
Fil d'Ariane
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Elles prennent deux repas, matin et soir. « Elles » sont des larves et des nymphes de moustiques, peuplant des bacs d'eau en plastique blanc alignés sur plusieurs rangées d'étagères.
Vêtu d'une blouse blanche et coiffé d'une charlotte, Éric Marois, chargé de recherches à l'Inserm, termine de leur donner leur premier repas de la journée – des aliments à poissons réduits en poudre grâce à un moulin à café – tout en décrivant le cycle de vie de ces insectes. « Il faut un endroit chaud et humide car cette espèce, anopheles gambiae, ne se développe bien qu'au-dessus de 26°C. »
La pièce où nous nous tenons, une chambre climatique d'à peine quelques mètres carrés, est chauffée à environ 30°C. Outre les larves et les nymphes, les étagères fixées aux murs sont aussi garnies de bassines dans lesquelles baignent des œufs et de boîtes couvertes de filets contenant des moustiques adultes.
Nous nous trouvons dans le tout nouvel insectarium de l'institut de biologie moléculaire et cellulaire (IBMC) de l'université de Strasbourg et du CNRS, officiellement inauguré le 1er octobre 2018.
Le travail d'Éric Marois et de sa cinquantaine de collègues au sein de ce laboratoire : créer et entretenir des lignées de moustiques grâce à la transgénèse, c'est-à-dire l'introduction d'un gène étranger dans leur génome, pour comprendre leur fonctionnement et étudier leurs interactions avec les virus et les parasites qu'ils sont susceptibles de transmettre à l'homme.
Sur les quelque 3 500 espèces de moustiques dans le monde, environ 10 %, explique Éric Marois, sont capables de lui transmettre des pathogènes, parmi lesquels zika, la dengue ou le paludisme dont anopheles gambiae est le vecteur principal en Afrique subsaharienne (lire encadré).
Parmi les maladies citées dans cet article, le paludisme est celle ayant l'impact le plus important. Selon l'Organisation mondiale de la santé, 216 millions de cas ont été dénombrés en 2016 dans le monde, dont 90 % en Afrique, causant plus de 400 000 morts.
Cette transgénèse se fait par l'introduction, grâce à une aiguille très fine, de quelques microlitres de l'ADN désiré dans des œufs. Si l'opération fonctionne, les cellules qui donneront les gamètes, utiles à la reproduction, sont touchées, permettant à la génération suivante de posséder la modification génétique souhaitée. Les transgénèses sont réalisées en fonction des hypothèses de recherche que veulent tester les scientifiques.
Précisons-le : l'accès à ce laboratoire de recherche fondamentale est très sécurisé. Cela bien entendu pour éviter que des intrus bipèdes n'y pénètrent. Mais aussi pour que des insectes qui décideraient de se faire la belle n'y parviennent pas. Pour prévenir les velléités de ces derniers, les visiteurs, dont l'auteure de ces lignes, sont priés de se parer d'une blouse, d'une charlotte et de surchausses, ainsi que de n'emporter avec eux que le strict minimum : il ne faudrait pas que l'un de ces petits êtres à six pattes ne se cache dans un pli de sac ou de vêtement. Et pour sortir, il est nécessaire de traverser un sas tempéré à 10°C visant à refroidir leurs envies de promenades.
Si de telles précautions sont prises, point de bestiole volante pourtant à l'intérieur. Les nymphes sont récoltées avant qu'elle ne deviennent moustiques et ces derniers, gardés dans les boîtes à filet dont ils n'ont que d'infimes chances de s'échapper.
Les moustiques « cultivés » sur place sont encore pour l'instant exempts de virus et de parasites. La donne doit changer cette année, en 2019, avec l'ouverture annoncée au sein de l'insectarium de deux blocs « P3 », répondant à des normes strictes pour étudier les pathogènes transmissibles à l'homme et responsables de maladies graves.
Ils permettront d'inoculer les pathogènes en question aux insectes en leur faisant ingurgiter un « repas de sang » contaminé : les moustiques seront amenés à « piquer » une membrane fermant de petits récipients remplis de ce sang, comme ils le font habituellement à travers la peau humaine ou animale pour accéder aux veines. Des « boîtes à gants » permettront ensuite aux chercheurs de les manipuler pour les étudier sans être en contact direct avec eux.
La piqûre des moustiques est liée à leur reproduction : une fois qu'elles se sont accouplées, les femelles ont besoin d'un « repas de sang » pour charger des nutriments dans leurs ovaires et, ainsi, activer la ponte. Par conséquent, elles sont les seules à piquer. En-dehors des repas sanguins, les moustiques, femelles comme mâles, se nourrissent de nectar, de sève des arbres, de liquides sucrés… Après la ponte, le cycle de développement des moustiques est d'environ une semaine.
Avec ces deux blocs « P3 », l'insectarium de Strasbourg rejoindra un petit cercle de laboratoires européens, qui compte notamment l'Institut Pasteur (Paris) et l'Institut Max-Planck (Dresde). « Nous arrivons dans une bataille où il y a déjà de gros acteurs, explique Jean-Luc Imler, directeur de l'IBMC. Mais ils n'ont pas notre savoir-faire sur l'immunité des insectes », assure-t-il alors que l'institut est doté de trois unités de recherche complémentaires en la matière et compte parmi ses membres le prix Nobel de médecine ou physiologie en 2011 Jules Hoffmann, pionnier en immunité des insectes.
Cet équipement doit offrir son indépendance aux équipes strasbourgeoises, car sans espace spécialement conçu pour inoculer les virus et les parasites, il leur est nécessaire de travailler avec d'autres laboratoires dotés de ces équipements pour tester des hypothèses scientifiques, en leur fournissant les insectes vierges de toute contamination préalable.
C'est dans le cadre de l'une de ces collaborations, avec une équipe brésilienne, que les chercheurs strasbourgeois ont récemment découvert l'existence d'un gène jusqu'alors inconnu chez une espèce de moustique (Aedes aegypti) : comme les autres insectes, ils disposent d'outils pour se défendre contre les pathogènes qu'ils ingèrent lors de leurs repas sanguins, consistant à attaquer leur matériel génétique pour bloquer leur multiplication dans le corps et, in fine, leur propagation. Ainsi, le virus de la dengue, qui aboutit dans l'intestin du moustique lorsqu'il ingère du sang contaminé, est censé y être bloqué.
Mais chez Aedes aegypti, le mécanisme ne fonctionne pas contre ce virus, qui se multiplie dans le tube digestif puis se déploie vers les glandes salivaires. Et lors de la piqûre suivante, alors qu'il injecte de la salive pour insensibiliser la zone piquée, le moustique contamine l'animal ou l'individu ciblé. L'étude de cette espèce et des tests sur des lignées transgéniques ont permis de montrer que cette défaillance provient du fait qu'un gène découvert à cette occasion, baptisé « Loqs 2 » et doté de propriétés antivirales, n'est pas fonctionnel dans l'intestin de l'espèce Aedes aegypti alors qu'il l'est dans le reste du corps de l'insecte, permettant ainsi la multiplication du virus dans l'intestin et sa transmission.