Fil d'Ariane
La déforestation a un impact majeur sur le réchauffement climatique en cours. Le fait d’abattre et de brûler des arbres dégage de grandes quantités de gaz à effet de serre, particulièrement de CO2. Selon le GIEC (Groupe intergouvernemental d'experts de l'ONU sur l'évolution du climat), à lui seul, ce phénomène serait responsable de 17% des émissions globales de gaz à effet de serre.
Récemment, une étude réalisée par des chercheurs du Maryland, à partir d’images satellites, a établi qu’en 2012 l’Indonésie avait abattu deux fois plus de forêt vierge que le Brésil, pourtant bien plus étendu. Entre 2000 et 2012 plus de 6 millions d’hectares de forêt primaire (c’est à dire jamais exploitées par l’homme) auraient ainsi été rasés dans l’archipel, soit environ la surface de l’Irlande. Principalement en cause : les industries du bois, de la pâte à papier et celles qui déboisent pour gagner des terres agricoles. En Amazonie pour la culture du soja et le bétail, en Asie du Sud-Est pour l’huile de palme.
En à peine 20 ans, la FAO estime que le pays aux 17 000 îles et îlots aurait perdu 20% de sa surface boisée, dont une part considérable de forêts primaires, perdues à jamais. Un défrichement accéléré en partie imputable au commerce illégal de bois précieux mais aussi à la récente explosion de la culture intensive du palmier à huile…
Originaire d’Afrique de l’Ouest, ce palmier (qui ne pousse que dans des zones tropicales) est aujourd’hui massivement cultivé en Asie du Sud-Est. L'Indonésie et la Malaisie totalisant à elles deux plus de 85% de la production mondiale.
En quelques années seulement celle-ci s’est littéralement envolée (passant de quelques millions de tonnes produites dans les années 1960 à plus de 55 millions en 2015). Un développement exponentiel survenu dans les années 1990 et principalement dû à l’accroissement de la demande du secteur agroalimentaire mondial (voir encadré).
Mais, pour répondre à ces besoins grandissants, des milliers d’hectares ont été coupés puis brûlés afin d’être transformés en de gigantesques zones dédiées à la monoculture du palmier. Bien que délicat à quantifier, de nombreuses études estiment que l’expansion de ces plantations est la cause majeure du recul actuel de la forêt tropicale en Indonésie et en Malaisie.
Certes, ces deux pays est-asiatiques disposent encore d’un fort couvert forestier (plus de la moitié du territoire contre 30% pour la France et 20% pour l’Allemagne) et il est indéniable que la culture du palmier a contribué à leur essor économique. Mais... cette destruction effrénée et irraisonnée des forêts n’en demeure pas moins lourde de conséquences.
Selon un rapport de la Banque mondiale, en 2007, l'Indonésie s'est ainsi hissée au 3e rang des pays émetteurs de gaz à effet de serre au monde, après la Chine et les Etats-Unis. Et, d'après les dernières données fournies par ce même organisme, l'archipel figure toujours parmi le top 10 des pays les plus émetteurs de protoxyde d'azote, de méthane et de CO2, trois des plus polluants gaz à effet de serre.
Dans ce pays, plus de 80% des émissions de C02 proviennent de la déforestation, loin devant les émissions de carbone fossile. Pourquoi ? Tout simplement parce qu’une fois coupé, l’arbre ne peut plus jouer son rôle « d’absorbeur » et laisse s’échapper d’énormes quantités de CO2 dans l’atmosphère. Sans compter que la combustion du carburant des tracteurs, remorqueurs, bulldozers etc., est également une source importante d’émissions.
En Indonésie, cette problématique est d’autant plus prégnante qu’une partie des forêts converties en palmeraies sont situées sur des sols tourbeux (sorte de zone humide), connus pour leur grande capacité à capter et stocker du CO2. Considérées par le Programme des Nations Unis pour l’Environnement, comme de véritables « mines de carbone », le fait de détruire et d'assécher ces tourbières aurait des conséquences dramatiques. A elles seules, elles entraîneraient chaque année la disparition de millions de tonnes de CO2 (piégées dans les arbres depuis des milliers d'années) et rendraient le pays encore un peu plus vulnérable aux perturbations climatiques.
La déforestation liée à l'expansion de la culture du palmier à huile a également un effet dévastateur sur la faune et la flore locale. C’est particulièrement vrai de la forêt tropicale indonésienne qui est l’une des plus riches au monde en termes de biodiversité.
Juin 2015, des membres du Museum national d’histoire naturelle français, de concert avec la fondation Nicolas Hulot, ont dénoncé cette situation dans une tribune du journal Le Monde. Selon eux, « convertir une forêt tropicale en monoculture industrielle est un fléau écologique. Des études menées en Malaisie estiment que la conversion de 50 hectares de forêt en monoculture de palmiers à huile entraîne la perte de 820 espèces d’arbres, mais également une réduction de 80 % à 90 % du nombre des espèces d’oiseaux, de papillons et de mammifères. Faute d’habitat, les orangs-outans se retranchent souvent dans les plantations où ils seront tués ou capturés pour être vendus illégalement à des parcs d’attractions peu scrupuleux. »
Par ailleurs, ces coupes, qui d’après les scientifiques du Maryland, « sont en majorité le fait d’entreprises agro-industrielles, et non de petits propriétaires terriens », engendrent de nombreux conflits. L’établissement de grandes plantations s’accompagne souvent de violation des droits humains et d’expropriation de terres. Actuellement, l’organisation indonésienne Sawit Watch gèrerait des centaines de litiges fonciers, opposant entreprises de palmiers à huile et communautés locales.
Face à de telles répercussions environnementales et sociales, certains industriels tentent de remplacer l’huile de palme. En occident, des logos « sans huile de palme » fleurissent sur les emballages de plats préparés ou de paquets de biscuits. Mais peut-on vraiment s'en passer ?
« Oui, mais ce n’est pas la question », répond Frédéric Amiel, responsable forêt de Greenpeace France. « La suppression totale de l’huile de palme n’est ni facile ni forcément souhaitable ». En fait, le problème n’est pas tant : « utiliser l’huile de palme ou ne pas l’utiliser ? Il faut plutôt se demander comment on la produit ? et inciter les industriels occidentaux qui l'achètent à s’assurer qu’elle n’est pas le fruit de la déforestation », insiste-t-il.
De grands groupes, tels Nestlé, Unilever ou encore Ferrero ont opté pour la certification RSPO (table ronde sur l’huile de palme durable, en anglais). Créée en 2004, ce label, unique à ce jour, regroupe un certain nombre de producteurs, négociants, industriels, investisseurs et ONG avec pour objectif : établir des normes mondiales plus respectueuses de l’homme et de l’environnement. Par exemple en réduisant le recours aux pesticides qui tendent à polluer les sols et les cours d’eau.
Un premier pas louable mais que certains jugent trop timide. Parmi les points de crispations : le manque de contrôle des engagements par un organisme indépendant et, surtout, l’autorisation de planter sur des forêts secondaires. « Alors que les forêts dites ”primaires” n’existent pratiquement déjà plus, ces forêts ”secondaires” ou ”en régénération” sont aujourd’hui un refuge de biodiversité. », souligne la tribune. Avant d’en appeler à « l’application de mesures plus strictes ».
Certaines ONG, telle Greenpeace, demande aux entreprises d'aller encore plus loin en s'engageant sur la voie du « zéro déforestation ». C'est à dire, le développement de cultures établies uniquement sur des terres déjà défrichées. « la dynamique est en train de prendre », assure Frédéric Amiel. Les industriels impliqués dans ce processus exigent désormais de leurs fournisseurs qu’ils adoptent eux aussi cette approche. « La chaîne de dominos se met en place ». Même si, reconnaît-il, « il faudra quelques années avant de pouvoir tirer un bilan ».
En 2011, le gouvernement indonésien, a, pour sa part, établi un moratoire sur l'exploitation forestière. Censé réduire le rythme de la déforestation et les émissions de gaz à effet de serre, il ne concerne, toutefois, qu’une faible proportion de forêts. De plus, précise Belinda Magorno, chercheuse en poste à l’Université du Maryland, « près de 40 % des coupes ont eu lieu dans des zones supposément protégées », ce qui suggère une large faillite, sinon un laisser-faire, des autorités.
Avec l’augmentation démographique mondiale, la demande en huile de palme, devrait s’accroître encore davantage. Pour faire face à cette demande, le gouvernement indonésien prévoit de doubler sa production d’ici à 2020. Mais, déjà, les investisseurs anticipent et d’autres pays se lancent.
Depuis peu, la culture de palmier à huile se développe en Amérique Latine et revient en force en Afrique. Leader du marché dans les années 1960, l’Afrique de l’Ouest ne représente plus que 5% de la production mondiale d’huile de palme. Le principal producteur étant le Nigeria, suivi du Libéria. Mais cette tendance pourrait évoluer.
Si l’Asie du Sud-Est est en mesure de couvrir les besoins de son marché intérieur, pour l’heure, tel n’est pas le cas du continent africain. Dans les faits, c’est surtout l’exportation qui semble être privilégiée, en partie boostée par la consommation croissante d’agrocarburants en Europe. Une situation que l’ONG Les Amis de la terre juge préoccupante.
En raison d’un objectif fixé par l’Europe (de 10% d'énergies renouvelables pour les transports en 2020), les pays de l’UE auraient tendance à importer davantage d’huile de palme qu’avant et à procéder à des substitutions. « L’huile de colza et de tournesol qui étaient utilisées pour l’alimentation ont été en partie détournées pour être mises dans les moteurs. Et les industries de l’agroalimentaire ont dû importer en substitution des quantités croissantes d’huiles produites dans d’autres pays, (...) exerçant ainsi une pression toujours plus forte sur les terres des pays du Sud. C’est principalement avec l’huile de palme, dont les importations augmentent chaque année, que l’Europe comble ce déficit », indique l’ONG dans une lettre ouverte envoyée fin juin 2015 à la ministre de l’Ecologie française, Ségolène Royal.
D’autres expliquent ce « détournement » par le fait qu’il est plus logique et plus rentable, d’utiliser comme biodiesel l'huile de colza (qui se mélange mieux et n’a pas besoin d’être traitée) et d’importer l'huile de palme (meilleure marché et mieux adaptée aux attentes de l’agro-industrie). Mais résultat de l’opération : si l’on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre dues à la destruction de la forêt tropicale pour cultiver une l’huile de palme de « remplacement » et le transport lié à l'importation… le bilan carbone est désastreux. L’agrocarburant utilisé s’avère même plus polluant que l’essence conventionnelle. Une aberration.
Alors qu’elle les a longtemps perçus comme une alternative au pétrole dans les transports, l’UE semble toutefois revenir peu à peu sur sa politique de soutien aux agrocarburants. En avril dernier, après d’âpres batailles, le Parlement européen a fini par plafonner à 7% la part des biocarburants destinés aux transports. De plus, bien qu'alarmant, ce phénomène reste pour l’instant marginal si on le resitue à l’échelle mondiale. Car, pour l’heure, l’Inde et la Chine caracolent largement en tête des importations d’huile de palme. Une huile qu’elles utilisent quasi exclusivement pour leurs besoins alimentaires.
Une note d'optimisme pourrait venir du Libéria. En 2014, ce petit pays d'Afrique de l'Ouest s'est doté d’une législation limitant aux zones non boisées les projets agro-industriels, tels que les plantations de palmiers à huile. Une première mondiale. Dorénavant, toute une série de dispositions devraient s'appliquer aux nouveaux investisseurs et conditionner l’autorisation de « faire du business au Liberia » à un engagement préalable en faveur de pratiques « zéro déforestation ».
Obtenue à partir de la pulpe des fruits du palmier à huile, l’huile de palme est la plus consommée au monde. Utilisée comme huile de table dans les cuisines d'Afrique, d'Amérique du Sud et d'Asie. Dans les pays occidentaux, elle sert majoritairement comme matière première pour l’industrie agroalimentaire : les plats préparés, les chips, les pâtes à tartiner, les biscuits, le lait pour bébé etc. Au total, elle serait présente dans la moitié des aliments transformés. On la retrouve également dans les cosmétiques et, depuis quelques années, comme agrocarburant.
Son ascension fulgurante remonte aux années 1990. A cette époque, les agro-industriels utilisent surtout des acides gras « trans » (présents dans les huiles hydrogénées). Mais jugés nocifs pour la santé, les industriels décident alors de les remplacer par l’huile de palme. Peu à peu elle se substitue également aux graisses animales (saindoux, beurre etc.) plus chères et plus difficiles à travailler. Mais son essor s’explique surtout par son bas coût et son faible besoin en terres (elle a une production à l’hectare au moins huit fois supérieure aux autres huiles : soja, colza et tournesol). Moins instable, moins sensible à la lumière, elle résiste aussi mieux à la chaleur. Enfin, elle a une tenue et une consistance qui permettent de fabriquer des produits qui se conservent longtemps et qui sont malléable.
L’huile de palme est toujours vivement critiquée. L’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire française), notamment, souligne sa forte teneur en acide gras saturés (acide palmitique) qui augmenterait le risque de maladies cardio-vasculaires. D’autres mettent en avant l’usage de certains pesticides dans les palmeraies, tel que le Paraquat, interdit en Europe mais pourtant utilisé en Indonésie. Autre problème de taille, l’huile de palme n’est pas facilement identifiable. On ne la trouve pas dans le commerce à l’état brut, difficile alors de jauger sa consommation. Depuis 2014, une législation européenne impose la mention « huile de palme » pour les produits qui en contiennent. Mais elle ne spécifie pas s’il vient d’une zone déforestée ou non.
L’huile de palme vierge (majoritairement consommée dans les pays producteurs) est particulièrement riche en carotènes (vitamine A). Mais elle perd la plupart de ceux-ci lors du raffinage (pour une utilisation dans l’industrie agro-alimentaire). En revanche, raffinée ou pas, elle reste toujours très riche en acides gras saturés. Pour certains, tout serait une question de quantité.