Robert King est libéré en 2001, après 31 ans de prison dont 29 à l’isolement dans le pénitencier d'Angola aux Etats-Unis. Depuis, il milite inlassablement pour la libération de ses deux amis, eux aussi membres des Black Panthers. Malgré leurs protestations d’innocence et des erreurs d’instruction, ils demeurent incarcérés. Début mai, il était à Paris dans le cadre de la campagne qu’il mène avec Amnesty international. Rencontre.
Il s’appelle King, pas Martin Luther, mais Robert. Avec Herman Wallace, 71 ans, et Albert Woodfox, 66 ans, ils forment les “trois d’Angola”, du nom d’une prison de l’Etat de Louisiane, aux Etats-Unis. Au total, ils ont passé, à eux trois, plus d’
un siècle à l’isolement cellulaire, 23h à 24h par jour, pour des crimes qu’ils clament n’avoir jamais commis. Selon eux, accusés en raison de leur seule appartenance aux Black Panthers. Depuis sa libération, il y a presque 12 ans, Robert King se bat pour que ses deux amis sortent de l’isolement, mais aussi, et surtout, de la prison où ils sont enfermés depuis 41 ans. « Ils sont innocents ! » dit-il d’un ton assuré. « Tant qu’ils seront là-bas, je continuerai le combat. » Avec sa voix calme et posée, ce septuagénaire à l'allure de jazzman néo-orléanais pèse chacun de ses mots. Il expose son cas et celui de ses deux amis laissés derrière lui. Il s’efforce de replacer les éléments dans “leur contexte”. Une jeunesse afro-américaine à la Nouvelle Orléans L’enfance, dans une Nouvelle-Orléans qui sort tout juste de la ségrégation, n’a rien de dorée, pour ces jeunes Afro-Américains : conditions de logement précaires, peu ou pas d’accès à l’éducation. La police ? Très tôt, ils la craindront. «Dès qu’une affaire n’était pas résolue, ils arrêtaient un Noir, parfois un jeune, et le forçaient à plaider coupable, ils appelaient cela « nettoyage d’archives ». « Pour ma part, poursuit Robert dans le documentaire consacré au trois d’Angola, « je n’étais pas un ange, mais je n’étais pas mauvais ». Oui, il commit des vols à l’étalage et des cambriolages mais, affirme-t-il, il ne sera jamais arrêté pour ce qu’il a vraiment fait. D’abord soupçonné dans une affaire de vol à main armée, il sera finalement reconnu coupable, non pas en raison de sa ressemblance éventuelle avec le réel fautif, mais, selon lui, parce qu’il avait déjà un casier. Le jury de l’époque, exclusivement constitué de Blancs, le condamnera à 35 ans de prison. Ses acolytes emprunteront un parcours à peu près similaire. A la fin des années 1960, tout trois seront condamnés à de lourdes peines de prison (30 à 50 ans) pour vol à main armée.
Rencontre avec les Black Panthers Avant la prison Herman et Albert sont déjà « politisés ». Pas Robert. En 1970, dans un établissement pénitentiaire de la Nouvelle-Orléans, ils font la connaissance, de membres des Black Panthers (dont l’icône la plus connue est probablement
Angela Davis). Impressionnés, ils assistent aux réunions organisées, puis, très vite, adhérent au Parti qui réclame plus de justice sociale pour les Noirs. Tantôt le regard grave tantôt souriant, Robert King s’anime lorsque l’on parle de « sa génération ».
Les Black Panthers réclamaient la liberté, la justice, l'éducation, des terres, du pain, un logement, la fin des brutalités de la police et de ses descentes dans les communautés Noires… Des mots qui parlent à toute une génération de jeunes Afro-Américains déçus par le mouvement des droits civiques, jugé trop passif. A la fin des années 1960-70, la vague de protestation est importante (de nombreux citoyens se mobilisent contre la guerre au Vietnam). Peu à peu, le vent de contestation se propage jusque dans les prisons où les conditions sont déplorables. «Le gouvernement assimilait nos actions à des émeutes et les décrivait ainsi mais, en fait, il s’agissait d’actions légitimes pour revendiquer des meilleures conditions dans les prisons.» A l’été 1971, laissant derrière eux Robert, Herman et Albert sont envoyés en Louisiane à Angola, l’établissement pénitentiaire considéré, à l’époque, comme le plus dangereux des Etats-Unis. Des conditions épouvantables Là, ils découvrent une prison où la ségrégation prédomine toujours, où les conditions de détention sont exécrables et le climat de violence omniprésent : passage à tabac, exécutions, vente de “poissons frais”, (traduisez de jeunes détenus), à des fins sexuelles. Les responsables sont au courant de ces pratiques, mais ils laissent faire. « Les détenus travaillaient tous les jours plus de 17 heures par jour pour deux cents de l’heure. Nous appelions ces prisons des camps d’esclaves ». Herman et Albert décident d’agir. Ils organisent une grève afin d’obtenir de meilleures conditions de travail, initient leurs co-détenus, Noirs comme Blancs, à la politique, les informent de leurs droits. Avec « un certain succès », ils s’attaquent aux abus sexuels commis par les gardiens-détenus, en organisant des groupes de sensibilisation sur ces questions. Autant d’actions qui n’étaient pas sans effrayer la direction de l’établissement. « C’est précisément ces initiatives qui ont fait d’Herman et d’Albert des « cibles » aux yeux de l’administration pénitentiaire. »
Le temps de l’isolement En 1972, un gardien de prison, Brent Miller est assassiné de 32 coups de couteau. « Les premiers soupçonnés ont été les militants ou sympathisants des Black Panthers. » Rapidement l’étau se resserre autour d’Herman et d’Albert. Après une enquête « bâclée », ils deviendront les principaux suspects de ce meurtre. Dépeints par l’accusation comme « extrémistes, dangereux, racistes, menaçant de renverser le gouvernement, voire d’éliminer la race blanche », ils seront, à l’issue d’un procès « fantoche », condamnés à la prison à vie. Et ce, malgré l’absence de preuves irréfutables (aucune empreinte, aucune expertise médico légale bref, aucun élément matériel permettant d’établir leur implication dans le meurtre du gardien). Plus troublant encore, des empreintes retrouvées à proximité du jeune gardien et susceptibles de les disculper sont… égarées. Les témoignages des co-détenus? Au fil des années et des documents ils se révèleront peu crédibles (un homme quasiment aveugle affirmera avoir « clairement » reconnu les accusés). Quant à l’unique témoin oculaire du crime, des éléments laissent à penser qu’il aurait incriminé les deux hommes contre… une remise de peine. Leur condamnation prononcée, Herman et Albert seront immédiatement placés à l’isolement cellulaire. Pour l’administration pénitentiaire, aucun doute : « le meurtre était le fait d’une conspiration de militants noirs. Ils constituaient une menace pour le pénitencier. Il fallait donc les maintenir loin des autres.» Puis, viendra le tour de Robert King. Deux semaines après le meurtre du jeune gardien, il est transféré à Angola, où il fait l’objet d’une investigation pour le meurtre de Brent Miller alors qu’il se trouvait à… 240 km d’Angola le jour du crime. Peu importe, « Je faisais partie des Black Panthers, j’étais perçu comme un conspirateur. J’ai été placé en confinement cellulaire comme Herman et Albert. » De 1972 jusqu’à sa libération, en 2001, il restera « sous investigation » et demeurera à l’isolement dans une cellule de 2 m sur 3m, 23h à 24h par jour, pour un meurtre qu’il ne pouvait pas avoir commis. Peu de temps après son arrivée à Angola, un co-détenu est tué. Un prisonnier avouera le crime et plaidera la “légitime défense” mais Robert sera également accusé. L’histoire se répète : pas d’empreinte le reliant à la victime, pas de trace de sang sur les vêtements. Le procès de Robert sera expéditif. « C’était une décision précipitée de l’Etat de Louisiane qui cherchait à tout prix à poursuivre un militant des Black Panthers. On dit qu’il n’y a pas de prisonniers politiques aux Etats-Unis. Nous sommes la preuve vivante que si ! »
Le temps des procès Il faudra attendre les années 1990 pour que de jeunes avocats rouvrent les dossiers et que les trois d’Angola sortent de l’oubli. En parallèle se créent des comités de soutien. Robert sera le plus « chanceux ». En 2000, son avocat plaide l’irrégularité du procès, le manque de preuves et invoque le droit, garanti par la constitution, de bénéficier d’un jury représentatif (pas uniquement composé d’hommes blancs) : un nouveau procès s’ouvre. L’Etat de Louisiane propose un marché : Il demande l’annulation de la peine de Robert s’il plaide coupable du crime mineur d’association de malfaiteurs. Robert réfléchit longuement : il ne veut pas qu’il y ait de doute sur son innocence. Puis il finit par se résigner. Février 2001, il sort du tribunal… libre. "L’histoire dira si j’ai fait le bon choix".
Herman et Albert, demeurent à l’isolement. Le combat de Robert commence. « Nous avons déjà obtenu que la condamnation d’Albert soit cassée par trois fois (la dernière annulation date de février 2013). Les juges ont motivé leurs décisions en invoquant la discrimination raciale, les fautes commises par le Ministère public, le manque de compétence des avocats, et la dissimulation de preuves susceptibles de disculper cet homme. "Nous tâchons d’obtenir la même chose pour Herman qui doit comparaitre devant un tribunal fédéral cette année".
Robert reste optimiste malgré les obstacles qui pourraient encore repousser de plusieurs mois la date de la libération tant attendue. Le principal obstacle ? Le procureur de l’Etat de Louisiane,
Buddy Caldwell, qui, systématiquement, fait appel du rejet de la condamnation d’Albert Woodfox.
Acharnement En réalité, sans l’action de Buddy Caldwell, Albert aurait dû être libéré après la première invalidation. Mais alors comment expliquer un tel « acharnement » ? Vadim Jean, réalisateur du documentaire, pense que pour Buddy Caldwell, « C’est devenu une affaire personnelle ». Mais pas seulement. Selon lui, il faut également y voir des raisons politiques : Buddy Caldwell veut être réélu (aux Etats-Unis les procureurs généraux sont élus par la population de l’Etat). « Des carrières ont été bâties sur ces procès » insiste, Robert, d’une voix grave et indigné. Le procureur ne veut rien entendre pas même la voix de la propre veuve du gardien assassiné, Teenie Verret. Convaincue de l’innocence des trois d’Angola, depuis plusieurs années, elle demande, en vain, à la justice de retrouver les vrais coupables. Porte parole des sans-voix Depuis sa libération, en 2001, il a parcouru « le pays » et le monde. Il a donné des conférences dans presque toutes les universités de plus de 45 états américains. Il a rencontré une kyrielle d’interlocuteurs pour parler « des trois d’Angola », mais pas seulement, car leur cas n’est que « le sommet de l’iceberg ». « Nous avons toujours voulu inclure les autres détenus maintenus à l’isolement dans notre plainte parce que nous ne représentons qu’un cas parmi des milliers d’autres ». (Voir encadré) Durant ces longues années, il a gardé l’espoir, d’un jour, redevenir un homme libre. Quand il est sorti, il s’est refusé à mener une vie sédentaire. « La tâche que je m’étais assignée était de faire la lumière sur mon expérience mais aussi celle de mes camarades et des autres détenus ».
Réalisé par Vadim Jean, narré par Samuel L. Jackson, le documentaire “Au pays de la liberté“ retrace l'histoire des trois d'Angola
Le confinement cellulaire : une prison dans la prison
Sur 2,5 millions de prisonniers aux États-Unis, environ 80 000 sont à l’isolement cellulaire, soit 2% à 3% des détenus. Au Royaume-Uni, le pays européen où la politique est la plus répressive en matière de conditions de détention, le taux est d’environ 0,5%. Ces conditions spécifiques visent à couper le détenu du monde extérieur et du reste de la prison.Quasiment 24 heures sur 24, le détenu est placé dans une cellule de 2 m sur 3 m. Il a rarement accès à la radio ou la télé. L'exercice physique est pratiqué dans une cellule à ciel ouvert, seul, sans contact avec les autres. A l’origine, provisoire et réservé aux quelques prisonniers les plus dangereux et les plus violents, depuis deux décennies, on s’aperçoit que l’isolement s'est généralisé et prolongé. « Nous savons qu’il y a des détenus qui sont maintenus dans ces conditions depuis 10, 15, 20, voire 25 ans » précise la chercheuse Tessa Murphy. Les effets à long terme sont connus : anxiété, dépression, insomnie, problèmes de vision, de respiration... On estime que 30% des détenus à l’isolement développent des troubles psychologiques.
L'isolement en question ?
Outre les recours qu’ils ont formés contre leur condamnation pour meurtre, les trois d’Angola ont engagé des poursuites contre l’Etat de Louisiane en invoquant le fait que leur isolement prolongé constituait « un châtiment cruel et exceptionnel », et par conséquent contraire à la constitution américaine. Les ONG des droits de l’Homme ainsi que les rapporteurs spéciaux des Nations unies militent pour que les États-Unis mettent leur législation en conformité avec les conventions et les protocoles internationaux qu’ils ont eux-mêmes ratifiés.
Obama peut-il les gracier ?
Aux Etats-Unis, les trois pouvoirs, exécutif, législatif et judiciaire, sont indépendants les uns des autres. Le président Obama a le droit de gracier des prisonniers fédéraux, "et même un dindon le jour de Thanksgiving", mais il n’a pas le pouvoir de gracier des prisonniers d’Etats. Or Albert et Herman sont prisonniers de l’Etat de Louisiane.
Une nouvelle vie « en douceurs »
A Angola, il s’était dit qu’après toutes ces années de prison, il voulait trouver un moyen de "rendre la vie plus douce" pour les gens. Quand il a été libéré, Robert King s’est mis à la confection de… pralines « King », pour subvenir à ses besoins. « J’arrive à les vendre sur internet et on dirait que les gens aiment ».
D'où vient le nom d'Angola?
Bâtie sur une ancienne plantation esclavagiste de canne à sucre, la prison tire son nom du pays d'origine des esclaves qui provenaient majoritairement d'Angola, en Afrique.