Ils sont 150, peut-être 200, en petits groupes serrés qui discutent au milieu du square de la Porte de la Villette, un étroit rectangle d'herbe avec une balançoire et un toboggan, au bord du périphérique qui déverse son flot incessant de véhicules. Des jeunes, majoritairement, entre 18 et 25 ans, habillés de jeans, tee-shirts, certains avec des blousons, d'autres sans. Ils ressemblent à n'importe quels adolescents ou jeunes adultes occidentaux, le type méditerranéen en plus. Ils ont l'air nerveux, mais sourient aux quelques Français présents qui s'intéressent à eux. Ils parlent fort à certains moments, des invectives fusent en arabe, on sent de l'électricité dans l'air : la plupart n'ont pas réussi à dormir à cause du froid. Un ou deux "vieux" Tunisiens vont et viennent pour expliquer en arabe ce qu'il se passe. Ou ne se passe pas. Parce que personne n'est venu leur proposer de solution concrète. Ils sont là depuis 3 jours, sans rien. Les héros qui ont détrôné le despote Ben Ali sont nus et sans défense, laissés pour compte d'une république française qui a décidé, pour l'instant, de ne rien faire. Enfin si : des forces de police ont placé une partie des jeunes migrants indésirables en garde à vue… Entre désespoir et indignation Un groupe plus important se forme autour d'une femme en manteau beige, une main de Fatma autour du cou, la voix ferme et l'air déterminé : Samia Maktouf, avocate engagée auprès des réfugiés est "sur le pont" depuis qu'ils se sont entassés dans le square, le 26 avril. Elle donne des explications en arabe à des groupes qui s'agglutinent autour d'elle, répond aux journalistes en français, reprend en arabe. La femme de loi est stupéfaite et indignée par l'immobilisme des pouvoirs publics, des conditions de détention des gardés à vue. " Ces jeunes sont les héros de la première révolution moderne démocratique arabe, ils ont libéré la Tunisie qui a ensuite accueilli 200 000 réfugiés libyens et on les considère en France comme des pestiférés : ils ne comprennent pas ! Ils ont été traités de manière inhumaine par la police française ! " Un jeune s'avance, l'air accablé. Samia Maktouf traduit les paroles du jeune homme : " On nous a ceinturés violemment, on nous a traînés, et comme il n'y avait pas assez de menottes, on nous a mis du scotch autour de la bouche et autour des mains, on ne nous pas traités humainement, ce n'est pas humain ! En Italie ce n'était pas pareil, on a été traités correctement, pas comme en France ! " Madame Maktouf explique comment une chaîne de solidarité spontanée s'est organisée pour empêcher la rafle des migrant du square, qui pour certains n'ont pas réapparu :
Pourquoi fuir la Tunisie après avoir fait la révolution ? Les jeunes migrants d'infortune ne comprennent pas l'attitude française et ceux qui veulent bien témoigner de leur histoire expriment tous, de la même manière, comment et pourquoi ils ont quitté leur pays afin de rejoindre la France. Noubek, 23 ans, explique ses motivations.
La solidarité citoyenne de la communauté tunisienne pour seule aide Une camionnette jaune se gare aux abords du square et provoque immédiatement un mouvement de foule. Une partie des jeunes gens se rue vers le véhicule : la distribution de sandwichs se fera dans la cohue. C'est un entrepreneur tunisien, qui, de sa propre initiative, ravitaille les réfugiés. D'autres membres de la communauté tunisienne ont apporté quelques vêtements, ont hébergé comme ils pouvaient une petite partie des jeunes du square. Deux élus écologistes de la mairie de Paris viennent discuter, les solutions d'aide d'urgence ne semblent pas se mettre en place facilement. Un étudiant français d'origine tunisienne explique qu'on les appelle désormais les " marcheurs " parce qu'ils déambulent toute la nuit pour lutter contre le froid .
Des réfugiés économiques et sociaux amers Si ces jeunes Tunisiens rêvaient déjà de venir en France avant la chute du régime de Ben Ali, leurs motivations actuelles sont avant tout le produit d'une conjugaison de facteurs économiques et sociaux : l'instabilité qu'engendre en Tunisie l'afflux de réfugiés libyens, la dégringolade économique causée par l'arrêt du tourisme, l'insécurité actuelle du pays avec un gouvernement qui n'a pas restructuré les forces de police, ce qui laisse aux criminels une grande latitude. Ceux qui manifestaient contre le régime policier de Ben Ali sont devenus un modèle pour les populations égyptiennes, libyennes, ou encore yéménites. Toutes ces révolutions que la France soutient. Ces jeunes, naïfs et rêvant d'une vie meilleure, d'aider leur famille, croyaient être reçus fraternellement par le " cousin français " comme ils l'ont fait eux-mêmes pour les réfugiés libyens. La désillusion est complète. Leur déception confine à l'amertume.
Repères
On se sait pas combien de migrants tunisiens sont actuellement en France. Les réfugiés du square de la porte de la Villette sont autour de 200, il y aurait 400 ressortissants tunisiens en provenance de l'Italie en région parisienne actuellement. Plus de
25 000 migrants, majoritairement tunisiens ont rejoint l'île de Lampedusa, (territoire italien de
20 kilomètres carré et de
6000 habitants, situé à
moins de 170 km de la côte tunisienne) depuis le premier janvier, alors qu'ils n'étaient que
4000 à l'avoir fait
en 2010.
20.000 Tunisiens ont bénéficié d’un visa de l'
état italien pour une durée de trois mois reconductible.
Les accords de Schengen offrent une libre circulation au sein des pays de l'Union pour les migrant en situation régulière, mais l
'état français conteste la validité des titres de séjour donnés aux migrants tunisiens par l'Italie au prétexte que résider légalement en Europe " nécessite un passeport et des moyens de subsistance ". Les accords de Schengen ne peuvent être suspendus, mais un contrôle exceptionnel aux frontières " en cas de menace grave pour l'ordre public et la sécurité intérieur " est possible durant 30 jours renouvelables. Tunis va recevoir une aide économique de
300 millions d'euros (environ 700 millions de DT) de l’Italie pour équiper ses garde-côtes en radars et vedettes rapides. Depuis le 15 février, l'agence
Frontex (Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures ) a déployé à Lampedusa 4 avions, 2 hélicoptères, 2 bateaux et une trentaine d’experts au sol. Ses objectifs sont avant tout la détection et prévention des activité criminelles et l'assistance pour organiser le retour des migrants dans les pays d'origine.