Comme pour répondre aux préparatifs de coalition menée par les Américains, l’État islamique a revendiqué l’exécution d'un nouvel otage : le Britannique David Haines, un travailleur humanitaire. Une nouvelle fois, les djihadistes ont livré une vidéo sinistre.
Dans un enregistrement de 2 minutes 27 secondes, intitulé "Un message aux alliés de l'Amérique" et rapporté par le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE, le groupe jihadiste annonce l’exécution de l'otage David Haines, un travailleur humanitaire britannique, et menace d'exécuter un autre otage britannique, qui apparaît à la fin de la vidéo. Le bourreau, le visage dissimulé, s'adresse au Premier ministre britannique David Cameron et reproche au Royaume-Uni d'avoir rejoint les États-Unis, qui mènent des frappes aériennes contre l'EI en Irak. "Vous êtes volontairement entrés dans une coalition avec les États-Unis contre l'État islamique, comme votre prédécesseur Tony Blair l'a fait avant vous, suivant une tendance parmi nos Premiers ministres britanniques qui ne peuvent pas trouver le courage de dire non aux Américains", dit-il. Cet homme, qui pourrait être le même que dans les vidéos des exécutions des journalistes américains Foley et Sotloff, ajoute que cette alliance "accélèrera votre destruction" et plongera les citoyens britanniques dans une "autre guerre sanglante et ingagnable".
- Un meurtre 'ignoble' - David Cameron a vivement réagi en dénonçant un "meurtre ignoble et révoltant". "Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour traquer ces meurtriers et faire en sorte qu'ils répondent de leurs actes, quel que soit le temps que cela prenne", a-t-il ajouté. Le président américain Barack Obama a aussitôt exprimé sa solidarité avec son allié britannique, promettant lui aussi de traquer les meurtriers. "L'odieux assassinat de David Haines montre une nouvelle fois combien la communauté internationale doit se mobiliser contre Daesh (acronyme arabe de l'EI, NDLR), organisation de la lâcheté et de l'abjection", a réagi également la France. Engagé dans l'humanitaire depuis 1999, Haines avait été enlevé en Syrie en mars 2013. Il effectuait sa première mission pour l'ONG française Acted en tant que responsable logistique dans le camp de réfugiés d'Atmeh, un village syrien près de la frontière turque. Sa famille avait adressé un appel à ses ravisseurs pour sa libération. Dimanche matin, son frère, Mike Haines, a rendu hommage à un "bon frère... qui a été récemment tué de sang froid". "Il était et est aimé par toute sa famille et nous manquera terriblement".
Cette nouvelle exécution intervient alors que les États-Unis déploient un activisme diplomatique intense pour bâtir une coalition contre l'EI qui a proclamé un "califat" qui s'étend sur de larges zones en Irak et en Syrie à la fin juin avec à sa tête son leader, l'Irakien Abou Bakr al-Baghdadi. Cette semaine, le secrétaire d’État américain a effectué un véritable marathon qui l'a conduit à Bagdad, Amman, Djeddah et Ankara et enfin au Caire samedi En Égypte, John Kerry a rencontré le président Abdel Fattah el-Sissi et le secrétaire général de la Ligue arabe Nabil al-Arabi. Il a insisté sur le rôle essentiel que pourrait jouer l’Égypte dans ce combat. "En tant que capitale intellectuelle et culturelle du monde musulman, l’Égypte a un rôle crucial à jouer, en dénonçant l'idéologie que (l'EI) diffuse", a t-il déclaré. Le Caire ne devrait pas entreprendre d'action militaire active mais pour lutter contre les groupes extrémistes dans le Sinaï, les États-Unis vont livrer dix hélicoptères de combat Apache. Dans son offensive diplomatique pour bâtir une alliance mondiale contre l'EI, John Kerry avait obtenu jeudi à Jeddah, la capitale saoudienne, l'engagement, y compris éventuellement militaire, de dix pays arabes, dont l'Arabie saoudite et l’Égypte. Il a été moins productif à Ankara vendredi. Il a tenté de convaincre la Turquie de participer activement à cette coalition mais Ankara refuse de prendre part à des opérations armées en Irak et en Syrie, redoutant de mettre en péril la vie des 49 ressortissants retenus par les jihadistes dans le nord de l'Irak. Le président américain Barack Obama a exposé le 10 septembre sa stratégie pour "affaiblir et, à terme, détruire" l'EI. Il a annoncé une extension de la campagne aérienne en Irak et de possibles frappes en Syrie voisine. L'EI a pris de larges pans de territoires de ces deux pays, y proclamant un "califat". Selon la CIA, l’EI compte entre 20 000 et 31 500 combattants. Au total, 1.600 militaires américains seront déployés en Irak pour appuyer les forces armées irakiennes, en termes d'équipements, de formation et de renseignements. M. Obama s'est aussi engagé à doper l'aide militaire aux rebelles syriens modérés qui combattent à la fois le régime syrien et l'EI. Dans cette "guerre" contre l'EI - la formule est de la Maison Blanche-, le général américain à la retraite John Allen, sera le coordonnateur de la future coalition.
Une conférence à Paris
Le président français est lui aussi à la manœuvre. François Hollande était vendredi en Irak, qu'il a promis d'aider "encore davantage militairement". Il a rencontré son homologue Fouad Massoum et le Premier ministre Haïdar al-Abadi. La France fournit depuis août des armes aux forces kurdes qui se battent contre l'EI. Il est le premier chef d’Etat étranger à se rendre à Bagdad depuis le début de l’offensive d’EI dans le nord de l’Irak. M. Hollande s'est en outre rendu à Erbil, capitale du Kurdistan, où il a rencontré des chrétiens déplacés. Des centaines de milliers de personnes ont fui début août vers cette région autonome du nord de l'Irak face à l'avancée des jihadistes. John Kerry est attendu samedi soir à Paris où il participera lundi à une conférence sur l'Irak et la lutte contre l'EI. L'Iran, allié de Bagdad et ennemi de l'EI, n'a pour l'instant pas été invité. Et John Kerry s'y est dit opposé, en raison de l'implication militaire de Téhéran aux côtés du régime de Damas. L'Iran a répliqué en accusant les Etats-Unis de "violer la souveraineté des Etats, sous prétexte de lutter contre le terrorisme". Cette conférence de Paris, avec une vingtaine de pays attendus, "va permettre à chacun d'être beaucoup plus précis sur ce qu'il peut ou veut faire", selon un diplomate. Mais "on ne va pas dire qui va frapper, où et à quel moment", a-t-il prévenu. Reste la question des intérêts divergents entre les pays arabes qui risque de saper l’efficacité des efforts entrepris. La "guerre" contre l'EI est un tournant pour le président Obama, élu fin 2008 sur sa volonté de tourner la page d'une décennie de guerres en Irak et en Afghanistan. Mais il semble avoir été acculé à agir devant l’ampleur prise par la menace et l’émotion de l’opinion publique après la décapitation de deux journalistes américains enlevés en Syrie. Avec ce nouvel assassinat, l’État islamique en rajoute dans la provocation, il veut montrer à son public que, pour le moment, il ne se laisse pas impressionner par "l"Amérique".
En images
Mylène Girardeau et Lionel Perron