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De la lumière, et bien des ombres. Le français est constitutionnellement la deuxième langue officielle de Madagascar. En pratique, il n'est parlé que par environ un cinquième de ses ressortissants. Seuls les lettrés le maîtrisent réellement. Selon les statistiques de l'académie malgache, dans tout Madagascar, 0,57 % de la population parle uniquement le français, 15,87 % le pratiquent occasionnellement (un chiffre, par comparaison proche de celui du Mali) et 83,61 % ne savent que le malgache.
A l'origine de cette position singulière : une histoire et un contexte fort différent de celui des autres ex-colonies françaises d'Afrique. Des aléas politiques contradictoires depuis son indépendance.
Lorsque la France prend pied à Madagascar au XIXème siècle, elle trouve un royaume vulnérable mais structuré, doté d'une administration, d'un territoire et d'une langue presque commune, sinon unique. Rattachée aux langues de l’Indonésie et des Philippines, cette dernière est enrichie d'apports africains, indiens et européens.
La colonisation française prend d'abord la forme d'un protectorat (1885-1896) puis, face à la résistance d'une partie de la population, d'une annexion (1896). Le Général Gallieni prend l'intégralité des pouvoirs civils et militaires et accomplit l' « unification » de la grande île.
Celle-ci recouvre l'indépendance en 1960. La colonisation française n'y a donc duré « que » 80 ans, ce qui est peu rapporté, par exemple, à l'Algérie. L'imprégnation de sa langue n'y a pas moins été puissante, par l'intermédiaire de son administration et de l'école obligatoire.
Aimablement néo-coloniale, la Première République (1960-1972) dirigée par le Président Philibert Tsiranana maintient une omniprésence de l'ex-puissance tutélaire et avec elle la position du français.
En 1972, une contestation – à forte composante étudiante – et des émeutes le chassent du pouvoir. Avènement d'une « Révolution » emprunte de nationalisme, incluant une exigence de « malgachisation ». Fin 1975, après trois années d'instabilité, un référendum consacre l'avènement d'une nouvelle constitution, l'élection à la présidence du capitaine Didier Ratsiraka (celui-la même qui, quarante-cinq ans plus tard, joue toujours un rôle très actif) et une « Charte nationale de la Révolution malagasy » (malagasy = malgache).
Sous la poigne de Ratsiraka et de son parti "Arema", la Révolution malagasy consacre le choix – assez théorique – du socialisme révolutionnaire contre l'impérialisme et le colonialisme. Les liens avec la France ne sont pas rompus mais sérieusement distendus, fussent-ils culturels. Observation du « livre rouge » qui exprime la doctrine du régime: « parler une autre langue n'est pas dire sa pensée avec d'autres mots mais penser autrement et, du même coup, penser autre chose ». Mais nuance pragmatique :« Force est de reconnaître que pendant longtemps, nous aurons besoin de cette langue comme d'une fenêtre ouverte sur le monde de la civilisation technique ».
Le français n'en perd pas moins sa place de langue officielle et dans le système scolaire malgache. De langue d'enseignement, il devient statutairement langue étrangère, enseigné seulement au milieu du deuxième cycle secondaire. La malgachisation, en pratique, se heurte à bien des difficultés politiques et matérielles mais un résultat demeure : le recul spectaculaire du français, voire sa quasi disparition pour une génération d'écoliers.
Dès la fin des années 80, pourtant, la "révolution malgache" s'édulcore. Revenu de tentations nord-coréennes, Didier Ratsiraka renoue avec la France. Mais son autorité pâlit. Il perd le pouvoir une première fois par des élections, y revient par les mêmes urnes ... et le reperd enfin en 2001, sous les assauts du fringant homme d'affaire Marc Ravalomanana. Ce dernier s'impose au terme d'élections controversée et d'une longue épreuve de force.
Surnommé le « Roi du yaourt » (il dirige un empire de laiteries), admiré pour sa réussite financière, Marc Ravalomanana est influencé par des lobbies affairistes et religieux protestants anglo-saxons, voire sud-africains. De culture et d'éloquence limitées (à l'inverse de Ratsiraka), il parle mal le français, médiocrement l'anglais et, selon ses adversaires … pas beaucoup mieux le malgache.
Il ne pardonne pas à la France sa réserve – comme tous les pays de l'UE ou de l'OUA mais à l'inverse des Etats-Unis qui l'ont discrètement soutenu - lorsque, en marche vers le pouvoir, il s'était auto-proclamé président. Un différend territorial (souveraineté sur les Îles éparses, îlots disputés de l'océan indien) aigrit la relation déjà fraîche. La foi dans la mondialisation et le libéralisme– qui lui réussissent personnellement – tendent à porter le riche politicien vers la culture et les valeurs supposées du monde anglo-saxon.
Les liens économiques avec l'ancienne puissance coloniale - demeurée l'un des principaux bailleurs de fonds - restent cette fois encore préservés mais la langue française, à nouveau, paiera. L'anglais, sans racines à Madagascar et peu pratiqué, est déclaré langue officielle en 2007, en concurrence avec le français. Son enseignement et sa diffusion dans les médias publics sont favorisés.
La success story, pourtant, ne tarde pas à virer lose. En 2009, Ravalomanana est chassé du pouvoir par le jeune Andry Rajoelina. Figure de la nuit ("disc jockey") de la capitale dont il a été maire, celui-ci appartient plus classiquement à l'élite urbaine francophone. La France condamne pieusement son coup de force mais voit partir sans déplaisir un Ravalomanana désagréable à son endroit. Sa prise du pouvoir progressivement validée par la communauté internationale, Rajoelina s'empresse d'améliorer ses relations avec Paris qui, dans le fond, ne lui a guère été hostile.
Votée en 2010, la constitution de la Quatrième République malagasy confirme la place retrouvée du français comme langue officielle au côté du malgache. L'anglais redevient une langue étrangère.
Succédant à Rajoelina à l'issue d'une laborieuse transition, le président de la République élu en 2014, Hery Rajaonarimampianina - économiste formé au Quebec, enseignant en France - confirme l'orientation « francophoniste » de son prédécesseur, dont il fut ministre.
L’accueil très désiré par le pouvoir malgache du Sommet de la francophonie en est une autre expression même si sa finalisation en 2016 compense en fait un raté (une annulation en 2010 pour cause d'instabilité politique).
Ce ne sera pas de trop pour renforcer à Madagascar un français qui s'y trouve in fine mal en point. Même réhabilité politiquement et reconnu dans la société, il demeure, après cent-vingt ans, une langue de l'élite. On fait mieux comme triomphe. Si les soubresauts politiques des quatre dernières décennies ont beaucoup contribué à son affaiblissement, en particulier dans son enseignement, ils ne sont pas seuls responsables.
Une langue qui n'est pas maternelle se développe dans un environnement éducatif favorable, en premier lieu l'école. Celle de Madagascar, surtout publique, est en mauvais état. Le taux d'analphabétisme du pays voisine les 30 %.
L'attitude des partenaires francophones du nord, de son côté, n'est pas toujours lisible. Divers programmes de soutien à l'enseignement du français, sa lecture ou son rayonnement coexistent dans une certaine confusion (voir encadré ci-dessous). Si les vingt-neuf alliances françaises (privées) forment un maillage solide sur l'ensemble du territoire, la France elle-même défend mollement ses bastions symboliques.
En 2014, le lycée français de Diego Suarez, capitale du nord du pays a ainsi été fermé après quarante ans d'existence. Motif officiel : baisse des effectifs ; raison officieuse : mesure d'économie. Ce n'est pas contradictoire. L'établissement scolarisait des enfants d'expatriés mais aussi, pour un tiers, de jeunes Malgaches. Or, beaucoup de ces derniers, dans la conjoncture dégradée actuelle, ne pouvaient plus payer l'"écolage", c'est à dire les droits d'inscription. La francophonie est aussi, à Madagascar, affaire de moyens.