Fil d'Ariane
"Une gouttelette est très fine et tombe lentement, elle va donc rester en suspension dans un nuage. Il peut donc y avoir beaucoup d’eau en suspension dans un nuage. Si on veut que les gouttelettes tombent, il faut les faire grossir, les faire se regrouper entre elles. Il faut donc modifier leur composition chimique pour les encourager à se regrouper", explique François Bouttier, chercheur à Météo France.
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"Nous parlons surtout de stratocumulus, de quelques kilomètres d’épaisseur, dans des régions limitées à quelques dizaines de kilomètres d’extension géographique, ou parfois, des cumulus, en régions chaudes, type Arabie Saoudite" continue François Bouttier.
Ces nuages se rencontrent surtout dans les zones de piedmonts, des paysages de montagne. Il faut aussi qu’il y ait de l’air marin.François Bouttier, chercheur à Météo France
Le stratocumulus se situe dans la couche inférieure de l'atmosphère terrestre, entre 500 et 2500 mètres du sol. D'une forme large, arrondie et d'une couleur sombre voir parfois menaçante, le stratocumulus déclenchera pourtant rarement de lui-même des pluies, leur préférant la bruine.
Le cumulus, lui aussi, se situe en dessous des 2000 mètres d'altitude mais il peut souvent atteindre l'étage moyen. Il apparaît lorsque l'air à basse altitude est plus chaud et humide qu'à haute altitude. Le nuage se charge alors en eau, s'étirant en hauteur et formant alors une tour, appelée congestus.
"Ces nuages se rencontrent surtout dans les zones de piedmonts, des paysages de montagne. Il faut aussi qu’il y ait de l’air marin", précise le chercheur à Météo France.
En d'autres termes, tous les pays ne sont pas éligibles à la chasse aux nuages.
La Chine est l'un des pays au monde ayant le plus recours à la méthode de l'ensemencement.
"En plus d’avoir un climat varié, les Chinois mettent de gros moyens dans la technique, car c’est une façon de soutenir l’agriculture. Ils disposent de beaucoup de zones semi-arides et grâce à leur armée, ils ont une infrastructure logistique très puissante. Ils disposent aussi de scientifiques d’un très bon niveau", explique François Bouttier.
China deploys large #UAV #Ganlin-1 for artificial precipitation; it aims to conduct weather-modification missions in complex weather conditions. pic.twitter.com/PtnSGDdrX1
— China Xinhua News (@XHNews) January 9, 2021
Pour que la magie opère, il faut d'abord pouvoir disperser les agents chimiques dans les nuages. Ici encore, plusieurs procédés existent.
Il est possible d'utiliser des avions, qui, à la base et sur le flanc des nuages, épandront l'aérosol, sur des kilomètres. Des fusées dirigées dans les nuages peuvent aussi être utilisées pour diffuser les agents. Des brûleurs, positionnés au sol, sont une autre option. "En mélangeant les agents chimiques avec des produits inflammables et en les faisant brûler, un panache de fumée est généré. Il va aller ensemencer les nuages quand ceux-ci passent au dessus."
L'ensemencement des nuages fonctionne au mieux une fois sur dix.François Bouttier, chercheur à Météo France
Quelque soit la méthode de diffusion utilisée, le processus nécessite de nombreuses infrastructures, dont des radars, pour repérer les nuages et identifier leur composition, mais également une équipe mobilisable n'importe quand pour aller faire la dispersion. Un coût non négligeable, alors que le résultat lui-même, est aléatoire.
L'efficacité de l'ensemencement des nuages est estimée à 10% et nécessite le passage de plusieurs avions sur plusieurs nuages différents pour pouvoir espérer de la pluie.
"Cela fonctionne au mieux une fois sur dix. Si vous voulez avoir un résultat à montrer aux gens qui vous ont donné de l’argent, il faut faire plusieurs dizaines de campagnes dans des situations météorologiques indépendantes les unes des autres. Un jour donné, il est impossible de promettre que l’on fera pleuvoir", estime le météorologue.
À tel point que la plupart du temps, l'ensemencement est pris en charge par les États, d'autant que des responsabilités peuvent être engagées en cas d'inondation.
Ainsi, peu de pays ont actuellement recours à la méthode. Ils sont recensés sur le site de l'Organisation météorologique mondiale.
"Beaucoup de pays ont essayé la méthode. D’autres la pratiquent à titre anecdotique, avec un seul avion. En France, l'ensemencement a été étudié au XXe siècle puis a été abandonné. Le procédé est désormais un peu plus utilisé par les gens qui espèrent combattre la grêle, avec des torches à iodure d’argent, dont les résultats sont d'ailleurs assez discutés", précise François Bouttier.
"La grèle se situe dans des nuages de type orageux, qui sont extrêmement complexes et difficiles à prévoir, augmentant encore un peu plus le caractère aléatoire de l’ensemencement".
La méthode est aussi utilisée pour faire tomber la neige, avec des résultats parfois probants. La Chine en a notamment fait l'usage au Tibet.
Il y a très peu de régions dans le monde où l’on peut espérer augmenter les pluies avec ce genre de méthodes.François Bouttier, chercheur à Météo France
Outre la Chine, un pays comme le Maroc utilise l'ensemencement depuis 1984. Le territoire n'est pas sec partout et est même en certains endroits, tout à fait propice à la culture des nuages, bien qu'aucune donnée ne permette d'évaluer son efficacité.
"Le Maroc fait des ensemencements dans les zones de montagnes, qui sont connues comme les zones les plus favorables. Des nuages très bas longent l'Atlas."
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La méthode peut faire rêver. Elle n'est pourtant pas une solution pour les pays arides, chauds et secs, manquant de ressources en eau.
"Il y a très peu de régions dans le monde où l’on peut espérer augmenter les pluies avec ce genre de méthodes. Soit il ne s’agit pas du bon type de nuage, soit il n’y a pas assez d’eau disponible dans le ciel pour faire pleuvoir, soit il fait trop chaud et sec dans les basses couches. Dans ce dernier cas, même si vous arrivez à faire sortir la pluie d’un nuage, elle s’évaporera, avant qu’elle ne touche le sol. En particulier au Sahel", explique François Bouttier.
Récemment, le Mali a commencé une campagne d'ensemencement. Selon le chercheur, le pays n'est pas connu pour avoir un climat favorable à ce genre d'opération. "Nous attendons de savoir s'il y a des résultats positifs observés. "
Même si nous arrivons à augmenter de quelques pour-cents la pluviométrie de certaines régions du globe avec cette méthode, est-ce la meilleure manière de s’adapter à une situation de sécheresse ?François Bouttier, chercheur à Météo France
"Même si nous arrivons à augmenter de quelques pour-cents la pluviométrie de certaines régions du globe avec cette méthode, est-ce la meilleure manière de s’adapter à une situation de sécheresse ?", demande François Bouttier. Avoir la tête dans les nuages, ou garder les pieds sur terre, tôt ou tard, il faudra choisir.
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