Une minute de silence pour dire d'emblée l'émotion et l'hommage unanime.
Au Pavillon Vendôme ce lundi à Paris, toute la communauté internationale des chefs étoilés, réunie pour la sortie de l'édition 2016 du
Guide Michelin, était en deuil.
De nouveau primé, le roi des «Trois étoiles» Alain Ducasse, célébré pour son appel à l'utilisation de produits naturels et locaux dans la haute gastronomie, s'avouait très ému, sans vouloir faire le lien entre cette distribution annuelle d'honneurs, et la disparition du chef Benoît Violier:
«Un homme ne met pas fin à ses jours pour un seule cause, et sûrement pas en raison de la pression qu'engendre inévitablement les étoiles Michelin a-t-il expliqué au Temps en fin de cérémonie.
C'est toujours une conjonction d'événements qui mène à ce genre d'issue fatale. Mais comment ne pas réfléchir après d'autres disparitions précédentes ? Nous sommes porteurs d'une responsabilité qui peut parfois nous dépasser. Ou nous terrasser».
Peu de mots, mais une volonté unanime de dire que la place de Benoît Violier était évidemment là, devant ces 300 journalistes internationaux réunis pour découvrir, en avant-première, les choix des inspecteurs du «Michelin» qui, en 2016, ont admis 380 nouveaux restaurants dans leur fameux guide, créant au passage une nouvelle distinction, juste en dessous des étoiles: «l'assiette» Michelin.
Benoît Violier, avec ses trois étoiles, était au sommet. (
Lire aussi le portrait de Benoît Violier). Comme Alain Ducasse qui, dans son intervention douce-amère, a tenu à apporter son soutien au grand chef Joël Robuchon, absent des distingués de ce début d'année.
«Notre gastronomie a besoin d'institutions. Il faut les respecter et les consolider» a-il précisé au micro, juste après l'éloge prononcé par le directeur du Guide, Michael Ellis
«pour le travail de fourmi» mené par les centaines de chefs étoilés et leurs brigades à travers le monde.
«Même si on n'y pense pas tous les jours, la reconnaissance d'une étoile est unique. Elle prouve qu'on est sur la bonne voie» avait averti, dans une vidéo d'introduction, le jeune chef marseillais Ludovic Turac.
Convié à la réception parisienne, Benoît Violier ne risquait pas, ce lundi, de perdre une étoile. La sortie de l'édition 2016 du guide Michelin ne concerne que la France. Il n'empêche: tout en se gardant de lier son décès à la cérémonie, plusieurs jeunes chefs récompensés reconnaissent, en coulisses, que le chemin qui mène aux étoiles - qui plus est au «paradis» des trois étoiles - est pavé de difficultés.
Cinquante-deux nouveaux chefs étoilés avaient fait ce lundi le déplacement pour cette cérémonie matinale suivie d'un dîner de gala. Trois cents nouvelles étoiles ont été décernées.
«Le plus dur, ce n'est pas de monter ce chemin escarpé. C'est d'y rester»
Ludovic Turac, depuis le Vieux-Port de Marseille
Benoît Violier était connu de tous. Loué. Salué. Apprécié. Difficile, dès lors, pour les nouveaux chefs étoilés des départements frontaliers de la Suisse, de ne pas avoir en tête son destin, son ascension, sa réussite, surtout lorsque l'on décroche sa première étoile.
Lundi, ce premier pas si décisif a été franchi par Stephane Dattrino, de «l'Esquisse» à Annecy, par Raphaël Vionnet de Thonon-les-Bains, par Julien Gatillon, du «1920» à Mégève, par Christophe Quéant, du restaurant «Le Carmin» à Beaune. Tous âgés de vingt à trente ans. Tous la tête dans les étoiles, comme «le chasseur de saveurs» Benoît Violier lorsqu'il intégra le restaurant de l'Hôtel de Ville de Crissier, auréolé de ses trois étoiles depuis 1998: «La pression de la haute cuisine est en nous. Elle nous fait vibrer, nous fait grandir, mais nous torture aussi» avouait ce lundi un jeune chef japonais, récompensé à Paris. Une douce torture qui, parfois, mêlée aux méandres de la vie, peut s'avérer fatale.
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Article publié le 01/01/2016dans le cadre d'un partenariat avec nos confrères de la rédaction Le Temps.