Fil d'Ariane
Près d'un million de Français malades de la thyroïde, soit un tiers des patients, ont abandonné le médicament controversé Levothyrox, a affirmé jeudi l'association Vivre sans thyroïde, chiffre que son fabricant Merck juge très largement surestimé.
L'association et le groupe pharmaceutique sont d'accord sur un point : depuis que ce médicament a changé de formule courant 2017, sa part de marché a baissé.
Ce changement de formule a amené de nombreux patients à se plaindre, surtout depuis août, d'effets secondaires parfois très gênants (fatigue, maux de tête, insomnie, vertiges, douleurs articulaires et musculaires et chute de cheveux).
> Lire notre article : "Levothyrox : pourquoi la nouvelle formulation pose problème"
Combien d'entre eux se sont vu prescrire un traitement concurrent ? Les deux parties, qui s'affrontent devant les tribunaux, invoquent des chiffres différents. Pour aboutir à son estimation de près d'un million de personnes, l'association a dépouillé une vaste base statistique, publiée début février par l'Assurance maladie, sur les volumes de tous les médicaments remboursés. L'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) et la Direction générale de la santé (DGS) estiment quant à elles depuis hier vendredi 9 mars 2018, "qu'après analyse des bases de données de l'assurance-maladie qu'environ 500 000 patients se sont tournés vers des alternatives à la nouvelle formule du Levothyrox".
Les chiffres montrent, d'après Vivre sans thyroïde, que le Levothyrox a perdu près d'un tiers (31%) du marché au quatrième trimestre 2017. Or il y a en France quelque trois millions de malades traités. Ces chiffres sont "en contradiction complète avec les affirmations officielles des pouvoirs publics, qui assurent encore aujourd'hui que ce n'est pas une crise sanitaire", dénonce l'association dans un communiqué. En septembre la ministre Agnès Buzin en effet que ""le seul danger pour la santé des patients est d'arrêter leur traitement." invitant les patients "à trouver le bon dosage avec l’aide de leur médecin."
"Nous démentons (...) Ces chiffres ne sont en aucun cas le reflet de la réalité", a répondu Merck dans un communiqué transmis à l'AFP. "Les dernières données dont nous disposons font état, conformément à nos déclarations précédentes, d'une baisse comprise entre 10% et 12% tant pour le nombre de boîtes vendues [d'après les données de l'Assurance maladie] que pour la part de marché patients sous Levothyrox" (d'après le groupement d'intérêt économique de l'industrie pharmaceutique Gers), a affirmé le président biopharma de Merck France, Thierry Hulot.
Vivre sans thyroïde a détecté pour sa part une augmentation anormale fin 2017 des ventes totales de médicaments contre l'hypothyroïdie en France (+11% par rapport aux neuf premiers mois de l'année, à 108 millions de comprimés par mois). Elle suppose que des patients n'ont pas consommé des boîtes de Levothyrox qu'ils avaient achetées dès lors qu'ils ont réussi à se procurer un médicament concurrent. "Cela représente 33 millions de comprimés de Levothyrox nouvelle formule délivrés mais non consommés", d'après l'association.
Les plaintes engagées en septembre 2017 par une cinquantaine de patients comportent un motif de "non assistance à personne en danger". Cette non assistance correspond à la période d'au moins un mois, durant laquelle l'ANSM n'a pas souhaité prendre en compte sérieusement les difficultés de santé très importantes exprimées par les malades, indiquant que "les effets secondaires ne pouvaient pas être causés par la nouvelle formulation en tant que telle, que les patients devaient simplement refaire leurs dosages avec leur médecin, que ces désagréments étaient temporaires". A la suite de quoi la ministre de la Santé annonçait un retour temporaire de "l'ancienne formule" du Levothyrox : en réalité un accès à des médicaments équivalents au Levothyrox, dont des gouttes et des génériques.
Les affirmations de l'ANSM niant le problème, à l'époque, liée aux récentes révélations de la journaliste Aurore Gorius sur des soupçons de conflit d'intérêts entre le laboratoire Merck et l'Agence du médicament laissent planer un doute de plus en plus important sur les raisons du changement de formule du médicament, sans information conséquente auprès du public.
La nouvelle formule du Levothyrox a été réclamée par l'ANSM au laboratoire allemand Merck en 2012 afin, selon elle, de rendre le produit plus stable dans le temps. Le changement ne porte pas sur le principe actif mais sur d'autres substances, les excipients.
Certains patients se sont rapidement plaints d'effets secondaires. Face à leur colère, les autorités de santé ont tâché de mettre à disposition d'autres traitements, alors que le Levothyrox était en situation de quasi-monopole. Des patients mécontents ont entamé plusieurs procédures en justice.
> Lire notre article : "Levothyrox : la justice s'en mêle mais les patients désespèrent"
Lundi, le volet pénal du dossier a franchi une nouvelle étape avec la désignation d'un juge d'instruction à Marseille pour enquêter sur 7.000 plaintes déposées. Une information judiciaire contre X avait été ouverte trois jours auparavant pour tromperie aggravée, blessure involontaire et mise en danger d'autrui.
Une autre plainte contre X pour "tromperie aggravée" au mois de septembre avait été déposée par un médecin : le docteur Nicolas Bouvier.