Fil d'Ariane
Ce dimanche 30 avril, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, fragilisé politiquement, a annoncé l’élimination du 4e chef de l’EI, Abou al-Hussein al-Qourachi, par les services secrets turcs. Une nouvelle qui est venue rappeler que malgré sa défaite militaire en Irak et en Syrie, la menace de l’organisation État Islamique (EI) pèse toujours.
Nous sommes le samedi 23 mars 2019. L’État Islamique, en pleine déroute, voit ses combattant se retrancher dans le village de Baghouz, aux confins du sud-est de la Syrie. Par milliers, ils trouvent refuge dans des maisons abandonnées, des tentes ou encore des épaves.
Les djihadistes sont encerclés pour ce qui semble être la bataille finale. Après des semaines de combats, les Forces démocratiques syriennes (FDS) et l’alliance kurdo-arabe, soutenue par la coalition internationale, conduite par Washington, viennent à bout de l’EI et de son califat autoproclamé en 2014 à Mossoul, par Abou Bakr al-Baghdadi.
Le monde entier se félicite de cette issue militaire fondamentale. Néanmoins, malgré les lourdes pertes, que ce soit chez ses combattants, ou encore ses dirigeants (Abou Bakr al-Baghdadi est éliminé par les États-Unis le 27 octobre 2019 à Baricha et 3 de ses successeurs l’ont été depuis), l’organisation terroriste représente toujours une menace.
Anadolu drone captures the house in northern Syria where Daesh/ISIS leader Abu Hussein al-Qurayshi was eliminated by the Turkish MIT intelligence unit. pic.twitter.com/RXWe4zEJBu
— ANADOLU AGENCY (@anadoluagency) May 1, 2023
L’EI n’est plus un califat, encore moins un État, mais l'organisation terroriste n'est pas morte pour autant. Au Proche et au Moyen-Orient, elle a retrouvé sa forme de nébuleuse.
Elle y multiplie notamment les attaques contre les prisons et les camps, afin de libérer les combattants détenus. De nombreuses prisons, sous contrôle kurde, à Raqqa, Hassaké et Qamichli ont été particulièrement ciblées.
Des attaques collectives, qui inquiètent particulièrement les forces kurdes, qui passent villes et quartiers au peigne fin, afin de trouver des combattants ou des armes. Selon eux, ce changement de stratégie de l’EI et la volonté de contrôler les prisons témoignent d’une volonté, pour le groupe terroriste, de se restructurer.
En parallèle, des attaques sont menées dans certaines localités reculées ou encore dans le désert, par des cellules qui visent sporadiquement forces de sécurité et civils.
Le 16 avril dernier, dans deux attaques perpétrées par l’EI en Syrie, dans l'est de Hama (centre), 41 personnes, dont 24 civils, auraient perdu la vie. Parmi elles, des ramasseurs de truffes des sables et des bergers.
Pour autant, selon Matthew McFarlane, commandant de la coalition internationale, l’EI a très largement perdu de sa force de frappe en Irak et en Syrie. "Depuis le début de l'année en Irak, jusqu'à la première semaine d'avril, nous avons enregistré une baisse de 68% des attaques, comparé à la même période l'année précédente", a-t-il indiqué, lors d'une conférence de presse.
"En Syrie, nous avons enregistré une baisse de 55% durant la même période", précise-t-il, affirmant que les attaques sont "relativement limitées" et menées par "un ou quelques individus".
En mars, un haut responsable militaire irakien assurait que l'EI comptait entre 400 et 500 combattants actifs dans son pays.
Des estimations onusiennes dévoilées dans un rapport publié le 9 février dernier, évoquent, elles, "5000 à 7000 membres et partisans" de l'EI déployés entre l'Irak et la Syrie, dont "environ la moitié" seraient des combattants.
(Re)voir : L'État Islamique demeure-t-il une menace ?
"Malgré les pertes essuyées au niveau de leur hiérarchie et les mesures mises en place pour assécher leurs finances, l’EI et ses affiliés continuent de faire peser une grave menace sur la paix et la sécurité internationales", est-il précisé dans le rapport. Une menace "accentuée à l’intérieur et à proximité des zones de conflit où l’EI est présent", "l’objectif étant de projeter cette menace en dehors de ces zones", ajoute l’ONU.
Parmi les zones de conflits concernées dans le rapport de l'ONU, l’Afrique occupe une place particulière.
C’est sous l’impulsion du fondateur de l’EI, Abou Bakr al-Baghdadi, que des émissaires ont été envoyés à travers le continent africain, afin de former des locaux et d’y créer des cellules. Une volonté pour l’irakien, de sortir l’organisation terroriste de son fief, au Levant.
Depuis, l’expansion de l’EI en Afrique est croissante et particulièrement préoccupante en Afrique centrale et australe, ainsi qu'au Sahel.
Un "paradoxe" qui veut que le déclin de l’EI en Irak et en Syrie a donné lieu à son élargissement sur le continent africain, souligné par Seidik Abba, spécialiste du Sahel. "L’EI s’est appuyé sur la faillite des États africains et a d’ailleurs commencé son implantation africaine avant même sa chute au Levant, en Libye, après la chute de Mouammar Kadhafi et s’est répandu dans le Sahel", précise-t-il.
"Du point de vue de l’implantation et des dynamiques récentes, l’EI est le groupe terroriste le plus important en Afrique et on ne trouve cela nulle part ailleurs au monde !", ajoute Seidik Abba.
(Re)voir : Mali : 10 civils et 3 soldats tués dans une attaque contre un camp de l'armée
Une expansion fulgurante qui peut s’expliquer par différents facteurs et s’appuie sur un terreau favorable : "Le groupe terroriste s’est notamment appuyé sur la question de la pauvreté, avec une stratégie d’endogénéisation", selon Seidik Abba.
En effet, l'EI a, contrairement à Al Qaïda, recruté des locaux. "Il y a peut-être quelques personnes qui viennent d’Irak ou de Syrie dans la zone des trois frontières (Mali, Burkina Faso et Niger), mais les chefs des Katiba (unité de combattants), les fantassins sont des Africains, du terroir, qui ont profité de la misère".
L’autre facteur important est le rejet de l’État : "Une bonne partie de l’action de l’EI se base sur la communauté peule, nomade, dont le bétail constitue la principale ressource et qui a été abandonnée par l’État, au moment où il aurait dû l’accompagner, dans une période où les changements climatiques avaient et ont un impact important sur leur mode de vie", précise Seidik Abba.
Pour finir, le spécialiste pointe du doigt une implication différente de la communauté internationale lorsqu’il s’est agi d’aider l’Afrique face à l’implantation de l’EI : "En Afrique, on a laissé l’EI face à des États qui n’avaient pas les moyens de le combattre, quand les forces internationales se sont coalisées pour terrasser les djihadistes au Levant".
"L’EI a aussi profité du vide laissé par le départ de l’opération Barkhane puisque la partie qu’elle a libéré en partant n’a pas été occupée de façon durable par les forces maliennes, contrairement à ce que la propagande laisse entendre", affirme-t-il, soulignant "qu’on ne constate pas de changement de rapport de force avec l’arrivée de Wagner et de la Russie, au contraire".
D’abord présent en Libye, puis au Sahel, l’État Islamique s’étend jusqu’au golfe de Guinée depuis plusieurs mois. Le Bénin, le Togo ou encore, le Ghana sont ciblés par l’organisation terroriste.
Pour Seidik Abba, le Burkina Faso représente un enjeu majeur : "Le pays a six frontières, quatre avec des pays du golfe de Guinée, les deux autres sont le Niger et le Mali, déjà attaqués. La situation est donc tout à fait préoccupante, beaucoup plus qu’on ne le laisse entendre".
Une dynamique qui alerte le spécialiste, car, selon lui "l’EI n’a pas d’agenda politique, avec une volonté d’asseoir un État, comme il a pu vouloir le faire au Levant". Le but est donc de déstabiliser les régimes, avec une volonté de "terreur absolue en s’en prenant aux populations".
Une situation qui pousse l’ONU à reconnaître que l’approche sécuritaire de ses membres n’a pas été la bonne. Seidik Abba le confirme : "On ne peut plus se contenter de l’approche militaire, il faut des réponses en terme de développement et de justice, sinon l’Afrique risque fortement de devenir le nouvel Eldorado pour l’EI".