Les Tatars de Crimée redoutent un nouvel exil

Majoritairement opposés au rattachement de la Crimée à la Russie, les Tatars, minorité vivant dans la péninsule, victimes de déportation sous Staline, doivent organiser leur propre référendum ce samedi 29 mars, sur "les formes de coexistence" avec le nouveau pouvoir dans la région.
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Les Tatars de Crimée redoutent un nouvel exil
Lors d'un rassemblement à Kiev pour l'unité nationale, autour des drapeaux ukrainien et tatar (©AFP/Sergei Supinsky)
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Le 16 mars, ils ont boycotté le référendum de rattachement de la Crimée à la Russie. A leur tour, les Tatars, communauté musulmane vivant dans cette péninsule située au sud de l'Ukraine, comptent organiser leur propre vote d'autodétermination. Date prévue : ce samedi 29 mars. 
Selon l'AFP, ce lundi 24 mars au soir, les questions posées lors de ce scrutin n'étaient pas encore rédigées. L'objectif n'est, selon les responsables tatars, pas de statuer sur l'avenir de la Crimée. Mais bien sur celui de la minorité tatare, dont près de 5 000 membres auraient déjà quitté la Crimée pour l'Ouest de l'Ukraine ou l'étranger.

“Mensonges“ et “message approprié“

Les Tatars de Crimée redoutent un nouvel exil
Vladimir Poutine signant le décret de rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie, le 18 mars 2014 (©AFP)
"Je considère que doivent être prises toutes les décisions politiques et législatives qui achèvent le processus de réhabilitation du peuple des Tatars de Crimée, les décisions qui rétablissent entièrement leurs droits et l’honneur de leur nom. (...) Nous respectons les représentants de toutes les nationalités vivant en Crimée. C’est leur maison à tous, leur Petite patrie, et il sera juste qu’existent en Crimée – et je sais que les Criméens soutiendront cela – trois langues d’État égales en droits : le russe, l’ukrainien et le tatar de Crimée." Dans son discours du 18 mars 2014, prononcé à l'occasion de la signature du décret rattachant la Crimée à la Fédération de Russie, Vladimir Poutine a soutenu les droits des Tatars. 
Un discours teinté de "mensonges" selon Nariman Djelal, vice-président du Majlis, conseil exécutif et représentatif des Tatars. Tout en estimant, sur la question de la reconnaissance de la langue tatare, que c'est un "message approprié" : "Je ne dirai pas que je suis satisfait par ce discours, car nous étions contre cette initiative (le référendum, ndlr), mais nous sommes un petit peuple, un peuple désarmé, donc nous essaierons de nous adapter à la nouvelle réalité sans renoncer à nos principes".

Plus de mille kilomètres à parcourir

Les Tatars de Crimée redoutent un nouvel exil
Une famille de Tatars en gare de Lviv, après son voyage depuis Simféropol, le 7 mars 2014 ©AFP/Photo Yuriy Dyachyshyn
Ces derniers jours, certains d'entre eux ont traversé toute l'Ukraine, d'Est en Ouest, soit plus de mille kilomètres parcourus en trente heures de train. Parmi les villes qui ouvrent leurs portes à ces réfugiés, celle de Lviv, située près de la frontière polonaise. Selon l'administration régionale, citée par l'AFP, 1945 habitants de la Crimée et des régions ukrainiennes voisines, soit 956 adultes et 989 enfants, ont souhaité s'établir à Lviv. Certains réfugiés sont accueillis dans des familles de la région. 
Hors Ukraine, des pays limitrophes ou proches sont sollicités. La Pologne, où 32 personnes ont demandé le statut de réfugié. Ou la Lituanie, qui pourrait accueillir quelques personnes, selon le site internet The Lituania Tribune.
Pourtant, alors qu'un millier à peine de Tatars avaient fui la péninsule, Moustafa Djemilev, qui est la tête du Mejlis, affirmait le samedi 22 mars, qu'il n'y avait "pas de tendance à l'exode de Crimée", ajoutant : "j'espère que cela n'arrivera pas".

Le souvenir du 18 mai 1944

Les Tatars de Crimée redoutent un nouvel exil
Joseph Staline a ordonné la déportation des Tatars de Crimée en mai 1944 (ici, photo datant de 1949) - cc/wikimeia/Das Bundesarchiv
Parmi les Tatars qui fuient ou qui restent sur place malgré tout, d'aucuns craignent une chasse à l'homme. "Je ne veux pas que les Russes sachent que je suis ici, ni même de quelle localité je viens, a déclaré à l'AFP un Tatar d'âge mûr arrivé à Lviv par le train. Si quelqu'un apprend que je suis parti, on nous prendra notre terre et notre maison".
A l'origine de ces craintes, la déportation en masse des Tatars de Crimée, peuple habitant la région depuis le XIIIe siècle, sur décret de Staline le 18 mai 1944. A cette date, en pleine nuit, les habitants ont à peine quinze minutes pour réunir un semblant de bagage. En deux jours, plus de 180 000 personnes (193 865 selon les chiffres officiels) sont envoyées en Ouzbékistan, au Kazakhstan, ou vers des régions reculées de Russie, dans des wagons à bestiaux. Une fois sur place en Asie centrale, ils travaillent au kolkhoze, vivent dans des camps. Selon les sources tatares, 46 % d'entre elles seraient alors mortes de faim ou de maladie. La raison alors invoquée pour cet exil (Sürgün en tatar) : ils auraient collaborés avec l'occupant allemand pendant la guerre. Ou plutôt, 20 000 déserteurs auraient rejoint la Wehrmacht. Un chiffre exagéré selon les historiens tatars, cités dans le quotidien français Le Monde . 
S'ils ont été innocentés de cette "collaboration" avec l'ennemi allemand en 1967 par un décret du Soviet suprême, ils n'ont été autorisés à revenir en Crimée que 45 ans plus tard, en 1989, alors que l'Union soviétique commençait à se déliter. Tous ne sont pas immédiatement revenus. Certains n'ont quitté l'Asie centrale qu'à la fin des années 2000, d'autres y seraient encore présents aujourd'hui.
Pour l'homme tatar interrogé en gare de Lviv par l'AFP, oui, les Russes d'aujourd'hui font peur. "Poutine, c'est Staline, mais encore pire. C'est un fasciste", conclut-il.

Les Tatars de Crimée en quelques chiffres

- une communauté estimée de 240 000 à 300 000 personnes...
- ... qui représente 12 à 15 % de la population de la péninsule
- environ 5 000 d'entre eux seraient partis vers l'Ouest de l'Ukraine ou l'étranger depuis le début du mois

Le drapeau des Tatars de Crimée

Le drapeau des Tatars de Crimée