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Aux États-Unis, un engin dirigeable chinois survolant le Montana a été aperçu jeudi 2 février par un Américain qui l'a révélé au grand public. Pékin a reconnu l'aéronef et s'en est excusé tout en expliquant qu'il s'agissait d'un appareil de recherches météorologiques à usage civil. Washington a d'emblée qualifié le ballon chinois d'"espion" avec pour objectif de surveiller des sites stratégiques. Le lendemain, alors qu'il se trouvait au-dessus de l'Atlantique, le ballon chinois a été abattu par un chasseur américain.
Vendredi, le Pentagone avait déclaré qu'un deuxième ballon chinois avait été repéré au-dessus de l'Amérique latine. Des "ballons de surveillance chinois ont transité brièvement au-dessus des Etats-Unis au moins trois fois durant l'administration précédente, et une fois au début de cette administration de ce que nous savons, mais jamais aussi longtemps", a précisé samedi un haut responsable américain.
Cet incident très médiatisé provoque une brusque dégradation des relations sino-américaines, avec le report sine die d'une visite du secrétaire d'Etat américain Antony Blinken à Pékin. La Chine, elle, se réserve le droit de répliquer.
Cette affaire met aussi en lumière une pratique d'espionnage pour le moins singulière.
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Depuis plusieurs années, la Chine semble avoir concentré ses efforts sur l’espionnage industriel et technologique. En matière d’espionnage, Pékin avait accumulé un certain retard, privilégiant la surveillance interne pour mieux combattre les individus hostiles au Parti communiste. Depuis le milieu des années 1980, elle a cherché à rattraper un certain retard économique à travers le développement de son réseau d’espionnage.
Qui sont les services secrets chinois ?
La communauté du renseignement du parti communiste chinois s'étend sur plusieurs organes et institutions. Elle comprend 3 agences militaires de renseignement au sein de l'Armée de libération populaire, le Ministère de Sécurité Publique qui est l'agence de police et le Ministère de la Sécurité de l'Etat, selon l'expert Alex Joske, auteur de "Spies and Lies : How China’s Greatest Covert Operations Fooled the World", Hardie Grant Books, 2022. D'autres organes ont des activités de renseignement comme le Département du travail de front uni et le Département international du Comité central du parti communiste, le Bureau des affaires taïwanaises.
Le Guoanbu, le ministère de la Sécurité de l'État, aussi appelé MSE, est l'agence de sécurité de la Chine. Il gère le renseignement extérieur. Il est créé en 1983, à la demande de Deng Xiaoping. Le Guoanbu joue un rôle central dans l'interception de renseignements économiques, industriels, technologiques et politiques et multiplie les infiltrations depuis les années 2000. En parallèle des agents du MSE, des hackeurs conduisent des cyberattaques.
« Dans les années 80 et au début des années 90, on a vu la Chine développer ses infrastructures d’observation, explique Nigel Inkster, ancien chef de poste du MI6 à Pékin puis à Hong Kong, dans une émission du 3 août 2019 sur la radio France Culture. Les Chinois ont également acheté deux anciennes bases de télécommunication militaires russes à Cuba, ce qui a considérablement augmenté leur périmètre d’interception. La marine chinoise a de son côté développé des navires d’interception, tandis que les postes diplomatiques chinois à l’étranger ont été équipés de plateformes d’écoutes. Durant toute cette période, la Chine a oeuvré pour développer ses capacités d’interception, qui restent encore aujourd’hui, très modestes ».
Le 17 octobre 2022, les services secrets allemands mettaient en garde contre l’espionnage industriel chinois.
"Nous devons être vigilants en ce qui concerne la migration de savoir" en provenance d'Allemagne, déclarait alors Bruno Kahl, le président des services de renseignement extérieur allemands (BND).
La Chine "tente par des cyberattaques de s'approprier en Allemagne du savoir scientifique et économique pour atteindre en 2049", année du centenaire de la prise du pouvoir par les communistes, son objectif d'être la première puissance mondiale, ajoutait M. Kahl comme rapporté par l’AFP.
Un espionnage industriel pensé pour stimuler l’économie chinoise et se rendre plus compétitif et moins dépendant des grandes puissances occidentales, dont les États-Unis, dans des domaines tels que l’aérospatial et les équipements aéronautiques, les nanotechnologies, les produits pharmaceutiques, la bio-ingénierie.
(Re)lire : La Chine espionnerait le siège de l'Union Africaine
Le vol de secrets commerciaux permet de "sauter les chaînes de valeur mondiales relativement rapidement, et sans les coûts, en termes de temps et d'argent, de s'appuyer sur des capacités indigènes", raconte Nick Marro de l'Intelligence Unit de The Economist sur le site de la BBC.
Dans le même article, on apprend qu’en juillet dernier, le directeur du FBI, Christopher Wray, « déclarait que la Chine cherchait à "piller" la propriété intellectuelle des entreprises occidentales afin d'accélérer son propre développement industriel et de dominer à terme des secteurs clés ».
La mise en garde du chef des services de renseignement extérieur allemands paraît plutôt mesurée. Pourtant, en juillet 2021, les Etats-Unis en tête, soutenus par une large coalition de pays occidentaux et de l'OTAN, accusaient directement la Chine de mener une campagne globale de cyberespionnage qui, selon le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken, pose "une menace majeure à [notre] sécurité nationale et économique". Au même moment, le Département de la Justice américain accusait quatre ressortissants chinois - trois responsables de la sécurité et un pirate informatique sous contrat - d'avoir ciblé des dizaines d'entreprises, d'universités et d'agences gouvernementales aux États-Unis et à l'étranger, rapporte Reuters. Une accusation "fabriquée de toutes pièces" selon le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Zhao Lijian. La Chine ne se livre pas à des cyberattaques et les détails techniques fournis par Washington "ne constituent pas une chaîne complète de preuves", avait-il déclaré lors d'une conférence de presse régulière à Pékin.
L'arrivée d'Internet a fait évoluer sensiblement les services de renseignement chinois, explique à France Culture Nigel Inkster, ancien chef de poste du MI6 à Pékin puis à Hong Kong.
« Les leaders chinois ont vu en Internet un outil de développement économique. À l’intérieur du pays, il a été vu comme un vecteur de contrôle social et à l’extérieur, comme une plateforme d’espionnage et d’actions clandestines. »
Selon l’ancien chef de poste du MI6 à Pékin, la Chine comprend très vite que les serveurs et les bases de données occidentales sont mal sécurisés. Le troisième département de l’armée populaire, en charge des interceptions, s’engouffre dans la faille. Et il n’est pas seul.
« Comme toujours en Chine, ce ne sont pas seulement les services d’État, qui ont oeuvré dans ce dossier. Des groupes de hackers et des milices électroniques citoyennes dont les relations avec l’État sont plus informelles, sont montés à l'assaut d’internet pour mener des missions de renseignement, essentiellement de l’espionnage industriel. Tout cela était relativement désorganisé, au milieu des années 2000 », raconte à France Culture Nigel Inkster.
Depuis, les histoires et les accusations d’espionnage industriel chinois se sont multipliées.
Le cas d’Huawei en est un emblématique. En avril 2018, les États-Unis accusent l’entreprise chinoise fournissant technologies et réseaux de télécommunication à des opérateurs d’entretenir des liens avec les services de renseignement chinois. Washington lui interdit l’accès à son marché intérieur, tout comme pour ZTE, un autre géant chinois des télécoms. En décembre 2022, une demi-douzaine d'entreprises chinoises étaient concernées par ces restrictions.
(Re)voir: Espionnage : pourquoi les Occidentaux s'attaquent-ils à Huawei ? [À vrai dire]
En mars 2021, des pirates chinois collectaient les données confidentielles de 30.000 organisations américaines (villes, entreprises et institutions). Les hackers avaient repéré et exploité une faille dans la messagerie professionnelle Exchange de Microsoft.