La consommation d'électricité est en France traditionnellement largement moins forte en été qu'en hiver. Mais qu'en est-il lors de période caniculaire comme celle annoncée cette semaine en Europe ? L'essort du marché des climatiseurs va-t-il entraîner de nouveaux scénarios ?
A chaque pic de chaleur, son pic de consommation électrique. L'été est de plus en plus énergivore. En été 2017, des records sont atteints, avec des pics de consommation à 58.000 MW. La vague de chaleur a alors lieu en juin, lorsque l'activité économique bat encore son plein. Ce mois d'août 2018, la consommation atteint 55.000 MW. Un peu moins qu'en 2017, car certaines entreprises sont fermées, il y a moins d'ordinateurs à alimenter, moins d'espaces à climatiser.
De plus en plus, autant que le chauffage, les climatiseurs, les ventilateurs, poussent à la consommation. Pire, lorsque la température extérieure augmente d'un degré en été, la consommation électrique grimpe immédiatement. Avec une augmentation en moyenne de 500MW à la pointe journalière... "
soit l'équivalent de la consommation d'une agglomération comme Bordeaux",
rapporte le gestionnaire du réseau électrique en France RTE dans ses rapports (Réseau de transport d'électricité).
En été, des réacteurs à l'arrêt
Si les vagues de chaleur conduisent bien à des pics de consommation, elles conduisent paradoxalement à des baisses de production d'électricité.
Ce 4 août, à la centrale de Bugey, deux réacteurs sont à l'arrêt. A Saint-Alban, un réacteur a été stoppé. A Fessenheim, un autre. Les centrales baissent de régime, pour ne pas réchauffer les fleuves. "
En France, les centrales sont soit près de la mer, soit en bordure d'un fleuve. Les centrales nucléaires doivent être près d'un cours d'eau pour procéder au refroidissement des réacteurs, explique un porte-parole d'EDF.
On pompe de l'eau dans le fleuve, pour refroidir la centrale, puis on la rejette. Cela peut avoir un effet sur la température du fleuve". EDF se plie aux règles environnementales. Pour le Rhône par exemple, la température du fleuve ne doit pas excéder les 26°C.
Ce milieu de semaine, on exportait de l'électricité vers les pays voisins. L'équilibre offre/demande n'est pas tendu, alors que cela peut être le cas en hiver.
Porte-parole d'EDF
Autre conséquence des fortes chaleurs, le rendement des installations thermiques est légèrement plus faible. Côté éolien, la production est diminuée de près d'un tiers en moyenne, en raison de conditions anticylconiques, associées aux épisodes caniculaires. "
En période estivale, le facteur de charge éolien moyen est de 18% ; en cas de situation caniculaire, ce facteur de charge baisse à 12%" rapporte RTE dans ses rapports.
Au total, en cas de canicule, les baisses de production peuvent s’élever à 8GW, presque l'équivalent de deux centrales nucléaires de quatre réacteurs chacune.
Assez d'électricité ?
Inutile de s'inquiéter. Le scénario d'une production électrique insuffisante en été est immédiatement balayé par RTE comme EDF. Notamment car "
la consommation en été reste en moyenne deux fois moins élevée qu'en hiver", rapporte une porte parole de RTE. Effectivement, les pics à 58GW de juin 2017 sont bien loin du record à 102GW de février 2012, lors d'un hiver très vigoureux.
En France, l'été est "
traditionnellement la période où l'on consomme le moins", rapporte le porte-parole d'EDF. Pour preuve : "
Ce milieu de semaine, on exportait de l'électricité vers les pays voisins. L'équilibre offre/demande n'est pas tendu, alors que cela peut l'être en hiver". C'est d'ailleurs le moment où le fournisseur d'électricité en profite pour arrêter certains réacteurs pour maintenance.
Au pire, dans une configuration jugée "
improbable" où la canicule dure, EDF dit pouvoir passer sur une production hydro-electrique, c'est à dire activer les barrages chargés d'eau depuis l'hiver.
10 nouveaux climatiseurs par seconde
Il est néanmoins une évidence. Au niveau mondial, les températures élevées vont de plus en plus conduire à une explosion de la consommation électrique. Aux Etats-Unis, où 90% des foyers possèdent des climatiseurs, ces derniers consomment autant d'électricité que l'ensemble du continent africain.
Selon les projections de l'
Agence Internationale de l'Energie, dix nouveaux climatiseurs seront vendus chaque seconde dans le monde, sur les 30 prochaines années. Soit 5,6 millions de climatiseurs en 2030 contre 1,6 million aujourd'hui. La quantité d'électricité nécessaire au fonctionnement de tous ces climatiseurs sera alors équivalente à la production des Etats-Unis, de l'Europe et du Japon aujourd'hui !
Les écarts de consommation sont considérables ! Si vous réglez votre appareil à 26°C, il consomme deux fois plus qu'à 28°C. Et à 24°C il consomme quatre fois plus !
Salomon Thierry, énergéticien, fondateur de l'association Négawatt
La demande va venir des pays en voie de développement. Pour l'instant, des 2,8 millions de personnes qui vivent dans les zones les plus chaudes du monde, seules 8% ont un climatiseur. Selon l'AIE, l'Inde devrait en toute logique devenir le plus gros consommateur derrière la Chine. La classe moyenne commence déjà à s'équiper. Et cela se comprend. Pendant trois mois, en avril, mai, juin, les températures qui atteignent 47°C en journée, et ne descendent jamais en dessous de 33°C la nuit, dans la capitale, New-Delhi.
Un cercle vicieux
"En France, il y a évidemment une augmentation de la climatisation tout à fait significative, rapporte Salomon Thierry, énergéticien, l'un des fondateurs de l'association Négawatt, pour un autre avenir énergétique. Par exemple dans la région PACA, l'une des plus touchée, il arrive souvent qu'à midi, à 16h, la moitié de la demande d'électricité vienne de la climatisation".
La consommation explose d'autant plus qu'elle est très sensible à la température de refroidissement demandée. "Les écarts de consommation sont considérables ! Si vous réglez votre appareil à 26°C, il consomme deux fois plus qu'à 28°C. Et à 24°C il consomme quatre fois plus!" alerte Salomon Thierry, qui milite pour une sobriété énergétique.
Les climatiseurs réchauffent la planète. Ils réchauffent aussi l'environnement proche, de par leur système même de refroidissement. Pour refroidir l'intérieur des pièces, ils recrachent de l'air chaud (et parfois l'humidité) à l'extérieur. Une équipe du CNRS et Météo France a étudié les l'impact des climatiseurs sur les températures en ville, ces "îlots de chaleur". Avec pour résultat, une augmentation de l'air dans les rues de 0,5°C !
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Avec le projet Clim2, nous avons étudié l’impact des différentes solutions de climatisation sur l’agglomération parisienne lors d’un épisode de canicule similaire à celui de 2003 : les climatiseurs individuels qui rejettent leur chaleur directement dans l’air extérieur et les tours aéroréfrigérantes qui, elles, réchauffent peu l’atmosphère. Résultat : l’utilisation combinée de ces deux systèmes dans les grands immeubles augmente la température de l’air dans les rues de 0,5°C. Si par contre d’ici à dix ans on n’installait que des climatiseurs individuels, l’augmentation de température monterait à 2°C.» rapporte Valéry Masson, chercheuse au Centre national de recherches météorologiques, dans ses rapports.
Leur étude souligne un cercle vicieux : plus il fait chaud, plus les climatiseurs tournent... ce qui réchauffe encore plus l'air à l'extérieur !