blessées. Parmi elles, Ousmane et Koulibaly, une jambe plâtrée chacun. "Au Panthéon, on est allés réclamer nos droits dignement. Mais la police, elle, s’est comportée de manière indigne", raconte Koulibaly, avec l'aide d'un traducteur. Il a eu la cheville droite déboîtée et luxée. "Quand je suis tombé en me blessant, et que j’ai vu les policiers arriver vers moi, j’ai cru qu’ils allaient m’aider. Mais ils m’ont menotté et emmené au commissariat. Personne n’a appelé les secours, ou fait venir un médecin. Les policiers se moquaient de moi car je ne parle pas français. Ils ont voulu me faire signer un papier pour me laisser partir, mais j’ai refusé parce que je ne comprenais pas ce qui était écrit. Ils m'ont finalement laissé sortir vers 23h, alors que je ne tenais même pas debout. J'ai dû me débrouiller tout seul pour aller me faire soigner." 

Gilets noirs
36 personnes auraient été blessées suite à l'occupation du Panthéon et à la réponse de la police, le 12 juillet dernier à Paris. 
© Nadia Bouchenni

À ses côtés, Ousmane, lui, a eu une double fracture, de la cheville et du métatarse, suite à une chute, alors qu'il tentait d'échapper à la police. Il relate : "Je suis tombé alors que j'essayais d'escalader une grille. J'ai fait plusieurs chutes. Les policiers m'ont frappé avec leurs matraques à la tête, à plusieurs reprises, alors que j'étais à terre. Des gens m'ont alors relevé, accompagné jusque dans le métro, pour que je puisse ensuite aller à l'hôpital. Aujourd'hui, je ne peux même plus travailler."

Le Panthéon comme symbole

Gilets noirs
"On sait que le Panthéon n’est pas un lieu anodin." Adietou, membre des "Gilets noirs".
© Nadia Bouchenni

Adiétou a fait partie des personnes envoyées en centre de rétention après les arrestations. Il prend la parole pour raconter son expérience. Arrestation et incarcération sans pouvoir contacter ses proches ou son avocat, privation d'eau, impossibilité de se rendre aux toilettes.

Il nous raconte ensuite ce que signifie pour lui l'occupation d'un lieu comme le Panthéon. "On sait que le Panthéon n’est pas un lieu anodin. C’est un grand monument respecté partout dans le monde, et nous aussi, nous le respectons. On sait quels grands hommes sont enterrés là-bas. Les vivants ne nous écoutent pas, alors nous sommes allés montrer notre colère aux grands hommes morts de ce pays. Certains nous prennent pour des idiots qui ne savent pas ce qu'est le Panthéon. Ce n'est pas parce que nous sommes noirs et étrangers que nous sommes idiots."

Adiétou qui vient du Mali, fait partie de ce mouvement depuis le début, en novembre 2018. Il nous explique qui sont les "Gilets noirs" : "Plusieurs foyers se sont réunis pour discuter et revendiquer les droits des migrants. On se bat contre l’exploitation des patrons. La France n'est-elle pas le pays des droits de l'Homme ? Mais ces droits sont bafoués aujourd’hui. Pourquoi ne pas régulariser quelqu'un qui travaille au noir depuis des années ? Ces gens ne commettent aucun délit, ils ne sont pas en position de le faire." 

Les vivants ne nous écoutent pas, alors nous sommes allés montrer notre colère aux grands hommes morts de ce pays.

Adiétou, "Gilet noir"

"La peur a changé de camps"

Les récits s'enchaînent, entrecoupés de slogans comme "Papiers pour tous" ou encore "La peur a changé de camp". Bagui prend la parole pour parler de cette peur, comme une litanie : "On n’a pas peur de la police. On ne veut pas leur parler. Même si on n’a pas de papiers, on n’a plus peur. La peur a changé de camp. On n’a plus peur d’aller occuper un endroit, on n’a plus peur de sortir, on n’a plus peur d’exiger nos droits. La peur, c’est fini. Les sans-papiers ne sont pas respectés, certains sont à la rue, où est l’humanité ? Celui qui a traversé le Sahara sans manger ou boire pendant une semaine, celui qui a traversé la Méditerranée, qui a passé plusieurs jours à risquer sa vie, il a déjà connu le vrai danger, il n'a pas peur de la police. Même si on nous déporte, on va revenir. On est tous solidaires. L’État français doit savoir qu’on n’abandonnera pas tant qu’on n’obtiendra pas la régularisation massive pour tous, même pour ceux qui viennent d'arriver."

Gilets noirs
"Nous ne sommes pas un mouvement radical, ni violent, mais pacifiste. Nous savons où nous allons." Rodrigue, Gilet Noir
© Nadia Bouchenni

Parmi ces primo-arrivants, nous retrouvons Rodrigue. Il est arrivé de Côte d'Ivoire l'année dernière pour reprendre ses études. N'étant pas en situation régulière, il n'a pas pu continuer sa réorientation via Parcoursup.

Il est en colère contre le système qu'il qualifie "d'hypocrite" : "Quand on arrive en France et qu'on fait une demande d’asile, l'attestation est renouvelable tous les six mois. Mais nous n’avons pas d’autorisation de travail. Quand on demande la régularisation, on nous demande des fiches de paie. Mais comment pouvons-nous les fournir si nous n’avons pas le droit de travailler ? C’est une hypocrisie légale. Nous ne voulons pas avoir à nous cacher, nous voulons vivre dignement dans la légalité."

Nous ne voulons pas avoir à nous marier ou à faire des enfants avec des Français ou Françaises pour être régularisés. Nous voulons planifier la naissance de nos enfants et nos unions.

Rodrigue, Gilet noir

Du travail au noir, aux mariages blancs, en passant par le danger d'être à la rue, Rodrigue tient à alerter des dangers de sa situation : "Le mouvement des "Gilets noirs" ne revendique rien d’autre que le respect des droits des humains. Quand on vous parle du travail au noir, il ne s’agit pas de la suite de 'Germinal'. Ce sont des muscles, des intelligences, des gens employés mais qui échappent à la fiscalité. Nous voulons rendre cela à la France. Le système fabrique des SDF. Nous ne voulons pas avoir à nous marier ou à faire des enfants avec des Français ou Françaises pour être régularisés. Nous voulons être amoureux avant de nous marier, sans chercher les papiers, car la situation actuelle crée des cas de crise très graves." 

Une fois le rassemblement terminé, chacun repart de son côté, étroitement surveillé par les policiers présents. Avant de nous quitter, Rodrigue a tenu à faire une dernière mise en garde : "Nous ne sommes pas un mouvement radical, ni violent, mais pacifiste. Nous voulons néanmoins être entendus. Nous appelons tous les étudiants, travailleurs sans-papiers à nous rejoindre, et nous allons lutter ensemble. Nous savons où nous allons."

Naissance du mouvement

Le collectif "La Chapelle Debout" existe depuis 2015, s'est créé dans le but de venir en aide aux migrants vivants dans des campements de rue dans le quartier de la Chapelle - Stalingrad, à Paris. En 2018, ils font le tour de foyers d'immigrés, où vivent de nombreux sans-papiers pour relayer leurs revendications. Une bénévole nous explique : "Très vite, nous avons constaté que le mot d'ordre était la dénonciation du système et la demande de régularisation pour tous. Pour celui qui est là depuis plus de 10 ans, qui travaille et est coincé sans pouvoir retourner voir sa famille, comme pour celui qui vient d'arriver. On réclame la liberté d’installation et de circulation."
Le mouvement des "Gilets noirs" commence en novembre 2018. De nombreuses actions ont déjà eu lieu, comme la manifestation devant le Tribunal de Paris, dans le terminal 2F de l'aéroport Charles de Gaulle, en mai dernier, pour s'opposer à Air France qu'ils qualifient de "grand collaborateur de l'Etat pour les déportations", ou encore devant la tour d'Elior à la Défense, qui emploie de nombreux sans-papiers, notamment dans les centres de rétention, où sont détenus les personnes en situation irrégulière. Abdoullaye, présent lors de ce rassemblement du samedi 27 Juillet, en parle comme "un groupe esclavagiste, exploiteur des immigrés sans-papiers, qui refusent parfois de verser les salaires dûs." 
Le nom de "Gilets noirs" serait venu d'un travailleur sans-papiers qui aurait dit lors d'une manifestation : “Nous sommes des Gilets jaunes qui ont été noircis par la colère.”

Gilets noirs
© Nadia Bouchenni

La suite pour ce mouvement, c'est d'organiser à la rentrée une grande marche nationale des "Gilets noirs". "Nous voulons créer un front unique avec toutes les variantes du mouvement social en France, Gilets jaunes compris", explique la Chapelle Debout. "Nous n'abandonnerons pas tant que toutes les personnes blessées, arrêtées ne seront pas vengées. Cette vengeance, c'est la régularisation de tous."

> Retrouvez notre article sur l'occupation du Panthéon : 

En France, les "Gilets noirs" réclament des papiers et des logements