L’ex-patron du Quai Branly dénonce le concept de "restitutions massives" d'œuvres d’art à l’Afrique

Stéphane Martin, ancien président du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, a été interrogé mercredi 19 février par la commission culture du Sénat sur la question de la restitution des biens culturels. Pour l'ancien conservateur, désormais conseiller d'État, la solution n'est pas de restituer des collections. Pour autant, il ne faut pas s'interdire toute question sur le passé des œuvres.
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Stéphane Martin
Jacques Chirac (à gauche) avec Stéphane Martin (à droite), l'architecte Jean Nouvel les observe (au centre) lors de l'inauguration du musée du Quai Branly. Paris le 20 juin 2006 (AP Photo/François Mori, Pool)
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Stéphane Martin a participé à la fondation du Musée du Quai Branly-Jacques Chirac et en a été le président depuis son ouverture en 2006 jusqu'en 2018. Il a été écouté par la commission culture du Sénat pendant plus d'une heure sur la question délicate de la restitution des biens culturels.

Qu’entend-on par restitution ?

Il s’agit de rendre aux États des œuvres appartenant à leur patrimoine culturel qui ont été volées pendant les guerres où la colonisation. Le 28 novembre 2017, à Ouagadougou, Emmanuel Macron exprimait sa volonté d'œuvrer à ce que «d'ici cinq ans, les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique». Dans la foulée, le président de la République a commandé un rapport à deux universitaires français, Felwine Sarr et Bénédicte Savoy. Ce rapport a été publié en novembre 2018.

Le rapport Savoy-Sarr

Lors de son audition, Stéphane Martin a évoqué le rapport Savoy-Sarr regrettant qu’il soit un « cri de haine contre le concept même de musée », alors que selon lui les musées français devraient soutenir les musées africains.  

M. Martin, qui a été à l’origine de la conception du Musée du Quai Branly et l’a dirigé pendant 21 ans estime qu'il vaut mieux parler de « circulation » des œuvres » et de « partage », « passant par des prêts, des dépôts et un certain nombre de transferts de propriétés », plutôt que de "restitutions massives". 

« Aucun musée n'a été construit avec de l'argent français depuis les indépendances », contrairement à la Chine qui a financé le musée de Dakar, regrette-t-il. « On a investi très peu. Il faut aider à la rénovation d'un certain nombre de musées. Il faut bâtir une politique musées-musées ».

Pour l'ancien conservateur, il est « urgent de redonner leur dignité aux conservateurs africains » , tout en rajoutant :  « Un conservateur a peu de débouchés. Il faut insister diplomatiquement pour que ces personnes soient traitées comme elles doivent l'être, et qu’elles perçoivent des salaires décents ».

Dans leur rapport, Bénédicte Savoy, du Collège de France, et Felwine Sarr, de l'Université de Saint-Louis au Sénégal, avaient posé les jalons d'une restitution à l'Afrique subsaharienne d'œuvres d'art transférées pendant la colonisation.
Ils avaient recensé des dizaines de milliers d'œuvres potentiellement concernées.

Faut-il rendre les œuvres d'art ?

M. Martin regrette que ce rapport ait été confié à des personnes « qui ne sont pas des gens de musées »

Ce rapport est un cri de haine contre le concept même de musée, considéré comme une invention occidentale, comme un lieu quasi criminel dans lequel les objets sont plumés, déshabillés, où on leur retire leur magie.
Stéphane Martin, conseiller d'État

Le Musée du Quai Branly a accepté de restituer au Bénin 26 œuvres qui avaient été volées lors d'une opération militaire française à la fin du XIXe siècle. 

Depuis le rapport Savoy-Sarr, plusieurs autres demandes ont été émises par des gouvernements africains pour se voir restituer diverses œuvres se trouvant dans les musées français. 
M. Martin a cité l'exemple de la statue du dieu Gou au Louvre: « Les Béninois envisagent de nous la demander »

Statue du dieu Gou d'Akati Ekplekendo, vers 1850 (Bénin) - Musée du Quai Branly
Statue du dieu Gou d'Akati Ekplekendo, vers 1850 (Bénin) - Musée du Quai Branly
wikipedia

Or cette statue avait été réalisée par un sculpteur d'un pays voisin du royaume d'Abomey fait prisonnier, abandonnée sur une plage, ramenée par un navigateur français. Elle a passé « 150 ans au Louvre » et est devenue une « icône », dessinée et décrite par Picasso et Apollinaire.

Pour Stéphane Martin, la période de la colonisation envisagée par le rapport, entre 1898 et 1962, ne peut être « comparable » à la période de Vichy en termes de restitutions de biens.
« Il y a quelque chose d'assez pervers à prétendre que l'universalité (des oeuvres d'art) n'est pas une bonne chose. L'idée est répandue (...) à droite comme à gauche, que le monde serait meilleur si l'objet retournait à sa place dans l'église » ou autre lieu d'origine où il a été pris, a-t-il remarqué.