Fil d'Ariane
Du jamais vu depuis vingt ans ! Un euro recule sous la parité avec le dollar. Un seuil qui n'avait pas été atteint depuis l'année de la mise en circulation de la monnaie européenne il y a deux décennies. Comment expliquer cette parité et quelles peuvent en être les conséquences ?
Lundi 5 septembre, la chute de l'euro franchit un nouveau seuil : la monnaie européenne a plongé sous 0,99 dollar pour la première fois depuis 2002.
Déjà le mardi 12 juillet, l’euro était à parité avec le dollar. Une première depuis 20 ans. Au printemps dernier, il valait pourtant autour de 1,2 dollar. L’euro avait ainsi perdu 13,2% sur un an. Une telle dépréciation inquiète les marchés et les investisseurs. Et en août, l'euro continuait de reculer sous la parité avec le dollar.
Stéphanie Villers, économiste spécialiste de la zone euro, nuance tout d’abord le phénomène. « L'euro est en train de se dégrader face au dollar, pas face à l'ensemble des autres monnaies. Ce n'est pas tant que l'euro plonge, c'est surtout que le dollar se renforce, et que l’économie américaine se montre plus robuste. Par rapport, notamment, aux chocs liés à la guerre en Ukraine ».
La dépréciation découle notamment des décisions américaines. « L'inflation a été plus forte aux États-Unis, du fait notamment des politiques budgétaires menées par Joe Biden. Ses plans de relance massifs ont stimulé la hausse des prix de manière plus brutale, ainsi que la hausse des salaires. Donc la Federal Reserve, pour éviter cette inflation galopante, a dû augmenter plus rapidement ses taux d’intérêt », développe Stéphanie Villers.
« Et elle a été assez claire là dessus : elle va continuer à les augmenter tant qu'elle considérera que l'inflation est trop importante. Ça va de toute manière soutenir le dollar sur le moyen terme, même si la croissance américaine s’affaiblit cette année, après la perte de pouvoir d’achat des ménages ».
Les États-Unis ont aussi été moins touchés par les conséquences de la guerre en Ukraine. Au contraire, la zone euro, dépendante des importations de gaz et de pétrole, a été directement affectée par la hausse des prix. « Notre facture énergétique s’est emballée. C'est ce qu'on appelle l'inflation importée, puisque les prix des matières premières, devenus plus élevés, sont facturés en dollars », précise l’économiste. Plus une monnaie est dépréciée, plus les coûts d’importation sont élevés. C’est d’ailleurs cette facture énergétique, libellée en dollars, qui risque de peser le plus sur le déficit commercial européen.
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Par ailleurs, avec une monnaie plus faible, la zone euro devient moins attractive pour les investisseurs, alors que les États-Unis sont considérés comme plus stables.
Des situations particulières ont pu amplifier la dépréciation de l’euro, même si elles n’en sont pas à l’origine. Par exemple, la balance commerciale allemande est devenue déficitaire pour la première fois depuis la réunification, ce qui adresse « un signal de faiblesse de la première puissance économique de la zone euro ».
Pour l’instant, cela signifie que toutes les transactions en dollar vont s’avérer plus chères pour la zone euro. Stéphanie Villers pointe un rare effet positif pour l’économie européenne : « Il y a un facteur plutôt porteur. La dévaluation arrive pendant une période d'été, donc ça a tendance à stimuler le tourisme en provenance des États-Unis. Les Américains sont incités à venir dépenser davantage, en particulier en France. Mais ça ne va pas non plus tout compenser ».
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L’impact de ce type de dépréciation est nuancé par les échanges au sein même de la zone euro : « Les trois premiers clients en France sont les Allemands, les Italiens et les Belges. Donc, que l'euro soit faible ou fort, ça ne joue pas là-dessus ».
Surtout, Stéphanie Villers s’attend à ce que la situation se rétablisse prochainement, après que la Banque Centrale Européenne augmente ses propres taux. « Je pense que la politique monétaire de la BCE, une fois réajustée pour être plus en phase avec la Fed, sera assez efficace pour permettre à l'euro de se stabiliser, reprendre et s'apprécier peu à peu. Cela permettrait un meilleur équilibre entre l'économie américaine et l'économie européenne ». Cela risque toutefois de prendre un peu de temps.
Pour l’instant, la BCE s’est abstenue de le faire. En effet, une hausse trop brusque des taux d’intérêt peut nuire à la croissance : lorsqu’une banque centrale augmente ces taux, cela coûte plus cher d’emprunter, ce qui décourage les emprunteurs et les investissements. Il s’agit donc de trouver « le bon dosage ».
Même pour les États-Unis, une sur-appréciation du dollar par rapport à l’euro ne serait pas forcément une bonne nouvelle. « Ça ne joue pas en faveur de leur compétitivité. Par exemple, ce qu’on achète aux États-Unis, libellé en dollars, va nous coûter plus cher. Donc on aura peut-être moins envie d'acheter certains produits américains », résume Stéphanie Villers.