REACTION EN CHAINE A deux pas d'une église luthérienne blanche et modeste, comme il en existe plus d'une vingtaine dans la capitale, Vilborg Oddsdóttir fait les comptes. C'est la directrice du
service social de l'Église islandaise. « L'année dernière, nous avons aidé 5000 familles contre 1200 auparavant. Elles sont venues nous voir près de trois fois en douze mois, surtout à Noël. » S'occupant habituellement des drogués et alcooliques, cette puissante organisation, la seule à intervenir sur l'ensemble de l'île grâce au relais des pasteurs présents dans les paroisses les plus reculées, a dû revoir ses méthodes de travail en un temps record. « On a ouvert une permanence avec un conseiller financier, traduit nos brochures en langues étrangères pour les nombreux étrangers qui se retrouvent sans travail et on a redéfini nos critères de sélection. Le premier mois de la crise a été un vrai challenge », confie Vilborg. « Il y a eu comme une réaction en chaîne dans ce tout petit pays, ajoute Rannva Olsen,
directrice de l'Armée du Salut. Chacun a commencé à parler de ses problèmes aux autres et tout le monde est devenu anxieux... » Dans ce contexte éprouvant, les Islandais ont retrouvé de vieux réflexes : émigrer pour travailler. En 2010, 6000 personnes, dont 80% ont moins de 40 ans, ont quitté l’île pour la Norvège, la Pologne, le Danemark ou la Suède (1500 sont aussi revenues). Mais il ne faut pas sur-dramatiser. « La situation n'a pas empiré autant qu'on le craignait, précise
Gylfi Zoega, économiste à l’Université d'Islande. On avait cru que le chômage allait grimper jusqu'à 17%. Il est finalement resté sous la barre des 10%, ce qui est plus faible que dans le reste de l'Europe. » Le pays est toujours en récession mais la crise est désormais « stabilisée », ajoute l’expert. En décembre 2010, un accord a été également trouvé entre le gouvernement, les caisses de retraite et les banques pour soulager les familles les plus endettées.
FIN DES NEO-VIKINGS La pauvreté qui a toujours existe en Islande mais était le plus souvent ignorée, n'a donc pas explosé. Ni le nombre de sans-abris ni la consommation d'alcool et encore moins le taux de suicides n'ont augmenté. « Pour la plupart des gens, c'est en fait leur mode de vie qui a changé, nuance Vilborg. On ne prend plus l'avion pour passer un week-end à Londres. On a arrêté de dépenser sans compter. Les ados, qui brassaient aussi beaucoup d'argent, ne vont plus au restaurant trois fois par semaine. Parents et enfants se retrouvent désormais à déjeuner chez la grand-mère. Et c'est tant mieux. » L'esprit conquérant des « Néo-Vikings », ces financiers qui investissaient à tour de bras sur les marchés internationaux, qui avaient le goût du clinquant et l'arrogance des nouveaux riches, est révolu. « Pour être respecté aujourd'hui, on n'est plus obligé de vouloir être le plus fort, le plus ambitieux. On a enfin le droit, se réjouit une Islandaise trentenaire, d'avoir de petites idées et de se contenter d'ouvrir de petits commerces comme une épicerie ou un café. » Le libéralisme sans entrave et les privations à tour de bras n’ont plus le vent en poupe. Pour Vilborg, c’est l’occasion de réformer le système de sécurité sociale islandais qui est en réalité plus proche du modèle américain que de celui des pays scandinaves. Elle va d'ailleurs participer à
la première conférence nordique sur les métiers du social et le rôle de l'Etat providence qui aura lieu à Reykjavik du 11 au 13 août 2011. Une réelle prise de conscience semble avoir eu lieu. L’Islande ne peut plus ignorer la problématique de la pauvreté. Le gouvernement a d’ailleurs envoyé une demande d’adhésion au réseau européen de lutte contre la pauvreté auquel participe depuis des années la Norvège et se penche sur une définition proprement islandaise de la pauvreté.