Levothyrox : un chercheur du CNRS démenti par son employeur après la découverte d'une substance chimique

 Un chercheur du CNRS, Jean-Christophe Garrigues a annoncé avoir identifié des impuretés chimiques dans la nouvelle formule du Levothyrox. Le CNRS a annulé au dernier moment le communiqué de presse du chercheur, ce vendredi 5 octobre, mettant en cause sa méthode de travail. 
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Merck et Levtothyrox
Le siège du laboratoire Merck en Allemagne (AP Photo/Seth Wenig)
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"Le CNRS et l’université Toulouse III Paul Sabatier ont demandé l’annulation d’une conférence de presse consacrée à des analyses du Levothyrox, prévue ce vendredi 5 octobre à Toulouse (…) En effet, les résultats annoncés par Jean-Christophe Garrigues, ingénieur de recherche au CNRS, n’ayant pas été validés par le processus d’évaluation par les pairs propre à la communauté scientifique, le CNRS considère qu’ils ne constituent pas en l'état actuel des faits scientifiques."  

C'est par ce communiqué lapidaire qu'une fois encore "l'affaire du Levothyrox nouvelle formule" rebondit et relance une somme d'interrogations qui ne cesse de s'amplifier.

En effet, après le refus de l'ANSM de donner le nom et la localisation de l'entreprise productrice de l'élément actif du nouveau Levothyrox — en se réfugiant derrière la récente loi sur le secret des affaires — c'est cette fois-ci le Centre national de recherche scientifique (CNRS) qui accable l'un de ses chercheurs ayant effectué des analyses démontrant la présence d'un élément chimique perturbateur dans la nouvelle formule du Levothyrox, pour raisons déontologiques et administratives.

Pics d'impuretés détectés sans prévenir l'employeur

Jean-Christophe Garrigues a travaillé depuis juillet dernier sur l'analyse des constituants du mélange du Levothyrox nouvelle formule dans son laboratoire du CNRS, mais sans prévenir sa hiérarchie, ni impliquer des équipes avec lui. C'est ce qui lui est reproché aujourd'hui, avec de plus, un financement pour effectuer ce travail provenant de l'Association française des malades de la thyroïde (AFMT). Le CNRS explique : "Bien que Jean-Christophe Garrigues ait effectué ces mesures en utilisant les équipements du laboratoire des Interactions Moléculaires et Réactivités Chimiques et Photochimiques (IMRCP), celles-ci ne sont liées en aucune façon à une quelconque activité de recherche de son équipe ou du laboratoire. En tant qu’employeur, le CNRS considère que l’agent n’a pas respecté la déontologie scientifique indispensable pour valider toute recherche. Ces analyses ont d’ailleurs été réalisées hors conventionnement. Ni les tutelles, le CNRS et l’université Toulouse III Paul Sabatier, ni l’IMRCP n’ont été impliqués dans les analyses conduites par Jean-Christophe Garrigues, dont ils n'étaient pas même informés." 

D'un point de vue administratif et déontolgique, le chercheur est donc visiblement hors des clous, mais d'un point de vue scientifique, il défend les résultats de son travail et pointe du doigt, une fois encore, l'ANSM :"Ce pic d’impureté alerterait le moindre scientifique. Pourquoi l’Agence du médicament n’a-t-elle pas poussé plus loin l’analyse de cet élément qui devient forcément inquiétant lorsque l’on est dans un contexte de crise sanitaire ?", déclarait le chercheur au site Médiacité il y a quelques jours.

Les pics d'impuretés détectés dans les cachets du nouveau Levothyrox sont d'après le chercheur des éléments chimiques impurs susceptibles de déclencher des effets indésirables, mais qui surtout n’étaient pas présents dans l’ancienne formule. Sur la quantité présente, le chercheur n'a pas donné de réponse jusqu'alors : "On n'a pas la quantité exacte de cet élément impur, qui dépasse l'échelle du chromatogramme". 

Une modification de la nouvelle formule ?

Le laboratoire Merck ne conteste pas la présence de pics d'impuretés dans les analyses, mais estime qu'elles ne posent pas de problèmes :"Il est normal d’observer dans ce type d’analyse différents pics, qui sont inhérents à la méthode et ne sont pas de nature à remettre en cause la qualité du produit". Les raisons des effets secondaires provoqués par cette nouvelle formule ont été soumises à la sagacité de plusieurs spécialistes depuis un an et demi, qui ont mis en cause l’acide citrique présent dans l'excipient du médicament, pointé du doigt la possible présence de nanoparticules, la dextrothyroxine… ou encore les impuretés. Mais rien n'a jamais pu être prouvé scientifiquement jusque là. Merck rejette d'ailleurs en bloc ces accusations et parle "d'allégations sensationnalistes et sans preuve". 

L’Agence nationale du médicament a elle aussi réagi en publiant une note de synthèse récapitulant l’ensemble des contrôles . Ces quatre analyses ont été menées de septembre 2017 à juillet 2018. Aucune d'entre elles n'ont démontré la présence d'anomalies et confirment la "bonne qualité" du médicament, selon l'agence.

Le chercheur a par contre soulevé un élément étrange qui demanderait à être élucidé : pourquoi les traces d'impuretés sont elles toujours inférieures dans les cachets de Levothyrox récents et toujours supérieurs dans ceux vendus au début de la crise, en mars 2017 ? Le chercheur estime que si les impuretés sont moins présentes aujourd'hui c'est que Merck aurait modifié la composition de sa nouvelle formule. Cela expliquerait — selon lui et l'AFMT —  la  modification d'Autorisation de mise sur le marché (AMM) que Merck aurait demandé et se serait vu accorder en décembre 2017, soit 10 mois après le lancement de la nouvelle formule de son Levothyrox.

Bien que le chercheur soit mis en cause  dans sa démarche professionnelle par son employeur, le CNRS, ce dernier a néanmoins expliqué — toujours dans son communiqué — que "Les laboratoires compétents dans le domaine doivent travailler dans l’élucidation des questions soulevées par les résultats [de Jean-Christophe Garrigues] ." Bien que le mystère des effets secondaires de la nouvelle formule du Levothyrox ne soit toujours pas percé, cette piste des impuretés chimiques semble suivie par les milieux scientifiques. Les patients touchés par les effets secondaires du Levothyrox espèrent donc obtenir des réponses dans les semaines ou les mois qui viennent, et si de nouvelles analyses indépendantes et validées par des laboratoires venaient confirmer et appuyer les résultats de Jean-Christophe Garrigues, leurs attentes pourraient se voir satisfaites : comprendre ce qui les a rendus malades.