Fil d'Ariane
2 556,46 euros : c'est, au terme d'une longue négociation entre les autorités allemandes et une organisation internationale, la somme que vont pouvoir obtenir à titre d'indemnité unique par personne les juifs qui vivaient en Algérie entre juillet 1940 et novembre 1942.
La première date correspond à l'invasion de la France par l'armée allemande ; la seconde à celle du débarquement américain en Afrique du Nord et singulièrement en Algérie, alors territoire français resté sous l'administration du régime collaborationniste de Vichy .
L'annonce est faite sur son site internet par la Conference on Jewish Material Claims Against Germany (Claims Conference), organisation consacrée aux dédommagements des victimes du nazisme. Selon elle, le nombre d'Algériens survivants juifs de l'Holocauste serait d'environ 25 000 à travers le monde.
Édictées dès octobre 1940 par le gouvernement du maréchal Pétain soumis à l'Allemagne nazie, les lois anti-juives sont appliquées avec rigueur au Maghreb où vit une importante communauté israélite.
Zèle spontané, car les Allemands n'ont pas formulé, à ce stade, d'exigences particulières pour ces territoires qu'elles n'occupent pas. Et sans contrepoids, à l'inverse du Maroc, où les juifs sont partiellement protégés par les autorités chérifiennes locales, voire même par l'Espagne franquiste.
Ceux d’Algérie perdent dès 1941 leur nationalité française acquise en vertu du décret Crémieux de 1870 (1). Ils doivent se soumettre à un recensement et déclarer leurs biens. Ils sont interdits de fonction publique – le cas échéant, renvoyés – et d'un certain nombre de professions.
Mesures supplémentaires sur les lois anti-juives de métropole : l’expulsion des enfants juifs des écoles publiques, collèges et lycées ; l’interdiction aux étudiants juifs de se présenter aux examens du second degré.
Sans doute les juifs d'Algérie échappent-ils globalement à la déportation et au massacre. Ils n’échappent cependant pas à l'antisémitisme même si les autorités vichyssoises, d'abord soucieuses de leur « révolution nationale » dans un lieu qui leur était laissé, évitent d'attiser des débordements susceptibles d'attirer les nazis. « La législation anti-juive de Vichy affirme l'historien Michel Abitbol (2), s’appliqua dans toute son ampleur, avec l’assentiment et les encouragements de la majorité de la population européenne, l’indifférence complice des masses musulmanes ».
La déchéance de leur nationalité française, pourtant, rapproche dans leur statut les juifs des musulmans. L'idée de rechercher une alliance fait son chemin chez une partie d'entre eux mais elle n'a guère le temps de mûrir.
Le 8 novembre 1942, l'opération Torch sonne le débarquement des Anglo-Américains en Afrique du Nord. Leur prise d'Alger est grandement aidée par la Résistance locale qui comprend … un grand nombre de juifs.
Les Américains favorisent cependant durant plusieurs mois le maintien en Algérie d'un pouvoir local non collaborationniste mais proche des idées de Vichy avant de se résigner à la légitimité du général de Gaulle.
L'autorité de ce dernier ne s'établit pleinement à Alger qu'à la mi-1943. Les lois anti-juives sont déclarées nulles. Les juifs sont rétablis dans la nationalité française le 22 octobre 1943. Un an après le débarquement militaire.
Qu'il ait fallu soixante quinze années de plus pour une indemnisation des victimes laisse perplexe. « Cette reconnaissance n'avait que trop attendu pour un important groupe de juifs d'Algérie qui ont souffert de mesures anti-juives prises par des alliés des nazis comme le régime de Vichy », souligne le communiqué de la Claims conference, qui affirme qu'elle répond à une réclamation ancienne.
Organisation créée en 1951 par un ensemble d’associations juives, La Claims conference est reconnue par les autorités allemandes. Elle a son siège à New York et des antennes à Francfort, Vienne et Tel Aviv.
Sa gestion a souvent été décriée. Elle est entachée, dans les années 1990, de scandales retentissants portant sur des dizaines de millions de dollars de détournements. Elle n'en reste pas moins une institution reconnue internationalement, et c’est avec elle que négocie le gouvernement allemand.
Elle administre différents programmes d’indemnisation. L'un s'adresse spécifiquement à des juifs victimes de déportations, d'enfermement en ghettos ou contraints à la clandestinité. Un autre aux enfants survivants.
Le fonds dit « Hardship » lui, est destiné à des juifs qui ont « subi une privation de liberté, fui le régime nazi, souffert d’une restriction de liberté (par exemple le port de l’étoile jaune) ou encore d’une restriction de mouvement (couvre-feu, résidence forcée, etc.) ». Il consiste en une indemnisation, en un ou deux versements, de 2556 euros. Les juifs d'Algérie, jusqu'alors, n'y étaient pas éligibles.
Le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), ombrelle politique de la première communauté juive d'Europe, se déclare « très satisfait » à l'idée qu' « une injustice » prenne fin.
« Ce qui est important, c'est la reconnaissance de la souffrance, qui passe aussi par une réparation matérielle. Jusqu'alors, cette reconnaissance n'allait pas jusqu'aux juifs d'Algérie, ce qui posait problème », relève Francis Kalifat, lui-même né à Oran (Algérie). « Nous arrivons aux derniers dossiers de demande d'indemnisation. Il faut se hâter de les régler, car il reste bien peu de survivants », fait-il valoir.
La Claims Conference va ouvrir début février et jusqu'en avril 2018 un centre d'enregistrement et d'aide à Paris, où la plus grande partie des survivants algériens résident. D'autres centres seront ouverts à Marseille, Lyon et Toulouse. Des courriels vont être envoyés aux survivants algériens installés dans d'autres pays. Les paiements devraient débuter en juillet 2018.
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(1) Décret Crémieux du 24 octobre 1870. Il déclare citoyens français «les Israélites indigènes des départements de l'Algérie»
(2) Michel Abitbol, Les Juifs d’Afrique du Nord sous Vichy Paris, Riveneuve Éditions, 2008